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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
10 octobre 2012

Congo (Eric Vuillard)

                                                        Congo

                                                   (Eric Vuillard) 

Congo, Eric Vuillard 0013

            Après le beau et très émouvant roman de Mario Vargas Llosa qui va certainement contribuer à populariser le grand dénonciateur des crimes de Léopold II au Congo que fut Roger Casement, voici un petit livre dans lequel Eric Vuillard ressuscite quelques figures des représentants des quatorze nations européennes qui ont orgueilleusement décidé du dépeçage de l’Afrique en 1884, à Berlin, et permis, par la même occasion, la tragédie congolaise. 

            L’auteur commence par nous plonger dans l’ambiance très aristocratique de cette réunion des Grands, et souligne d’un ton moqueur sa théâtralité. C’est d’ailleurs sur ce ton qu'il peint ensuite les représentants de la France, des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la Belgique, de la Turquie,… et du maître de cérémonie, le chancelier allemand Bismarck. « On n’avait jamais vu ça. On n’avait jamais vu tant d’Etats essayer de se mettre d’accord sur une mauvaise action. » Si l’auteur se joue des personnages choisis, il reste très soucieux de la vérité sur leurs vies personnelles. Sans doute pour bien souligner l’insignifiance de ces êtres malgré le grand décor de théâtre, de « comédie », mis sur pied pour l’histoire. 

            L’auteur n’oublie pas non plus les acteurs de terrain comme Henry Morton Stanley qui viendra, devant les représentants des grandes puissances, défendre l’urgence du projet de Léopold II. D’ailleurs, précise Eric Vuillard, très vite la conférence a tourné autour du Congo. Nous découvrons aussi Fiévez, celui qui a eu l’idée géniale de faire couper des mains pour justifier le bon usage des balles. Il faut dire que les surveillants avaient tendance à tuer des animaux pour leur nourriture plutôt que de donner la chasse aux hommes qui abandonnaient la récolte du caoutchouc. 

            C’est un petit livre plaisant par son ton ironique et aussi très instructif parce que, outre le regard rapide jeté sur les intrigues des sociétés privées qui dominent le monde, nous avons enfin les portraits des décideurs, des instigateurs, de ceux à qui profite le crime ! Un livre écrit à la fois comme un roman historique et un essai, avec un zeste de poésie quand le ton semble une prière pleine d’interrogations lancées à la face du ciel.

Raphaël ADJOBI

Titre : Congo (Récit), 95 pages

Auteur : Eric Vuillard

Auteur : Actes Sud, mars 2012

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19 novembre 2012

Du cannibalisme

                         Du cannibalisme 

Une mise au point s’impose dès lors que l’on entreprend de parler du cannibalisme. Il convient de balayer le préjugé qui fait de cette pratique une spécificité de l’Afrique, de l’Australie et des deux Amériques. Il faut l’affirmer tout net : c’est une pratique universelle ! A un moment ou à un autre, dans toutes les parties du monde – donc en Europe et ailleurs – les hommes ont été amenés à consommer de la chair humaine. Les guerres effroyables en Europe et les famines qui les ont accompagnées ont poussé les hommes, çà et là, à cette résolution. On peut croire aussi que dans de nombreuses contrées du monde ou de nombreuses civilisations, à des périodes de l'histoire humaine, cet usage a pu être un élément incontournable des rites mystiques.   

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          Cela dit, si l’image des Africains cannibales a prospéré jusqu’à une époque récente, c'est bien dans l'histoire de ces peuples qu'il faut chercher l'explication. Aucun Blanc n’a vu des Africains tuer un être humain et le manger. Ce qui est par contre sûr, c’est que durant la traite atlantique, les négriers blancs nourrissaient les captifs noirs qu’ils transportaient vers le Nouveau Monde avec de la chair humaine. La raréfaction des vivres et les risques du voyage, écrit Lino Novas Calvo (Pedro Blanco, el negrero, 1933), obligeaient les cuisiniers à sacrifier des bien portants pour nourrir les autres captifs. Vous n’allez tout de même pas croire qu’ils nourrissaient quatre à cinq cents nègres avec du pain et du fromage pendant les quatre ou cinq semaines de traversée ? C’est clairement avec les récits des négriers que s’était propagée l’idée que les Noirs étaient des cannibales. Celle-ci a été ensuite entretenue grâce aux diverses expositions coloniales et les affiches vantant la passion des Noirs pour la chair humaine. Lors de ces expositions, on prenait soin de tenir certains Noirs dans des enclos pour bien faire croire au public blanc leur dangerosité. 

          Pour terminer, voici une information réjouissante : selon la revue Beaux Arts de septembre 2012, l'exposition "Exhibitions, l'invention du sauvage", projet emmené par le commissaire Lilian Thuram du 29 novembre 2011 au 3 juin 2012, fut l'exposition d'anthropologie la plus visitée depuis l'ouverture du musée du quai Branly. Durant les 152 jours d'exposition, il y eut 266 774 entrées ; soit 1755 entrées par jour. Beau succès donc pour ce projet !   

 

Raphaël ADJOBI

22 décembre 2012

Tribulations d'un précaire (Iain Levison)

                        Tribulations d'un précaire

                                                (de Iain Levison) 

 

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          Depuis cinq ou six ans, en France, le discours politique relatif au monde du travail tourne autour de deux termes qui nous sont devenus familiers : la flexibilité et la mobilité. A vrai dire, alors qu'ils rythment la réalité quotidienne des Américains et des Anglais, rares sont les Français qui savent exactement ce qu'ils recouvrent. Quand vous aurez lu ce livre, la flexibilité et la mobilité professionnelles auront un sens concret pour vous ; et vous pourrez enfin donner votre avis sur l'avenir économique et social d'une France qui aura ces deux facteurs comme moteurs d'action. 

          N'importe quel lecteur sera écoeuré par les techniques que les entreprises mettent en œuvre afin que la mobilité des travailleurs ne soit que tout bénéfice pour elles. Pour que l'économie du pays soit forte, il faut que les entreprises fonctionnent sans contrainte liée au personnel. Il faut donc que l'arrivée (l'embauche) et le départ (le licenciement) de l'employé ne génèrent que des bénéfices et non des charges. En d'autres termes, il est absolument nécessaire de pouvoir se séparer de l'employé avant d'entrer dans l'engrenage de ses droits.  Car pour les patrons, là où commencent les droits de l'employé s'arrêtent les intérêts de l'entreprise. 

          Et pour que cette politique économique soit réalisable, les patrons ont deux armes essentielles : le temps partiel qui oblige à avoir plusieurs emplois en même temps, et le contrat à durée déterminée qui vous oblige à faire du zèle, à travailler comme un fou avec l'espoir de le transformer en contrat définitif alors que le patron sait bien que vous garder signifierait pour lui des charges ou des procès dans le cas où il ne voudrait plus de vous. Voilà comment la société condamne des milliers de gens à une vie précaire. Et comme avoir son appartement, sa voiture avec l'assurance, sa télévision à écran plat avec le câble, est devenu une nécessité, tout précaire pourra se demander avec l'auteur "quel est l'emploi qui à lui seul peut apporter à un individu un mode de vie confortable ?" Pourtant, on ne manquera pas de vous dire que c'est bien votre faute si vous ne gagnez pas assez pour vous assurer le confort et l'assurance médicale.         

          Au regard des tribulations de l'auteur (licencié ès lettres) qui accumule les boulots sans avoir le temps de se reposer et passe d'une contrée de son pays à l'autre jusqu'à devenir pêcheur en Alaska - et tout cela sans jamais obtenir la couverture médicale toujours promise et toujours espérée - le lecteur français se dira que nous avons au moins la chance d'avoir la sécurité sociale chez nous. Malheureusement, nous savons tous qu'il est question de réduire les charges de notre sécurité sociale et la protection qu'elle procure au seul motif qu'elle coûte chère. On oublie que derrière ce discours, les assurances privées attendent comme des vautours pour nous manger la chair sur le dos. 

          En lisant Iain Levison, le lecteur français s'imaginera aisément que la perte de la couverture sanitaire - plus de sécurité sociale - jointe à la flexibilité et à la mobilité, le mettrait exactement dans la même situation que l'auteur. Une situation due au fonctionnement d'un système économique dont ce livre est une peinture à la fois magnifique et effrayante. Quarante-deux emplois en six Etats différents en dix ans, est-ce encore une vie ? L'amie qui m'a conseillé Tribulation d'un précaire m'avait dit : « Je sais que le sujet ne fait pas partie de tes thèmes habituels. Mais lis ce livre ; je suis sûre qu'il te plaira ».  A mon tour, je vous dis : lisez-le ; il vous plaira assurément. 

Raphaël ADJOBI 

Titre : Tribulations d'un précaire

Auteur : Iain Levison

Editeur : Editions Liana Levi, 2002 (traduct. franç.)

15 janvier 2013

Corps et âme (Franck Conroy)

                                          Corps et âme

                                            (Frank Conroy)

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            Surprenant et envoûtant grâce aux nombreux rebondissements, ce roman est de ceux que l'on peut hisser fièrement au nombre des meilleurs sans risquer la contestation. Frank Conroy a réussi ici une peinture sociale et humaine d'une très grande intensité. 

            Quotidiennement, quand sa mère partait travailler avec son taxi, c'est enfermé à clef dans leur appartement situé au sous-sol que Claude Rawlings passait les heures des longues journées de son enfance. En cherchant à découvrir le secret du vieux piano désaccordé placé dans un coin de sa chambre, il va se découvrir une passion extraordinaire qui ne le lâchera plus et qui le mènera à une succession de rencontres qui seront autant de portes sur le monde merveilleux de la musique.   

            Quand, à quinze ans, son talent de jeune musicien prodige l'introduit dans le monde des artistes de renommée et lui ouvre les portes de la haute société et des grandes manifestions  new-yorkaises, l'aventure ne se remplit pas seulement de notes musicales mais aussi d'aspiration à l'amour. Mais, à l'exception de Weisfeld, le marchand de musique de son quartier qui l'a découvert, « Nul ne savait que la musique avait sauvé Claude Rawlings. Que grâce à elle, il l'avait échappé belle ». Et que par conséquent, « Diplôme de Cadbury ou pas, sans musique il n'était rien ». Car Claude vient de nulle part ; enfant d'une femme pauvre qui refuse de lui révéler l'identité de son père, il semble n'être qu'un prodige aux pieds d'argile. Et si « les gens ne parlent pas de classe et de situation sociale comme ils le faisaient autrefois, cela ne signifie pas qu'ils les aient oubliées. »        

            Frank Conroy présente dans ce roman un personnage exempt de toute ambition débordante mais dont le talent permet d'évoluer dans le monde comme dans un conte merveilleux. Cette démarche lui permet de brosser des portraits absolument magnifiques des différents personnages auxquels le héros a affaire : Weisfeld son mentor, très attentif mais cachotier sur son passé, ses maîtres de musique fantasques et parfois théâtraux, Al, le grand Noir au grand cœur ; et surtout les femmes avec les secrets de leur vie amoureuse ou sexuelle dont les révélations seront comme la touche éblouissante d'un récit déjà très surprenant.

            Mais ce roman est avant tout une fantastique plongée dans le monde de la musique. Les termes techniques, très nombreux, ne gênent nullement sa compréhension ; bien au contraire, ils nous révèlent la complexité de la construction de l'oeuvre musicale et le génie du personnage principal. Le roman nous découvre aussi la difficile expansion du jazz « censé être de la musique sauvage », la naissance du be-bop avec le saxophoniste Charlie Parker, et un zeste des mésaventures des musiciens noirs du milieu du XXè siècle comme Miles Davis. Il apparaît d'ailleurs que plus on avance dans le roman, plus la musique classique cède de la place au jazz tout en gardant la splendeur de ses concerts publics.  En tout cas, Corps et âme est le roman de la musique fait pour mettre d'accord les techniciens de la musique et les amoureux des belles oeuvres littéraires bien construites.

Raphaël ADJOBI  

Auteur : Frank Conroy

Titre : Corps et âme, 683 pages

Editeur : Gallimard, Collection Folio 2010 (1er dépôt, 2004)

1 avril 2013

La publicité, baromètre du racisme français

       La publicité, baromètre du racisme français

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            La France blanche est-elle profondément raciste ? Oui, on peut le croire ! Au regard des messages publicitaires par lesquels les annonceurs s'adressent à elle, on peut répondre à cette question par l'affirmative. En effet, le monde de la publicité a cette particularité de bien étudier ce qui touche la fibre sensible du destinataire avant de lui délivrer le moindre message.

            Pour vous le prouver, il me suffit de vous montrer que les politiques et les annonceurs s'adressent généralement à la population dans le langage qu'elle comprend. En d'autres termes, si le politique ou l'annonceur manie le langage raciste à l'adresse du public, c'est parce qu'il sait que celui-ci a les éléments culturels nécessaires pour le comprendre et l'accepter comme chose normale qui ne choque pas. 

            Prenons l'exemple de cet humoriste qui disait dans un de ses sketchs qu'il n'était pas raciste parce qu'il avait un disque de Sidney Bechet. Il ne faisait alors qu'exprimer la manière ordinaire des Français blancs de nier le racisme qui était en eux. Plusieurs décennies plus tard, en mars 2013, Nadine Morano justifiait l'absence de racisme en son coeur et en son âme de la même façon. "Je ne suis pas raciste, j'ai une amie tchadienne plus noire qu'une arabe", avait-elle fièrement clamé. A qui s'adressait-elle ? A ses compatriotes blancs, seuls capables de comprendre que ce discours vous lavait du soupçon d'être raciste. Quant aux Français noirs, coutumiers de ces propos racistes censés montrer que l'on ne l'est pas, ils n'osent plus s'en offusquer parce que leur indignation serait prise pour du racisme anti-blanc. 

            Une chose est sûre : en France, les politiques, les journalistes et les publicistes s'adressent spécifiquement aux Français blancs. Aussi s'appuient-ils particulièrement sur les présupposés culturels que ceux-ci ont bien intégrés, dans leur conscience ou leur subconscient. Démonstration !   

Chair blanche 0002

            Quand le Noir est présenté comme un mangeur de chair blanche, à qui s'adresse le publiciste ? Forcément aux Français blancs qui comprennent ce message ; message qui ne les choque pas parce qu'il est dans l'ordre des choses admises. Cela ne mérite aucun procès. D'ailleurs, beaucoup trouvent l'image amusante. Si un Noir s'en indigne, on dira qu'il fait du racisme anti-blanc.

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            D'autre part, quand les illustrations des magazines ou des articles des journaux évoquent les peuples d'Afrique, ceux-ci sont bien souvent présentés comme des pauvres affamés ou des sauvages. Cela répond bien à ce que pensent les Français blancs ; ou cela contribue à les entretenir dans l'idée qu'ils sont très évolués par rapport à cette catégorie de personnes. Et le Français noir n'a pas intérêt à en être chagriné ; il manifesterait du racisme anti-blanc.

      Entretenir le racisme grâce à l'image du Noir assisté

         et celle du Blanc supérieur volant à son secours 

Aider l'Afrique 0001

            D'ailleurs, pour l'Afrique, que proposent les publicités, les associations, les politiques ? De l'aide ! Oui, de l'aide. Ils demandent aux populations françaises de les aider à aider l'Afrique, à aider les pauvres Africains qui ont grand besoin d'eux ; sinon, ils mourront tous. Cette indignation devant la pauvreté de quelques populations bien choisies n'est que la manifestation d'une bonne conscience visant à cacher un racisme institutionnalisé. Ils oublient en effet - ou feignent d'oublier - que ce sont les plantations africaines d'hévéa qui font travailler les usines de pneumatique en France. Combien d'emplois ? Ils refusent de voir que ce sont les métaux extraits du sous-sol africain qui font travailler les usines en France. Combien d'emplois ? Ils ne veulent pas penser que ce sont les fruits tropicaux (café, cacao...) et le pétrole africain qui permettent à bon nombre de sociétés françaises de tourner. Combien d'emplois ? Oui, l'action des sociétés privées françaises en Afrique génère des emplois dans le privé en France pour le grand bonheur de tous. Et gare au gouvernant africain qui aura le malheur d'envisager la transformation de ces matières premières sur place ! Il s'exposera à un coup d'état. On ne demande pas à l'Afrique de montrer le savoir-faire de ses cadres formés dans les universités européennes, mais de fournir à l'Europe des matières premières. C'est tout ! 

            Pour l'Etat français comme pour les autres pays européens, les Africains doivent demeurer des éternels assistés, des abonnés au FMI et aux ONG, c'est-à-dire des abonnés à la soupe populaire. Il leur est difficile de concevoir que l'Afrique noire veuille jouer un autre rôle que celui qu'ils lui ont attribué. Et cela, c'est du racisme érigé en politique d'état. 

Raphaël ADJOBI

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11 avril 2013

Ils ont tenu à rester assis pour que nous puissions nous lever

                    Ils ont tenu à rester assis

            pour que nous puissions nous lever

Souvenons-nous : le 11 avril 2011, à coups de canons, la France a réussi à extirpé du palais présidentiel ivoirien Laurent Gbagbo qui refusait de céder le siège sur lequel le Conseil Constitutionnel de son pays l'avait installé. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes venait d'être bafoué par un pays occidental dit amoureux de ce droit.

            N'oublions donc pas que, comme Rosa Parks en 1955 aux Etats-Unis, Laurent Gbagbo est resté assis afin que nous puissions nous lever pour gagner le combat des indépendances africaines. Le samedi 13 avril, participez à la marche internationale de soutien à Laurent Gbagbo à partir de 12 h, de la Place de Clichy à la Place de Stalingrad.            

  Lire l'article sur Les pages politiques de raphaël

Les photos et le texte de la marche  du 13 avril

Ils ont tenu à

        

 

 

21 août 2013

Ballade d'un amour inachevé (Louis-Philippe Dalembert)

                               Ballade d’un amour inachevé

                                      (Louis-Philippe Dalembert)

Ballade d'un amour

            Voici un livre entraînant qui ne cesse de titiller pour ainsi dire constamment la curiosité ou la soif du lecteur. Dès les premières phrases, nous savons qu’un drame apparemment terrible a eu lieu. Toute la narration qui suit nous mène donc lentement, par bribes de vie, vers l’épicentre de ce drame désigné par « la chose », comme pour conjurer le sort.

            Une démarche assez originale qui tend à obliger le lecteur à se poser cette question : quels souvenirs chacun garderait-il des derniers instants vécus avant un drame collectif ? Evidemment, vous vous doutez bien que chacun racontera sa vie en tentant d’y trouver quelque lien avec les signes annonciateurs réels ou imaginaires du drame. Eh bien, c’est exactement ainsi que fonctionne le roman.

            Et à travers les récits vraisemblables ou imaginaires, l’auteur porte son attention sur un couple singulier de ce petit village italien de Cipolle situé à sept kilomètres de L’Aquila, la capitale des Abruzzes. C’est dans ce village encaissé entre les montagnes, que vivent Azaka l’étranger – venu d’un pays ne faisant pas partie de la communauté européenne – et son épouse italienne, Mariagrazia.

            Plus nous avançons dans le roman, plus nous découvrons le passé d'Azaka, « l’extracomm », celui de Mariagrazia, leur rencontre et l’évolution de leur amour dans une Italie ancrée à la fois dans ses traditions séculaires mais aussi dans ses débats politiques modernes aux tons excessifs quand il s’agit de l’immigration, de l’étranger. La figure d’Azaka et son acceptation progressive et controversée au sein de la famille de l’élue de son cœur et du village offre à l’auteur l’occasion de produire de très belles pages, parfois drôles, sur le comportement des Italiens, partagés entre la fierté d’avoir de la famille dans toutes les contrées lointaines du monde – une tradition d’émigrants – et leur rejet épidermique de l’étranger. Et à travers le combat de Mariagrazia pour faire accepter son compagnon « extracomm » sans blesser les siens, nous découvrons les conflits intergénérationnels que l’on retrouve dans toutes les sociétés du monde. Nous comprenons avec l'auteur que les mœurs exotiques que les Européens vont chercher sous d’autres cieux pour s’en repaître et flatter leur supériorité se trouvent aussi à leurs pieds, dans les villages qu’ils ne fréquentent plus, ou même dans des pratiques ordinaires qu’ils ne prennent pas le temps d’analyser.

            Mais tout cela ne dit pas au lecteur ce qui s'est passé ! Quand allons-nous enfin atteindre l'épicentre de « la chose » ? C’est au moment où le lecteur découvre le passé douloureux d’Azaka que, presque sans transition, le livre nous plonge dans le drame provoqué par « la chose ». Car ce qui arrive à L’Aquila n’est en fait qu’une répétition de ce qu’a vécu Azaka dans son pays - qui ressemble fort au drame survenu en Turquie en août 1999. A moins qu'Haïti ne soit pas loin... Et c’est dans les descriptions qui nourrissent la narration de ces deux événements que nous avons les plus belles pages du roman. Magnifiques !

            Indiscutablement, comme nous le soulignions déjà dans l’analyse que nous avions faite de son précédent roman*, Louis Philippe Dalembert excelle dans la peinture de la souffrance. Chez lui, aucune intention d’apitoyer le lecteur. Dire les choses de manière lucide, peindre de manière presque tangible une réalité plane, indicible, inénarrable, voilà ce qui le distingue. Le drame de L’Aquila, survenu dans la nuit du 6 avril 2009 et dont les journaux et des télévisons ont abondamment fait état, est peint ici avec beaucoup de justesse dans son extrême violence et dans l’ampleur de la désolation qui l'a suivie. Dès lors ce livre apparaît comme plein de cette intimité que les survivants d'un drame collectif entretiennent avec la mort. Entre les souvenirs d'Azaka et ce qu'il revit à L'Aquila, on ne se lasse pas de suivre le spectacle du malheur qui se découvre à nos yeux comme entraîné par la main invisible de l’auteur ou par le rythme d’une voix venue des profondeurs du néant pour ne pas dire de la muette réalité visible.  « Dieu merci, […] je n’ai perdu pour ma part que ma mère et mon premier fils », dit un père. Ces quelques mots suffisent pour faire comprendre au lecteur que dans la peinture du spectacle de désolation qui fait suite aux deux cataclysmes relatés ici, l’auteur s’applique à présenter des personnages qui n’ont pas « une ombre de douleur dans le regard ». Comme si ces êtres devenus souffrance se drapaient d’une dignité qui les rendait fantomatiques, irréels, dans un univers qui ne l’est pas moins ; chacun semblant ici la marque visible de la souffrance humaine et de son extrême dénuement.    

            Il est certain que vous ne verrez plus les images d'un drame collectif de la même façon après avoir lu ce roman. Derrière les images des montagnes de gravats et des murs écroulés, vous imaginerez plus aisément, non pas la vie dans son sens générique mais les détails qui lui donnent tout son sens : les amours qui se nouent et se dénouent, les joies et les querelles au sein des familles, les projets longuement élaborés, les rêves d'enfant et d'adulte... C'est la fin brutale de tout cela que chacun appellera désormais un drame collectif. Et de toute évidence, l'auteur semble s'être attardé sur les récits des vies malgré la connaissance de l'existence du drame pour mieux nous amener à retenir cette leçon.

Toutefois, on ne peut manquer de se poser cette question : pourquoi un auteur haïtien choisit-il de peindre un drame collectif italien quand on sait ce que sa terre natale a connu il n’y a pas si longtemps ? La meilleure réponse est certainement celle-ci : une façon très adroite d'attirer l'attention sur son propre malheur consiste à trouver les mots les plus bouleversants pour parler du malheur de l’autre. En compatissant au drame de L’Aquila qui leur est si proche et de ses habitants qui leur sont si semblables, il est certain que les Européens saisiront mieux la profondeur du drame haïtien.  

* Noires blessures (éd. Mercure de France, 2010) 

Raphaël ADJOBI 

Titre : Ballade d'un amour inachevé, 283 pages

Auteur : Louis Philippe Dalembert

Editeur : Mercure de France, juin 2013

13 novembre 2013

La vie d'Adèle (Abdellatif Kechiche)

                                          La vie d'adèle

                                     (Abdellatif Kechiche)

 

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            La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche semble parfait, et cela grâce à la justesse du ton des différentes séquences qui le composent. La marque distinctive du cinéaste - les gros plans appuyés et l'absence d'ellipse narrative - est une fois encore mise au service d'un récit long qui vous interpelle sans cesse et vous oblige à sonder votre conscience devant la vie amoureuse d'une jeune lycéenne qui devient, avec le temps, une femme de notre société.

            Le spectateur ne peut que difficilement comprendre les critiques qui ont visé la personnalité du réalisateur après la sortie du film. Il a été souvent question de sa trop grande exigence frisant l'obsession, voire la violence à l'égard des actrices. Une exigence interprétée comme une violence faite à la femme. Mais quiconque aura vu ce film ne pourra que se poser cette question : pour obtenir une telle beauté et une telle justesse de jeu, comment le réalisateur pouvait-il ne pas être très exigeant dans la pratique de son art ?

            Si le film a recueilli presqu'unanimement le jugement favorable des critiques et s'est vu décerner la Palme d'or à Cannes, c'est justement grâce à cette exigence visible sur les écrans. Comment pouvait-il tutoyer la perfection en en faisant l'économie dans son travail de réalisateur ? N'oublions pas que beaucoup de cinéastes ont été glorifiés justement parce qu'ils se sont montrés très exigents dans leurs œuvres. Pourquoi donc chez Abellatif Kechiche cette qualité serait-elle un crime ?

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            La vie d'Adèle n'est rien d'autre qu'une histoire d'amour, comme il en existe tant d'autres ; mais une histoire d'amour qu'il nous est rarement donné de voir publiquement parce qu'elle lie deux femmes. Tout le talent d'Abdellatif Kechiche réside dans sa capacité à faire croire au spectateur qu'il s'agit d'une relation ordinaire entre deux êtres qui s'aiment d'un grand amour ; c'est-à-dire que leurs difficultés sont celles de tous les couples de notre société, voire du monde entier. Il est d'ailleurs plaisant de découvrir dans ce film des schémas classiques de la vie des couples comme l'accueil de l’être aimé(é) dans la belle-famille, le problème du partage des tâches domestiques, ou encore les propos sur la compagne que l'on aimerait voir plus épanouie dans une activité particulière alors que l'on ne songe guère à la soulager du poids du quotidien qui l'accable dans le foyer.

            Des actrices d'une profonde vérité, dans des jeux scéniques éblouissants, font de ce film un chef d’œuvre qui marquera notre époque et fera certainement de son auteur le premier peintre réaliste de l'amour entre deux personnes du même sexe. 

Raphaël ADJOBI 

N.B : S’il y a une actrice qui apprécie la rigueur d’Abdellatif Kechiche, c’est bien Sarah Forestier (L’Esquive, 2004) qui mettra en scène son premier long métrage au printemps 2014 : « Il vous accompagne vers un état de transe, de totale créativité, et vous pousse à prendre le pouvoir, y compris sur lui. » (Télérama n° 3330 du 9 au 15 novembre 2013).      

Titre du film : La vie d'Adèle, 2013 (avec Adèle Exarchopoulos et Léa Seydou) 

Réalisateur : Abdellatif Kechiche                                                                                                               

 

13 décembre 2013

Qu'avez-vous fait quand Nelson Mandela était en prison ?

      Qu’avez-vous fait quand Mandela était en prison ?  

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            Voilà la seule question à laquelle devraient répondre tous les gouvernants qui se sont pressés en Afrique du Sud pour rendre hommage à l’ancien prisonnier du régime racial de ce pays. C’est également la question à laquelle devraient répondre tous les hommes politiques africains ainsi que les journalistes européens qui ont oublié la ligne éditoriale de leurs maisons alors ouvertement contre la lutte du parti politique de Nelson Mandela avant sa sortie de prison en 1990.

Pour ma part, c’est en France, vers la fin des années 70, que j’ai découvert les mouvements de soutien au célèbre prisonnier politique devenu aujourd’hui un héros planétaire. Dans les années 70 et 80, en Côte d’Ivoire et ailleurs en Afrique, les hommes politiques francophones se gardaient bien de lui témoigner leur solidarité, laissant ainsi leur population dans l’ignorance de la souffrance des Sud-Africains et de la solidarité dont ils avaient besoin. Et comme la jeunesse francophone n’était absolument pas politisée, nulle part on n’a vu des manifestations publiques soutenant la lutte de l’ANC.

Aussi, au moment où Nelson Mandela nous quitte sous les hommages enflammés des chefs d’Etat européens et africains, c’est aux jeunes communistes français que va toute ma reconnaissance. C’est grâce à eux que je peux dire que j’ai soutenu son combat à une époque où pour les hommes politiques français – particulièrement pour Jacques Chirac et tous les leaders de la droite – il n’était rien d’autre qu’un terroriste. Rares sont les dirigeants français d’aujourd’hui qui peuvent affirmer sans mentir qu’ils avaient dans leur jeunesse activement milité pour la libération de Nelson Mandela. Avant 1990, seul le parti communiste brandissait dans ses différentes manifestations son portrait pour populariser son combat. Seule la jeunesse communiste placardait les photos du prisonnier de l’apartheid dans les universités françaises.

Aujourd’hui, les socialistes français, les mouvements politiques de droite, les journalistes de tous bords volent la vedette aux vrais amis de Nelson Mandela en France. Nicolas Sarkozy a-t-il signé une seule pétition demandant sa libération quand il était prisonnier ? Hollande a-t-il signé les pétitions que les communistes lui tendaient alors ? La France politique d’avant la libération de Mandela avait à l’égard de l’ANC et de son leader la même attitude et la même vision des choses que le pouvoir français d’aujourd’hui à l’égard de l’opposition ivoirienne et de ses prisonniers. Hier comme aujourd’hui, toute opposition à un pouvoir ami est considérée comme un acte terroriste. Et quand il ne soutient pas ouvertement un ami, le pouvoir français fait mine de ne pas voir ses crimes.

Depuis sa libération, c’est l’Europe qui a fait de Mandela un héros de la paix. Et les journalistes européens ont fini par nous faire oublier que l’homme partage son prix Nobel avec son ancien geôlier Frederick Declerk. Comme il fallait s’y attendre, à leur tour, les Africains reprennent les formules et les slogans européens sans même y ajouter leur perception personnelle de l’homme. Mais cette fois, ce mimétisme s’explique par le fait que bon nombre d’entre eux n’ont jamais connu l’action militante en faveur de Mandela ou de tout autre prisonnier politique noir.

Je me souviens qu’à l’université de Dijon, les Ivoiriens refusaient de lire les journaux et les tracts communistes que leur tendaient leurs camarades Français ; tout simplement parce qu’ils estimaient que bénéficier d’une bourse d’Houphouët-Boigny – c’était leurs propres termes – ne les autorisait pas à se mêler de politique. Mis à part quelques étudiants maliens et bukinabés très politisés, les Africains n’osaient même pas s’arrêter pour signer une pétition. Aujourd’hui, ces anciens étudiants devenus des dirigeants politiques ou de hauts fonctionnaires de l’Etat rendent hommage à Nelson Mandela alors qu’ils n’acceptent pas d’opposition au régime qu’ils ont installé dans leur pays.

La disparition de Nelson Mandela apparaît donc comme une belle occasion de rappeler à la jeunesse africaine qu’elle doit se garder de suivre les pas de cette génération qui rend bruyamment hommage à un homme dont elle n’a pas soutenu le combat. Qu’elle sache que nombreux parmi ceux qui se prosternent devant sa dépouille qualifiaient sa lutte de terroriste.

Oui, c'est à vous, jeunes africains de vous inspirer de la solidarité des jeunes communistes français pour ne pas laisser dans l’indifférence et l’oubli vos leaders qui défendent une Afrique libre de disposer d’elle-même.

Si les Européens ont oublié que l’apartheid a été le fruit de leur colonisation, vous ne devez pas manquer l’occasion de faire du combat de Nelson Mandela un bel exemple d’émancipation et de prise en main de la destinée de chaque pays du continent noir. Ce n'est pas l'icône aujourd'hui couverte d'encens qu'il faut regarder, mais le résistant au racisme érigé en système d'état que la colonisation avait rendu possible en terre africaine. N'oubliez surtout pas qu'en Afrique francophone, sous le couvert de gens qui vous ressemblent, le colonialisme continue de rendre encore possible d'autres formes d'humiliation. Que l'image de Nelson Mandela soit donc pour vous un repère sûr qui vous indique le chemin de la conquête de la dignité de chaque Africain. Quel bel héritage !

Raphaël ADJOBI

Visible aussi sur le blog politique de Raphaël  ici

11 avril 2014

Appel aux Afro-descendnats et à la diaspora africaine : 10 mai, commémoration de l'abolition de l'esclavage !

           Appel aux Afro-descendants et à la diaspora africaine

  10 mai : commémoration de l'abolition de l'esclavage

           Nous devons nous approprier notre Histoire de France

                                    pour libérer l'Afrique !

           

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Chaque jour nous subissons le mépris de nos compatriotes blancs.

            Parce que nous sommes à leurs yeux des étrangers qui viennent manger leur pain, ne descendent-ils pas régulièrement dans les rues pour crier "sus aux immigrés" et exprimer leur peur du "remplacement de la population" blanche ?

            Chaque jour, nos concitoyens blancs nous jettent à la figure  cette question : "de quelle origine êtes-vous ?" Et cela pour mieux nous signifier que nous ne sommes pas des leurs.

            Les politiques de leur côté nous prêtent des sentiments et même des propos que nous n'avons jamais tenus. Quand nous parlons de reconnaissance, ils proclament qu'ils sont contre la repentance ; et cela pour mieux dresser nos compatriotes blancs contre nous et justifier par la même occasion leurs mesures racistes à notre égard. 

            Et pourtant, comme le reconnaissent de nombreux penseurs ou philosophes, l’idée que l’homme doit être reconnu, respecté par ses pairs pour vivre en société et se réaliser pleinement devrait être au centre des préoccupations de ceux qui nous gouvernent.

            La définition de la justice sociale ne peut en effet se limiter à la question des droits. 

            Nos dirigeants devraient aller plus loin en veillant à diagnostiquer tous les maux qui nous empêchent de nous réaliser pleinement et nous minent intérieurement parce qu'ils dégradent la reconnaissance en humiliation ou exclusion.   

               Nous devons célébrer et enseigner la France noire

            Devant le mépris des politiques et des officiels de l'Etat qui se mue peu à peu en sournoise exclusion - pouvant aboutir à un racisme décomplexé et généralisé - une impérieuse nécessité s'impose à nous, Afro-descendants et diaspora africaine : 

            nous devons nous approprier résolument notre Histoire française afin de mieux nous ancrer dans le tissu social de notre pays ! Commençons donc par faire de la commémoration de l'abolition de l'esclavage célébrée chaque 10 mai une fête nationale. Que chacun se sente concerné au point de ne jamais manquer d'être présent à ce jour de souvenir. 

            Nous devons, pour cela, répondre à l'appel des différents comités d'organisation qui seront installés dans les villes, les départements et les régions de France. Répondre à cet appel s'impose à chacun comme un devoir moral, un devoir mémoriel. 

            Une réponse massive à cet appel à nous inscrire fièrement dans le calendrier des commémorations nationales témoignera de notre réelle volonté de déchirer le voile de notre invisibilité et nous présenter en Français à part entière. Cet élément rassembleur sera un premier pas vers des actions fortes susceptibles d'ébranler la conscience de nos dirigeants et celle de nos compatriotes blancs. Il nous faudra passer par là pour que leurs yeux s'ouvrent et qu'enfin leurs oreilles entendent le cri de notre indignation et de notre douleur trop longtemps contenues.

            L'Etat français blanc a toujours refusé des réparations aux descendants d'esclaves et de colonisés, les empêchant ainsi de partir d'un bon pied dans la course à la réalisation de soi. Aussi, sans aucune forme de réparation de l'esclavage, qu'il a pourtant reconnu être un crime contre l'humanité, notre pays demeure une république inégale et injuste !  

            Que propose l'Etat pour l'éducation de nos enfants ? Quels sont les héros noirs qui peuvent faire leur fierté et les aider à se construire ? Sous leurs yeux ne se découvrent que des manuels vidés de l'histoire des Noirs, de l'histoire de leurs ancêtres que l'on veut toujours réduire au tableau sombre de la pauvreté du Tiers-monde. 

            L'Education Nationale a le devoir d'introduire les pages de notre histoire dans les manuels d'enseignement afin de rendre nos enfants fiers de la contribution de leurs ancêtres à la grandeur de la France. 

            Ce n'est pas par les slogans misérabilistes qui valorisent les Blancs et infériorisent les Noirs  que l'on peut lutter contre le racisme ; bien au contraire, c'est le meilleur moyen de l'entretenir. Que disparaissent donc de nos écoles ces images et ces actions qui tendent à faire des Noirs des éternels assistés. L'Education Nationale doit s'interdire ce jeu de dégradation et d'exclusion. 

            Quelle insulte et quel ignoble procédé d'exclusion que de toujours parler d'intégration aux enfants et aux jeunes gens nés comme leurs compatriotes blancs sur cette terre de France, soumis aux mêmes contingences ou contraintes politiques et sociales, recevant les mêmes enseignements, partageant les mêmes habitudes culturelles ! Que l'Education nationale et les gouvernants cessent de manier les lieux communs exclusifs et qu'ils agissent en vrais républicains soucieux du bien-être de tous les citoyens français et non en porte-voix de la communauté blanche française.

 Nous devons libérer l'Afrique pour changer l'image du Noir français

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            Nous devons - Afro-descendants et diaspora africaine - nous jeter résolument dans les débats de société touchant aussi bien la politique intérieure qu'extérieure. Nous n'avons pas le droit de rester muets et inactifs quand l'avenir de nos enfants est menacé ou quand nos parents sont victimes de la politique étrangère prédatrice de notre pays en terre africaine. 

            Nous avons le devoir - concernant l'Afrique, terre de nos ancêtres et de nos parents - de rester vigilants afin de ne pas financer les armes destinées à les appauvrir ou les assassiner.

            Nous ne devons pas permettre que nos impôts financent des guerres qui assassinent notre passé. Quand l'armée française va bombarder les pays africains, nous pleurons nos parents qui en meurent. Est-ce parce que nous profitons des produits de cette chasse que nous ne réagissons jamais ? Plutôt que de nous plonger dans une bêtifiante inertie, cet état de fait devrait nous révolter et nous mener à l’action. 

            Nous devons nous montrer capables de manifester notre désaccord ou notre opposition aux crimes commis en Afrique au nom d’idéaux trompeurs qui cachent des actes de prédation. Rappelons-nous que c’est grâce au combat populaire qu’aux Etats-Unis d’Amérique et en Afrique du Sud les limites du respect et de la considération ont été honorées par les communautés blanches.

            Il nous faut donc sans délai quitter cette inertie qui nous caractérise si fortement sur cette terre de France. Comprenons donc tous qu'en nous appropriant notre Histoire de France, nous nous montrerons forts pour défendre l'Afrique.

            Nous ne pouvons accepter que la France lance, comme une déclaration de guerre, que son avenir est en Afrique. Afin de faire échouer ce funeste projet qui nous implique tous, nous devons nous convaincre que la liberté de l'Afrique est entre les mains des Afro-descendants et de la diaspora africaine. Combattre l'action prédatrice de notre pays en Afrique doit donc être pour chacun de nous un idéal d'humanité et de justice. 

            Il y va aussi de la reconnaissance et du respect que nous attendons de nos compatriotes blancs. Les actes de la France qui humilient quotidiennement les pays africains, le rôle de troisième homme qu'elle joue constamment dans tous les conflits contribuent à la dégradation de notre image aux yeux de nos compatriotes. Combattre la politique étrangère de la France, faite d'incessantes humiliations et de criantes injustices contre la terre de nos parents et de nos ancêtres, s'avère donc un combat pour notre propre dignité. Ne pas mener ce combat, c'est renoncer à notre propre fierté et à notre soif de reconnaissance parmi nos concitoyens blancs.    

Raphaël ADJOBI        Rejoignnez la France noire

3 mai 2014

Les tribulations de la statue du général Alexandre Dumas

                      Les tribulations de la statue

                     du général Alexandre Dumas

Général Alexandre Dumas 0001

            Le soldat français qui reçut le plus d'éloges à son époque, quand il était en activité, fut incontestablement Alexandre Dumas. Napoléon le compara à un valeureux soldat romain, et les historiens en firent le plus grand défenseur de la République dans les rangs de l'armée. Mais c'est le seul général célébré en son temps qui n'a pas de statue sur la terre de France. Vous allez comprendre pourquoi. 

            Dans Dumas, le comte noir, l'Américain Tom Reiss termine son livre sur l'histoire de la "statue oubliée" de ce général noir inconnu de presque tous les Français. C'est à croire que l'Education nationale travaille à nous convertir – comme si nous étions en religion – et non à nous instruire. 

            Le récit de Tom Reiss commence ainsi : « Il y avait autrefois à Paris une statue du général Dumas exécutée par un sculpteur de la fin du XIXe siècle, Alphonse de Moncel, qui avait déjà doté la capitale de plusieurs effigies. Encadrée par les monuments des écrivains Dumas père et fils (son fils et son petit-fils) assis sur leur piédestal, elle se dressait sur la place Malesherbes, ou "place des Trois Dumas" comme on la surnommait alors. La commande en avait été passée dans les années 1890, en pleine période de nostalgie patriotique pour les guerres révolutionnaires du siècle précédent. Les fonds n'avaient cependant pas été puisés dans les caisses de l'Etat ou d'une quelconque organisation militaire : le bronze du général fut financé par une souscription publique lancée par un petit comité de fidèles amis et admirateurs d'Alexandre Dumas père (le romancier), dans lequel figuraient deux des plus grandes célébrités de l'époque, Anatole France et Sarah Bernhardt. L'actrice donna même une représentation extraordinaire au bénéfice de la statue. Il fallut néanmoins plus de dix ans pour réunir la somme nécessaire, et le bronze ne fut érigé sur la place du XVIIe arrondissement qu'à l'automne 1912 ».

            La lenteur et le laborieux cheminement des contributions n'étaient rien devant les ennuis qui attendaient la statue une fois érigée sur la place Malesherbes. Dans ses recherches, le journaliste et écrivain américain Tom Reiss tombe sur l'entrefilet du journal Le Matin du 28 mai 1913, intitulé "La statue oubliée". L'extrait de l'article du journal apporte des éclaircissements édifiants : 

            « Pauvre général ! Il semble qu'on l'ait planté là, un fusil à la main, au milieu du gazon, comme pour en finir, une fois pour toutes, avec lui. Depuis longtemps, les deux autres Dumas, le père et le fils, dressaient parmi les boulingrins du square leurs images d'airain. Mais lui, le vieux soldat, le grand-père, [...] demeurait oublié. Il fallait réparer cette injustice ; et comme le square est assez grand et que notre génération n'est point avare en statue, on en érigea une au vieux général. [...] Mais élever une statue est une chose, autre chose est de l'inaugurer. »

            Tout est dit. Tout est clair dans la deuxième partie de cet extrait. Notez bien le « pour en finir avec lui » ! En d'autres termes, le fait de ne pas honorer ce général dont tout le monde vantait la bravoure pesait sur la conscience publique. Mais une fois sa statue érigée à côté de celles de son fils et de son petit-fils, tout le monde semblait avoir la conscience tranquille. L'injustice était réparée. Seulement, qui osera l'ultime geste ? C’est-à-dire inaugurer la statue en prononçant les paroles officielles de la République reconnaissante à son fils noir ? « La préfecture, le conseil municipal, le ministère de l'Intérieur, le sous-secrétariat d'Etat aux Beaux-Arts, le bureau des Arts et Musées, les services d'architecture et des promenades et plantations », tous ont été sollicités et nulle part on n’a jamais trouvé un seul officiel français pour accomplir le geste réparateur de l'injustice faite au général Dumas ! Quelle est cette France qui refuse de reconnaître publiquement ce fils de la République chanté par Napoléon, Victor Hugo, Anatole France... ? Comment peut-on qualifier cette France-là ?

            D'ailleurs, très vite, la statue fut recouverte d'un immense manteau à capuchon. Etait-ce pour la soustraire à la vue du public en attendant son inauguration qui ne venait pas ? Etait-ce parce que l'on ne voulait pas voir le visage de ce général-là ? 

            Devant l'impossibilité de trouver un représentant de l’Etat pour accomplir le geste final, « le 27 mai 1913, une bande de joyeux frondeurs emmenée par le dessinateur Poulbot organisa une cérémonie officieuse et burlesque pour réparer cet affront au premier Dumas du nom et l'on arracha enfin le "sordide burnous qui lui servait de voile" ». Enfin, direz-vous ! Eh bien, détrompez-vous !

La lettre d'un habitant de la place Malesherbes adressée à un journal de l'époque nous permet de suivre la suite de l’aventure de la statue : « Depuis des mois et des mois, la place Malesherbes possède un épouvantail à moineaux : c'est la statue, recouverte de bure, d'un certain général Dumas [...]. Comment [...] n'a-t-on jamais trouvé un ministre pour inaugurer cette statue ? Mardi, de joyeux humoristes ont décidé d'opérer eux-mêmes. La cérémonie fut réussie et on l'espérait définitive. Erreur ! Ce matin, le général Dumas est de nouveau vêtu comme un capucin ».   

            Ainsi donc, après son inauguration officieuse, la statue avait été de nouveau recouverte. Ce qui veut dire clairement qu’on l’avait recouverte dès le départ parce qu'on ne voulait pas la voir ! On ne voulait pas la statue de ce nègre dans Paris ! Aussi, c'est presque dépité que Tom Reiss conclut ce chapitre en ces termes : « A l'été 1913, le président de la République signa enfin un décret approuvant l'érection de la statue, mais rien n'indique qu'elle bénéficiât jamais d'une inauguration officielle ». Effectivement, la statue ne fut jamais officiellement inaugurée ; à tel point que le directeur administratif des services d'architecture et des promenades et plantations mentionna que « la toile recouvrant la statue a été déchirée en trois morceaux ». 

            Pauvre général Alexandre Dumas ! Toi le grand défenseur de la République, le général le plus célébré de ton époque, les représentants de l’Etat refuseront toujours de reconnaître publiquement tes mérites parce qu’en rétablissant l'esclavage, Napoléon avait décidé de bannir tous les Noirs de la haute sphère de l'armée française. Quel officiel osera contrevenir aujourd’hui à cette décision ? Malgré la fin de l'Empire et la restauration de la République, la France ne parvient toujours pas à s'affranchir de l'esprit bonapartiste, elle ne parvient pas à s’affranchir de l’épuration raciale de la haute sphère de l’armée prononcée par Napoléon Bonaparte ! Pauvre France ! 

            Aujourd'hui, tous les officiels français ne se posent même plus la question de savoir si oui ou non ils auront un jour à rendre hommage au général nègre Alexandre Dumas. Au fond de leur âme, ils bénissent les Allemands de les avoir délivrés de la vue de cette statue qui finissait par les hanter : elle fut détruite pendant l'hiver 1941-1942. L'occupant allemand qui voulait soutenir l'effort de guerre en récupérant les métaux, entreprit une destruction sélective des monuments. Et c'est sans état d'âme qu'il fondit l'ardent défenseur des idéaux républicains en même temps que les philosophes des lumières qui furent des victimes de choix. Quel soulagement pour l’Etat français respectueux du racisme bonapartiste !    

            Si de nombreuses figures de l'Histoire ont retrouvé leur piédestal sur les places publiques à la fin de la deuxième guerre mondiale, celle du général Dumas n'est pas près de voir le jour. Claude Ribbe, écrivain et "historien de la diversité", le plus ardent défenseur du général Dumas, a réussi par son long combat à faire ériger par le maire Bertrand Delanoë une œuvre symbolique rendant hommage à toutes les victimes de l'esclavagisme colonial - à défaut d'une effigie du général - sur la place du général Catroux, ancienne Place Malesherbes longtemps surnommée « place des Trois Dumas ». 

            Pour finir, remarquez que lorsqu'en 1977 la place Malesherbes, communément appelée « place des Trois Dumas », a été rebaptisée, on a pensé à un autre général blanc plutôt qu'au général noir Alexandre Dumas. 

Raphaël ADJOBI 

° Tom Reiss : Dumas, le comte noir. Editeur : Flammarion, 2013 / Traduction et adaptation de Isabelle D. Taudière et Lucile Débrosse.

13 mai 2014

Commémoration de l'abolition de l'esclavage 2014 : de Villers-Cotterêts à Paris

Commémoration de l'abolition de l'esclavage 2014 :

                     de Villers-Cotterêts à Paris          

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            De Villers-Cotterêts à Paris, place du général Catroux, la commémoration de l'abolition de l'esclavage a tourné autour de la figure historique du général Alexandre Dumas qui, peu à peu, fait surface dans l'Histoire de France. 

            A Villers-Cotterêts, c'est sous la pluie qu'a débuté à 11h la cérémonie devant l'ancienne résidence de la famille du général Dumas. C'est Claude Ribbe, le nouveau président de l'association Les Amis d'Alexandre Dumas qui, le premier, s'est adressé au public. L'écrivain n'a pas manqué de rappeler le parcours du valeureux général mort à 46 ans, oublié de la France, dans cette petite ville de Picardie. Oublié parce qu'en 1802, la mise en place de l'arrêté consulaire de Bonaparte avait rayé les nègres de l'armée, les excluant par la même occasion de tout hommage de la nation. Puis Claude Ribbe a souligné les efforts de son fils - l'écrivain Alexandre Dumas - pour venger, par son oeuvre, ce père qu'il vénérait mais qui ne l'a pas vu grandir.

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            Puis l'orateur s'est attardé sur l'attitude antirépublicaine du maire de Villers-Cotterêts qui a refusé de prendre part à la cérémonie qu'il assimilait à de la repentance. Aux yeux de Claude Ribbe et de l'assistance qui l'a fortement applaudi, le maire s'est totalement déshonoré. Il a rappelé que toutes les personnes présentes n'avaient rien à se reprocher  parce que personne, dans l'assistance, n'est coupable du crime de l'esclavage. De toute évidence, seul le maire qui parle de repentance à quelque chose à se reprocher. Il a été également rappelé que la commémoration de l'abolition de l'esclavage est nécessaire parce qu'elle nous ramène aux origines du racisme qui fait tant de mal dans notre pays. Se soustraire à cette cérémonie équivaut donc à une faute, comme le soulignera le Premier ministre à Paris, quelques heures plus tard. 

            Puis l'ancien maire de la ville a pris la parole pour rappeler le sens de la commémoration de l'abolition de l'esclavage avant de dénoncer l'absence de son successeur qui prône par son attitude une idéologie pour son parti. Il a lancé un appel à "regarder notre histoire en face pour la dépasser sans rien effacer". Selon lui, ce sont les mémoires réconciliées qui construiront la France. 

            Puis deux jeunes sont passés devant l'assistance pour lire un poème. Leur prestation a été suivie par l'intervention du président de la ligue des droits de l'homme qui a justifié la présence de son mouvement par l'affront fait à la souffrance humaine par le maire FN. 

            Malgré la pluie, la cérémonie de Villers-Cotterêts fut une belle fête populaire avec un public plus nombreux qu'à Paris où il fallait être officiellement invité. 

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                                       Paris, une cérémonie pour les officiels

            La cérémonie de Paris, à la place du général Catroux (17e) a débuté à 18 h en présence du Premier ministre, du ministre de la justice et du ministre des Outremers. Etaient également présentes, Mme le maire de Paris (Anne Hidalgo) et Mme le maire du 17e arrondissement (Brigitte Kuster). Cette dernière nous a d'ailleurs remis en mémoire le fait que derrière l'esclavage dont on commémore l'abolition, il y a bien le racisme et la discrimination qui perdurent. 

            A son tour, comme à Villers-Cotterêts, Claude Ribbe a rappelé que nul n'est coupable des crimes du passé. Et comme pour faire écho aux propos de ceux qui voyaient dans le rapt des filles du Nigéria la permanence de l'esclavage en Afrique, il a tenu à dissiper tout amalgame en rappelant que l'on ne peut mettre sur le même pied d'égalité ce crime de bandits de grand chemin et le crime d'Etat, légalisé et codifié qu'était l'esclavage outre-Atlantique. Mise au point absolument nécessaire pour ceux qui ont tendance à s'appuyer sur les crimes des individus pour pardonner ceux des Etats. 

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            Puis Claude Ribbe a rappelé au premier ministre quelques attentes des Noirs de France : la mise en place d'un véritable plan de lutte contre le racisme, la création d'un centre de culture du monde Noir et l'introduction de l'histoire des Noirs dans notre enseignement ; en d'autres termes, apprendre à nos enfants l'Histoire de la France sans rien leur cacher. 

            Mme Anne Hidalgo, nouveau maire de la ville de Paris a dit pour sa part que commémorer l'abolition de l'esclavage, c'est commémorer la mémoire des femmes et des hommes d'Afrique qui ont été déportés, assassinés, des femmes et des hommes morts dans les comptoirs, au fond des Océans. C'est également, selon elle, commémorer la mémoire de ceux qui se sont levés pour revendiquer leur liberté.

            Quant au premier ministre, il a d'abord dénoncé l'outrage du maire de Villers-Cotterêts avant de dire que la traite Atlantique a déshonoré l'Europe. "Notre histoire connaît des pages de gloire et des pages sombres", et la Shoa comme l'abolition de l'esclavage des Noirs doivent bénéficier de la même attention et des mêmes soutiens de la part de la république,  a-t-il tenu à préciser. 

            On ose espérer que de commémoration à commémoration, les attentes des Noirs de France seront satisfaites. Chose nécessaire pour que leurs compatriotes blancs prennent non seulement réellement conscience de leur contribution à l'Histoire de notre pays mais aussi qu'ils leur témoignent la reconnaissance dont ils ont besoin pour avancer d'un pas plus assuré dans la société française. On ose aussi espérer que la diaspora africaine s'impliquera davantage dans cette commémoration annuelle au lieu de la laisser aux seuls descendants d'esclaves. L'abolition de l'esclavage est l'affaire des Africains, des Noirs enlevés d'Afrique et des Européens. C'est assurément notre mémoire commune que notre pays veut commémorer chaque 10 mai.

Raphaël ADJOBI

13 août 2014

J'irai cracher sur vos tombes (Boris Vian)

                                J’irai cracher sur vos tombes

                                                  (Boris Vian)

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            Voici un classique de la littérature française qui n’a rien à voir avec la littérature française parce que son auteur l’a voulu ainsi. D’abord, le style rappelle étrangement celui des grands auteurs américains de romans policiers. Boris Vian parle lui-même de « l’influence extrêmement nette de Cain […] et celle également des plus modernes Chase et autres supporters de l’horrible ». Ensuite, l’histoire est celle d’un Américain dans les Etats-Unis de la première moitié du XXe siècle. Enfin, pour convaincre le lecteur que le style et le sujet ne peuvent être maniés avec justesse que par un Américain, Boris Vian a pris soin de publier ce livre sous un pseudonyme qui n'a rien de français : Vernon Sullivan. 

            C’est un récit étrangement provocateur, palpitant et sobre à la fois que nous propose l’auteur. Un récit qui nous livre une page singulière du racisme et d'un de ses effets secondaires tout aussi singulier.

            Puisqu’il est reconnu aux Etats-Unis que l’on est Noir quand on a une goutte de sang noir, Lee Anderson va revendiquer sa négritude et profiter de sa peau blanche pour venger sa « race ». Dans ce sud des Etats-Unis au racisme excessif où les Noirs risquent quotidiennement leur vie, son grand frère – dont la peau métissée ne passe pas inaperçue – lui conseille plutôt d’oublier la vengeance et de se fondre dans la société des Blancs. « Toi tu as une chance, tu n’as pas les marques », lui dit-il.

            Lee Anderson va se fondre dans le monde des Blancs, sans cependant jamais oublier la vengeance qu’il porte dans son cœur. Avec sa voix particulière qui trouble ses amis blancs et les notes de musique qu’il arrache à la guitare, il s’applique à séduire toutes les filles blanches qui croisent son chemin. Quelle félicité pour un jeune homme de vingt-six ans ! Cependant, quand il pense aux siens, il sent « le sang de la colère, (son) bon sang noir, déferler dans ses veines et chanter à (ses) oreilles ». Et il se dit alors qu’il ne faut pas qu’il abandonne son projet. Il ne faut pas qu'il cède à cette humilité abjecte, odieuse que les Blancs ont donnée aux Noirs, peu à peu, comme réflexe. Les Noirs sont trop honnêtes ; c'est ce qui les perd. 

            Mais coucher avec toutes ses amies blanches – surtout les deux sœurs qu’il vient de séduire et qui sont si différentes – n’est pas l’objectif final de Lee Anderson. Non. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, notre homme n’est pas un dépravé cynique voulant seulement copuler avec toutes les filles blanches qu'il rencontre pour pouvoir leur crier à la fin : « le nègre vous a bien eus ! » Non. L’objectif final de Lee Anderson est, en un sens, un peu plus noble que cela. Et froidement, il va le poursuivre.

Raphaël ADJOBI

Titre, J’irai cracher sur vos tombes, 209 pages.

Auteur : Boris Vian

Editeur : Christian Bourgois Editeur, Collection 10/18, 1973

23 décembre 2014

Dyslexique... Vraiment ? Et si l'on soignait l'école (Colette Ouzilou)

                                     Dyslexique... Vraiment ?

                                        Et si l'on soignait l'école

                                              (Colette Ouzilou)

Dyslexique

            S'il y a un mot qui revient souvent dans le vocabulaire du monde de l'enseignement depuis quelques années, c'est bien « dyslexie », c'est-à-dire le dysfonctionnement du lexique chez « l'apprenant ». On use et on abuse de ce terme dans les écoles et les collèges au point que cela devient lassant et exaspérant pour la simple raison que ceux qui l'affectionnent ne sont généralement pas capables de dire ce qu'il recouvre dans la réalité.

            A tous ceux qui ne savent rien de ce phénomène, de « cette pathologie très à la mode qu'est devenue la dyslexie », Colette Ouzilou voudrait clairement assurer ceci : la très grande majorité des élèves que l'on envoie dans les cabinets d'orthophonistes ne sont nullement atteints de dyslexie – qui est un handicap exceptionnel. En réalité, le mal de presque tous ces enfants se résume en un mauvais apprentissage de la lecture ! La méthode globale puis semi-globale dont l'inefficacité a été très vite reconnue et décriée par les familles – mais que les néo-pédagogues et l'Education nationale se sont évertués à poursuivre pour ne pas perdre la face – ont conduit à la fabrique de faux dyslexiques en série. Au nombre de ceux-là, il faut – selon moi – ajouter les enfants privés du savoir qu'ils étaient venus chercher à l'école parce que la trop grande dispersion ou agitation de quelques camarades a transformé les enseignants du primaire en véritables gendarmes et donc inutiles à leur fonction première. Résultat : les cabinets d'orthophonie se sont multipliés pour « rééduquer (...) des écoliers ignorants, et déprimés de l'être » – aux frais de la sécurité sociale – et non pour s'occuper d'enfants véritablement atteints de ce handicap rare qu'est la dyslexie.

Il convient de dire ici que tous ceux qui cherchent auprès des professeurs de français des solutions à la vraie dyslexie de leur enfant se trompent complètement d'adresse. Les professeurs des écoles et des collèges ne sont nullement des médecins ou des spécialistes de ce mal qui nécessite un enseignement particulier.  Aucun enseignant ne peut dans une classe d'une trentaine d'élèves accorder à l'enfant vraiment dyslexique les attentions que prescrivent les médecins. D'ailleurs, il serait juste que ce soit l'enseignant qui, constatant son incapacité à vaincre un mal singulier auquel il n'a pas été préparé, se tourne vers le chef d'établissement et ce dernier vers les autorités extérieures pour une prise en charge de l'enfant concerné. Le mouvement inverse auquel nous assistons couramment est donc tout à fait insensé. Et les analyses de Colette Ouzilou sont sans équivoque sur ce point.

            Le livre que nous vous présentons ici montre combien les concepteurs des méthodes de lecture globale et semi-globale – méthode très pratiques pour les sourds – ont du mal à les théoriser et produisent parfois des analyses frisant l'inconscience. Aujourd'hui, on s'applique à soigner un mal qu'ils ont fabriqué avec la complicité de l'Education nationale mais on ne cherche pas à savoir « si l'échec revient au seul déficit de l'enfant » (vraie dyslexie) ou à l'enseignement reçu dont les traces sont mauvaises (fausse dyslexie). On ne cherche pas à savoir si l'enfant « échoue parce qu'il n'a pas appris, ou parce qu'il ne peut pas apprendre ». L'Education nationale ne cherche pas parce qu'elle connaît le responsable de la catastrophe que vit l'enseignement français.

            Oui, il faut le dire franchement : tous ces enfants - considérés comme des handicapés par leurs familles et certains professeurs - qui remplissent les classes des écoles et des collèges ont malheureusement modifié, de manière très évidente, le rôle de l’enseignant à tel point que l’on oublie que celui-ci est essentiellement un passeur de savoir ; et que la pédagogie se résume à la recherche de toutes les techniques susceptibles de rendre efficace le passage du savoir du maître à l'enfant. Non, l'enseignement ne doit pas consister à perdre son temps à réparer les mauvaises pratiques – à soigner cette prétendue maladie due aux nouvelles méthodes de lecture nées dans les années soixante-dix – mais à affûter les techniques pédagogiques pour mieux conduire l'enfant à la fontaine de la science. Les solutions à bon nombre de défaillances de l'enfant ne sont pas à chercher dans le cadre de la classe et dans la pédagogie de l'enseignant. C'est souvent ailleurs, par d'autres moyens, par d'autres techniques et donc auprès de professionnels qualifiés qu'il faut aller chercher ces solutions. Mais il semble que l'Education nationale préfère payer les professeurs des collèges pour tenter de réparer les mauvais effets d'une mauvaise pratique ou d'une mauvaise éducation plutôt que de former le personnel qui convient et créer les structures adéquates pour cette charge ; mesures qui permettraient à l'école de la République de se consacrer à l'essentiel : enseigner, qui veut dire faire passer le savoir ou littéralement « montrer en indiquant ».  

Raphaël ADJOBI

Titre : Dyslexique... Vraiment ? Et si l'on soignait l'école, 208 pages.

Auteur : Colette Ouzilou.

Editeur : Albin Michel, 2014.

10 janvier 2015

France : Michel Houellebecq met le feu à Charlie Hebdo !

  France : Michel Houellebecq met le feu à Charlie Hebdo

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Le dernier livre de Michel Houellebecq, le Blanc créole originaire de l'île de la
Réunion, vient de toute évidence de créer l'événement en France. A la grande
propagande que font les journalistes à la sortie de son dernier livre -
propagande qui entretient l'islamophobie et donc la stigmatisation de l'autre - semble
répondre l'action terroriste contre le journal Charlie Hebdo.  On tentera
par tous les moyens de laver l'écrivain de ce crime parce qu'il est Blanc et
parce que nous sommes en France. Mais tout le monde n'est pas dupe : sa part de
responsabilité et de ses propagandistes est réelle. Mais il n'est pas seul responsable.

Lire l'article sur Le blog politique de Raphaël ou l'article suel

8 juin 2015

Le racisme anti-Blanc, le nouveau fantasme des Français blancs

                                 Le racisme anti-Blanc,

                 le nouveau fantasme des Français blancs

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            Après avoir – durant ces quinze dernières années – prospéré sur le lit de la négation des méfaits de la traite atlantique et de l’esclavage des Noirs – négation ayant abouti à la proclamation nationale des bienfaits du colonialisme – voici que des Français blancs enfourchent un nouveau cheval de bataille : le racisme anti-Blanc.

            En effet, selon cette catégorie de citoyens, il y aurait trop de « racisme anti-Blanc » en France, que les Blancs souffriraient quotidiennement de l'animosité, voire du rejet des Noirs. Aujourd’hui, le résultat de leur propagande sur les ondes est incontestable : il n’est plus rare d’entendre un Français blanc affirmer, parlant d’un collègue ou d’un voisin noir, qu’il est raciste, qu’il n’aime pas les Blancs. Il se raconte même dans de nombreux cercles que Christiane Taubira - la Garde des sceaux et ministre de la Justice - est raciste, qu’elle n’aime pas les Blancs.

            Cette nouvelle conception du racisme tendant à imposer une nouvelle vision de la société française mérite une analyse sérieuse afin d'éviter un débat stérile préjudiciable à tous. Sans entrer dans des conjectures inutiles, nous pensons que l'analyse de ce phénomène doit se limiter à cette démarche simple : avant même de considérer la réalité des faits sur le terrain, il convient de voir si, aujourd'hui, le Noir peut être raciste comme le Blanc. 

                                   Un Noir peut-il être raciste ?

            Avant toute chose, nous pouvons assurer que le fait qu’un Blanc ou un Noir affirme qu’il n’aime pas telle ou telle personne ayant une couleur de peau différente de la sienne n'a jamais été considéré, et ne doit pas être considéré comme une marque de racisme. On peut aimer ou ne pas aimer qui l'on veut. Cela, nous l'admettons tous, Noirs et Blancs. C’est seulement lorsqu’un Noir dit « je n’aime pas les Blancs » et un Blanc dit « je n’aime pas les Noirs » que nous sommes tentés de croire qu'ils sont tous deux racistes ? Et pourtant ce n’est pas le cas ; car la différence est très grande entre les deux pensées, les deux esprits qui produisent le même discours. Vous écarquillez certainement les yeux d'étonnement ? Pour vous éviter de lever les bras au ciel en criant au scandale, recourons à la définition éclairante d'un dictionnaire afin de mieux analyser et bien saisir cette différence.

            Le Petit Robert dit du racisme qu’il est la « théorie de la hiérarchie des races, qui conclut à la nécessité de préserver la race supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres ». C’est, ajoute-t-il, « un ensemble de réactions qui, consciemment ou non, s’accordent avec cette théorie ».   

            Nous référant à cette définition et à ce que nous enseigne l’Histoire, nous pouvons affirmer que lorsqu’un Blanc dit « je n’aime pas les Noirs », il puise – consciemment ou non – dans la pensée française et européenne des références culturelles, historiques et symboliques qui soutiennent son sentiment ; sentiment que les Noirs à qui il s’adresse lisent très bien. Son affirmation n’est donc pas gratuite parce qu’elle n’est pas vide de sens. Ayant enseigné l’espagnol pendant une vingtaine d’années dans un collège, je peux assurer ici que tous les ans – sans exception – lors de la leçon sur les couleurs, l'énonciation du mot « negro » a immanquablement généré des rires et des œillades complices entre certains de mes élèves blancs. C’est la preuve irréfutable qu’il y a des mots, des expressions, des gestes qui ont – à l'égard des Noirs – un sens défavorable et méprisant dans la conscience collective des Blancs.  « Ce n’est qu’un nègre, une guenon, un macaque, il est sale, jetez-lui une banane, qu’il aille grimper à son arbre… » ! Ce sont là des mots et des expressions qui, dans l’imaginaire des Blancs et dans celui des Noirs, coïncident avec la construction minutieuse établissant la supériorité de l’homme blanc sur l’homme noir.

Par contre, les Noirs n’ont jamais théorisé sur le racisme, sur la supériorité de la couleur de leur peau au point d’avoir construit des mécanismes et des comportements établissant et perpétuant cette supériorité. Dès lors, lorsqu’un Noir dit « je n’aime pas les Blancs », il ne fait tout au plus qu’exprimer un « racisme » primaire, c’est-à-dire, un racisme non élaboré, un racisme qui n’a aucun sens puisqu’il ne repose sur aucune référence culturelle, historique ou symbolique pouvant permettre au Blanc auquel il s’adresse de lire la réalité de son sentiment. Et ce qui n’a pas de sens, parce que vide, ne peut pas être du racisme ! Le prétendu racisme du Noir n'est donc tout simplement que du ressentiment plus ou moins violent pouvant aller jusqu'à la haine. C'est d'ailleurs ce ressentiment que les jeunes noirs et arabes expriment dans les formules « j'ai la haine » et « j'ai la rage ». 

             Voilà donc clairement démontrée la vacuité du racisme dans l’esprit du Noir ! Celui-ci est exempt de toute construction théorique véhiculant des images avilissantes pour le Blanc, mais plein de ressentiment pour l’injuste traitement dont il est l’objet. Le Blanc qui en douterait est appelé à prouver l’existence d’une construction raciste des Noirs à l’égard des Blancs avec un chapelet de formules avilissantes qui en découleraient. 

            Le racisme anti-blanc n’existe donc pas ! C’est une invention de l’esprit qui n’a aucun sens parce qu’elle n’a pas de contenu. Elle est vide ! Elle est vide de toutes les références dont nous avons parlé plus haut. Celui qui n’a jamais vécu dans une société comme un élément d’une minorité écrasée par une majorité de couleur de peau appelée « race » n’a pas le droit d’affirmer qu’il est victime de la discrimination raciale de ses concitoyens. Car le racisme est un phénomène de groupe, de majorité phénotype (couleur de peau) ou de pouvoir politique fort assurant la suprématie d'une couleur et qui use de critères, de comportements et d’un langage particulier pour signifier à l’autre son infériorité*. C’est dire que les mots et les usages racistes ou discriminants tendent à établir une ligne de démarcation consciemment admise par le groupe majoritaire ou fort qui tente de l’imposer au groupe minoritaire ou faible. 

            Comment le Français blanc peut-il dire qu’il est victime du racisme des Noirs quand il n’a jamais été refusé – ou jamais eu le sentiment de l’avoir été – dans un établissement scolaire, un magasin, un restaurant, un hôtel, une boîte de nuit à cause de la couleur de sa peau ? En effet, le jour où, sur cette terre de France, des hommes et des femmes auront le sentiment clair et persistant qu’ils ont perdu leur emploi ou qu’ils n’ont pas été embauchés parce que le patron leur a signifié que leur présence ferait fuir ses clients, qu’ils n’ont pas été admis dans un hôpital ou une administration, que le logement annoncé libre au téléphone dix minutes plus tôt ne l'est plus parce qu’ils ont la peau blanche, alors nous commencerons à parler de racisme anti-Blanc. Pour l’heure, aucun Français blanc ne peut affirmer avoir été victime d’une de ces injustices à cause de la couleur de sa peau. 

            Le racisme anti-blanc est donc non seulement une invention de l’esprit mais surtout un véritable fantasme que quelques personnes agitent pour se faire peur et pour cacher par la même occasion la réalité sociale et politique qui n’est absolument pas favorable à leurs compatriotes noirs. C'est en réalité une peur imaginaire inventée pour prévenir tout éventuel projet de discrimination positive pour les Noirs. Il est évident que l'on ne peut accorder des faveurs ou faire de la place à celui qui fait déjà peur.  

                                    Les Noirs poussés à l'autocensure

Malheureusement, outre le fait que ce comportement freine la mise en place de mesures permettant une meilleure insertion des Noirs dans le tissu social et politique français, il a réussi à pousser bon nombre d'entre eux à se regarder d’un œil suspicieux. Oui, depuis quelque temps, nous avons remarqué qu’avant de s’engager dans quelque action, les Noirs ont tendance à s’étudier, à s’assurer que rien de ce qu’ils diront ou feront ne sera interprété par la majorité blanche comme un communautarisme anti-Blanc. Pris au piège de l’autocensure, ils refusent de participer à la commémoration publique de l’abolition de l’esclavage ; ils s’abstiennent de toute revendication liée aux multiples injustices dont ils sont victimes, pour ne pas être taxés de communautarisme. En un mot, tout regroupement de Noirs français leur est devenu insupportable. 

On constate aussi que dans l'art romanesque, les Noirs préfèrent les fictions n’ayant aucun rapport avec l’Histoire parce qu’ils ont peur d’être accusés par leurs compatriotes blancs de ne s’intéresser qu’à l’esclavage et au colonialisme. Ils ne veulent pas qu’on les accuse de ne remuer que le passé nauséabond de la France. Ils ont peur qu'on les accuse de ne pas aimer les Blancs, d'être traités de « racistes anti-Blanc ». 

            A force de s’étudier afin d’avoir un comportement qui plaît à la majorité blanche, les Noirs de France ont abandonné l’écriture de leur histoire, l’écriture du passé nègre de la France. Ce sont finalement leurs compatriotes blancs qui s’appliquent à ressusciter dans des romans ou des essais les figures célèbres de l’histoire de France ou des récits qui rendent compte de la dureté et de l'inhumanité de la traite négrière et de l’esclavage. Mis à part Claude Ribbe, Raphaël Confiant, Serge Bilé, Louis-Georges Tin et quelques autres, ce sont les Français blancs qui sont devenus les plus grands pourfendeurs du racisme dans leur pays, les plus grands propagateurs de la contribution des Noirs à la grandeur de l’Histoire de France. Odile Tobner s’est intéressée au racisme ambiant en France (Du racisme français, 2007) et les travaux de Marylène Patou-Mathis (Le Sauvage et le Préhistorique…, 2011) ont éclairé la construction scientifique du racisme en Europe. Et c'est Pascal Blanchard (La France noire) qui assure sur les ondes la promotion de la dénonciation de cette injustice. En 2009, avant Lilian Thuram, Benoît Hopquin (Ces Noirs qui ont fait la France) a brossé les portraits des Noirs illustres de France depuis le chevalier de Saint-Georges (XVIIIe siècle) jusqu’à Aimé Césaire (XXe siècle). Olivier Merle (Noir négoce, 2010) et Philippe Vidal (Les montagnes bleues, 2014) ont sans doute produit les plus beaux romans sur l’esclavage en ce début du XXIe siècle. Quant à Didier Daeninckx, deux de ses romans sur l’histoire des Noirs (Cannibale, Galadio) sont aujourd’hui des classiques qui font le bonheur des collégiens et des lycéens. A sa manière, Sophie Chérer (La vraie couleur de la vanille, 2012) a redonné vie à l'esclave Edmond Albius comme André Schwartz-Bart l’a fait pour La mulâtresse Solitude (1972). Nelly Schmidt (La France a-t-elle aboli l’esclavage, 2009) et Jacques Dumont (L’amère patrie, 2010) nous ont peint le parcours du combattant des « nouveaux libres » de la France. Quant à Caroline Oudin-Bastide (Des juges et des nègres, 2008) et Mohamed Aïssaoui (L'affaire de l'esclave Furcy, 2010), ils se sont plongés dans les affaires judiciaires pour mieux montrer à quel point la justice était un vain mot pour les esclaves et les colonisés… 

            Pourquoi le fait que les Noirs exhument le passé peu honorable de la France ou critiquent sa politique coloniale, comme leurs compatriotes blancs, doit-il être regardé comme un crime contre leur pays ou un racisme anti-Blanc ? Pourquoi souligner le génie ou l'héroïsme de leurs ancêtres serait-il un affront à la grandeur de la France ? Pourquoi doivent-ils s'interdire de se joindre au combat contre le racisme dont ils sont l’objet ? Pourquoi seuls les Blancs semblent-ils autorisés à mener ce combat ? Pourquoi la critique du racisme dans la bouche d'un Noir est-elle automatiquement comprise comme une attaque des Blancs ? C'est malheureusement le triste spectacle auquel on assiste dans les débats politiques et sociaux sur les chaînes de télévision.  

            Et pourtant, comme nous l'avons démontré – et cela sera vrai jusqu'à ce que le contraire soit prouvé – un Noir ne peut pas être raciste à l’égard d’un Blanc, parce qu’il ne possède pas les outils pour l’être. Exprimer son ressentiment face à celui qui vous méprise ne peut absolument pas être pris pour du racisme car le ressentiment fonctionne exactement comme l'amour de soi : une protection qui signifie que l'on refuse de mourir, de disparaître.

            Les Noirs de France doivent donc résolument cesser de se laisser impressionner par ceux qui agitent le « racisme anti-Blanc » à tout vent contre leurs revendications d’une plus grande égalité et d’une meilleure fraternité.  

            Retenons aussi que le Blanc n’est devenu raciste qu’après la construction des théories établissant une hiérarchie des humains sur la base de leur couleur ; théories racistes popularisées par l’enseignement et l’éducation. Avant cette époque, on ne disait point « les Blancs », « les Noirs », « les Jaunes »... mais les Ethiopiens, les Egyptiens, les Nubiens, les Maures, les Chinois... Avant cette époque, le Blanc était comme le Noir : il avait des préjugés fluctuant avec le temps mais n’était pas raciste.

*« Le racisme, en effet, n’est pas seulement affaire de sentiments, de morale, mais aussi et surtout de pouvoir. Celui de vous empêcher de vous loger ou d’obtenir un emploi, celui de faire en sorte que vous ne soyez ni vu ni entendu, celui de parler à votre place, celui de vous soumettre à des contrôles d’identité intempestifs, etc. [...] C'est une arme de destruction sociale et psychologique »(Léonora Miano – Afropea, éd. Grasset, 2020).

Raphaël ADJOBI

18 juin 2015

L'Afrique noire et les Libanais

                        L'Afrique noire et les Libanais

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            Dans les années 60 et 70 à Abidjan, dans la communauté des Blancs que côtoyaient les Noirs, il y avait un groupe assez singulier qui retenait l'attention de tous : les Libanais et les Syriens. Des Blancs dont les manières étaient moins policées que celles des Français. Gros ou grassouillets pour la plupart et parlant fort comme les Noirs, ils étaient à la fois hautains et méprisants mais prêts à faire la courbette auprès de n'importe quel petit chef de service pour obtenir ce qu'ils voulaient pour la bonne marche de leurs affaires.   

            Vivant généralement loin des Français, ils prospéraient sur le terrain des Ivoiriens, c'est-à-dire dans le commerce populaire : magasins d'étoffes, épiceries, quincailleries... Aussi, leur univers ne se limitait pas, contrairement à celui des Français, aux grandes villes comme Abidjan, Bouaké et Yamoussoukro. Pour les Ivoiriens, c'étaient des Blancs qui n'étaient pas des Blancs ; même s'ils délaissaient parfois les camionnettes et roulaient dans de belles voitures comme les autres Blancs. Et dans ce domaine particulier, ils se distinguaient par leur goût pour les Honda et les Toyota alors que les Français roulaient en Renault et Peugeot.

            Force est de constater que les Ivoiriens ne se trompaient pas : les Libanais et les Syriens ne sont pas des Européens mais des Orientaux, des Arabes. Chrétiens ou musulmans, ce sont des peuples aux mœurs très éloignées de celles des Européens, s'agissant surtout de la manière dont ils considèrent la femme. Alors qu'en Europe et en Afrique des combats sont menés pour hisser celle-ci sur le même piédestal que l'homme sur le plan des droits civiques et de la considération publique, ces peuples véhiculent encore des habitudes d'un autre âge dans un monde hyper modernisé. Ces dernières années, l'indignation provoquée par le comportement des Libanais à l'égard des femmes noires a atteint un degré qui mérite qu'on s'y arrête. 

                           Derrière les murs des maisons libanaises,

                            la maltraitance des domestiques noires 

            Depuis que la communauté libanaise a commencé à s'étoffer dans leur pays, la manière particulière de gérer son personnel féminin n'a cessé d'intriguer les Ivoiriens. S'il n'était pas rare de voir les jeunes femmes noires promener des bébés libanais, il était presqu'impossible de les voir seules en ville ou chez elles. En d'autres termes, travailler chez un Libanais veut dire être à sa disposition dès les premières heures du jour jusque tard dans la nuit. Ces jeunes femmes n'ont donc jamais la possibilité de mener une vie familiale loin des murs du foyer libanais. Il faut accompagner le maître et la maîtresse dans tous leurs déplacements pour s'occuper de leur progéniture. Il faut les suivre à la plage et parfois même faire le voyage avec eux au Liban. Ce qui laisse imaginer la vie de prisonnières qu'elles doivent mener loin de leur pays d'origine.

            Cependant, c'est depuis ces deux ou trois dernières années que, grâce aux réseaux sociaux, les yeux des Ivoiriens comme ceux de tous les Noirs d'Afrique ont commencé à pénétrer dans ces foyers libanais où évoluent quotidiennement les jeunes femmes noires qui leur servent de domestiques. C'est donc depuis peu que les Libanais suscitent l'indignation générale chez les Africains parce que le phénomène d'emprisonnement et de maltraitance qu'ils infligent aux femmes noires n'est plus un secret pour personne. Cette indignation est d'autant plus grande que les auteurs de ces violences jouissent d'une totale impunité dans leur pays et ne suscitent aucune réaction officielle dans les états africains. 

            En effet, les témoignages et les images de violence à l'encontre des femmes noires qui circulent sur les réseaux sociaux sont indignes d'un peuple quelque peu civilisé avec un gouvernement et des tribunaux comme le Liban. Comment peut-on accepter qu'un homme frappe une femme et la dénude publiquement sans soulever l'indignation dans son pays ? Comment des êtres humains peuvent-ils enchaîner une femme, la dénuder et s'amuser à lui brûler le sexe avec un briquet sans provoquer une condamnation officielle ? Comment accepter qu'un homme vive impuni après avoir jeté une jeune femme par la fenêtre du troisième ou quatrième étage d'un immeuble ? Comment peut-on supporter que des hommes maltraitent des femmes au point de les rendre folles au sens propre ? Comment peut-on accepter qu’une fois cet objectif atteint ils les renvoient vivre errantes et dénudées dans leur pays d’origine ?

            Tous ceux qui ont vu ces images ont crié « trop, c'est trop ! » Il est donc temps qu'une action énergique soit menée ; une action retentissante qui interpelle ce peuple aux mœurs singulières se situant à la marge de l'humanité. A force de vivre dans un pays qui n'a jamais connu autre chose que la guerre, les Libanais auraient-ils tous perdu la raison ? Non, il ne faut pas leur chercher des excuses. Il est temps que les Africains s'organisent pour mener partout dans leurs pays des actions en réponse à ces personnes odieuses qui bafouent allègrement la dignité des femmes noires. Il est temps qu'ils exigent de leurs gouvernants des actions diplomatiques auprès des autorités libanaises – s’il en existe dans un pays constamment en ruine – pour que soient sanctionnées ces pratiques barbares et pour qu'elles cessent définitivement. S'il faut menacer leurs intérêts partout en Afrique pour les obliger à retrouver une conduite plus humaine, les Noirs ne doivent pas hésiter à le faire. 

           ° Image illustrative : lynchage d'une jeune femme en Inde 

Raphaël ADJOBI   

14 mars 2017

La police française ouvertement raciste : une enseignante dénonce !

      La Police française ouvertement raciste :

                        une enseignante dénonce !

Elise Boscherel

La lecture du récit que je vous présente ici ne peut que vous conduire à cette réflexion : ou les valeurs que nous enseignons dans nos établissements ne sont pas les mêmes enseignées dans les écoles de police de la République, ou le niveau de recrutement des policiers est trop faible pour qu'ils soient capables de gérer la morale publique. Pourquoi pas les deux ? (Raphaël adjobi)

De retour d’un voyage scolaire, des lycéens ont subi contrôles et fouilles des bagages à la Gare du Nord, en présence d'Elise, leur prof. Quand cette dernière a voulu porter plainte pour ces contrôles abusifs, des policiers de St-Denis ont refusé.

C’était mercredi 1er mars à 20h à la Gare du Nord. On rentrait avec mes élèves d’un séjour de deux jours à Bruxelles où nous étions invités pour découvrir les institutions européennes. C’était l’occasion de faire prendre de la hauteur à mes élèves. Malheureusement à notre retour à Paris, la réalité française a été brutale.

Arrivés à Gare du Nord, on se prépare à descendre. Chacun récupère ses bagages. Un premier groupe commence à descendre. Mon collègue et moi étions avec le reste de la classe qui s’apprêtait à descendre.

À ma grande stupeur, en arrivant sur le quai de la gare, je vois un de mes élèves, Ilyas, en train de se faire contrôler par la police. J’accours à côté de mon élève pour montrer au policier qu’il est accompagné. Je lui explique que nous étions en sortie scolaire et que je suis sa professeure. Le policier me dit : « Je m’en fiche vous reculez ».

Je dis à mon collègue de rassembler le reste des élèves dans le hall de la gare.

                   Un contrôle au faciès, un racisme quotidien

Le contrôle se termine. Ilyas récupère ses papiers. Agacé il me dit : « Ils me contrôlent parce que je suis maghrébin c’est du racisme ». Je ne pouvais qu’abonder dans son sens tellement la situation était surréaliste.

Une dame qui marchait à côté de nous et qui avait assisté à la scène lui dit « vous savez, je suis blanche, je passe très souvent à Gare du Nord et je ne me suis jamais fait contrôlée. Oui tu as raison c’est du racisme ».

On se remet doucement de nos émotions. Je pensais retrouver le reste de mes élèves pour enfin rentrer chez nous tranquillement. Et là j’assiste à un nouveau contrôle sur deux de mes élèves. Je n’en crois pas mes yeux.

Comme si ce n’était pas assez, deux autres élèves se font contrôler

L’un, Zackaria a sa valise au sol ouverte. L’autre Mamadou a un échange tendu avec les policiers. Mes élèves m’ont expliqué que Mamadou a été saisi par le bras sans raison, sorti du groupe par un des policiers et a été directement tutoyé.

Je demande des explications aux policiers. L’un d’eux, particulièrement désagréable et menaçant, me dit qu’il fallait être avec mes élèves si je voulais éviter qu’ils se fassent contrôler. Cela aurait était le cas si un de mes élèves n’était pas, justement, en train de se faire contrôler quelques minutes plus tôt.

Je contiens ma colère. Étant enceinte, je crains pour mon bébé. Les policiers étant particulièrement tendus, je sentais que la situation pouvait déraper. Le policier se permet une dernière humiliation à l’encontre de Mamadou après avoir passé un coup de fil : « Vous voyez je fais bien mon travail, votre élève a un casier judiciaire ».

Une situation qui aurait pu mal tourner avec des policiers menaçants

De quel droit ce policier se permet-il de divulguer cette information devant le reste de la classe ? Je signale au policier qu’il n’avait pas à dire ça devant tout le monde. A ce moment le policier s’avance vers moi, ma classe sentant que la situation était en train de glisser s’avance devant moi pour me protéger. Immédiatement j’ai demandé aux élèves de prendre leurs affaires et nous sommes partis.

Le lendemain, j’ai voulu porter plainte contre les policiers au commissariat de Saint-Denis. Le fonctionnaire de police a refusé de prendre ma plainte : « On ne prend pas les plaintes contre les fonctionnaires de police ».

Cette situation est dure à gérer en tant que professeure. On fait face à la colère des élèves et leur sentiment d’humiliation.

Ces contrôles sont sans nul doute liés à leur apparence physique : Ilyas est d’origine marocaine, Mamadou d’origine malienne et Zakaria d’origine comorienne. Ce sont de jeunes garçons qui vivent à Épinay-sur-Seine en Seine-Saint-Denis.

Ils représentent donc à eux seuls ce que l’on nomme communément « les jeunes de cité ». Quelles autres raisons pouvaient justifier ces vérifications ?

La réalité que vivent certains de mes élèves est bien différente de la mienne qui suis une professeure blanche, jamais contrôlée, jamais jugée, jamais discriminée en raison de la couleur de ma peau.

Ce n’est pas la première fois que je dois gérer ce genre de situation

Ce n’est pas la première fois qu’en tant qu’enseignante, je dois faire face à un contrôle d’identité ou à des comportements mal intentionnés de la part d’adultes dans les gares, dans le métro, dans le train, dans les musées.

Il y a deux ans, ça m’est arrivé avec une autre classe. Un élève nous attendait à Gare du Nord encore une fois. Quand on est arrivé il était en train de se faire contrôler par la police. En fait, il n’avait rien fait du tout. Il nous attendait simplement devant le portique.

Ils étaient 4 policiers à le contrôler. Ils ont continué de le contrôler et à le fouiller même lorsque nous sommes arrivés et que je leur ai expliqué que nous étions en sortie. Une fois le contrôle terminé, mon élève m’a dit que ça faisait la cinquième fois en deux jours qu’il était contrôlé.

Les valeurs de la République n’ont plus aucun sens pour ces jeunes

« Liberté, égalité, fraternité » leur apprend-on. Pas pour eux. Ces élèves que j’apprécie tant, ces « jeunes à casquette » que je vois encore comme des enfants, sont trop souvent maltraités, humiliés, malmenés par notre République.

Alors vous imaginez bien que les cours d’Education civique sonnent creux au regard de ces expériences. Sans nier la réalité de leur quotidien et du racisme dont ils sont victimes, je m’efforce de leur rappeler qu’ils vivent dans un Etat de droit et qu’ils peuvent être protégés.

Il est donc temps de dénoncer ces discriminations à chaque fois que nous y sommes confrontés. Ces contrôles ne doivent pas devenir une banalité.

C’est la raison pour laquelle j’appelle tous les personnels d’éducation à porter plainte, à chaque fois que nos élèves sont discriminés dans le cadre de sorties scolaires, auprès d’un commissariat étranger à l’affaire ou du procureur de la République, de l’IGPN et, en tout état de cause, auprès du Défenseur des Droits.

Je demande également à ce que soit organisée chaque année, dans les établissements scolaires, une journée de lutte contre le racisme et à ce que des associations de lutte contre les contrôles au faciès interviennent dans les classes. Nos élèves doivent pouvoir porter plainte, ils doivent pouvoir se défendre.

La violence n’est pas que policière. C’est la violence d’une société toute entière qui porte un regard beaucoup trop accusateur sur eux. Cette jeunesse ne demande pourtant qu’à être respectée et considérée.

Parce que l’école est leur dernière protection, je vous propose de relayer cet appel !

Elise Boscherel (Photo)

Professeure au lycée professionnel Louis Michel d'Epinay-sur-Seine (93)

Propos recueillis par Aladine Zaïane (Streetvox)

27 février 2018

L'exposition pédagogique itinérante de La France noire

 L'exposition pédagogique itinérante de la France noire 

                                    (agenda 2017 - 2018)

Créée en mai 2015 pour promouvoir la contribution des Noirs à l'histoire de France, l'association LA FRANCE NOIRE dispose aujourd'hui d'une exposition pédagogique itinérante sur "les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques". De nombreux collèges et lycées des départements de l'Yonne, de la Côte d'Or, de l'Aube, du Loiret, de la Seine et Marne ont été informés de l'existence de cette exposition et peuvent l'emprunter tout en bénéficiant de la visite d'un intervenant.

Liss Kihindou

Liss Kihindou, professeure de lettres et écrivaine, a reçu l'exposition dans son établissement (Saint-Grégoire à Pithiviers - 45) et a trouvé les mots justes pour vous parler de la portée pédagogique de ce travail que l'association offre aux enseignants. Extrait de son article publié sur son blog Valets des livres.

Capture Liss Kihindou

Voici l'agenda de nos visites depuis septembre 2017. Il y a encore des dates à retenir, d'ici juin 2018. Les inscriptions restent ouvertes.

Agenda 2017 - 2018

                  Voir le blog de l'association : lafrancenoire.com

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 (En haut, photo prise par Liss à Pithiviers - 45 / En bas, photo prise par Raphaël à Amilly - 45)

Amilly

                           Une équipe pédagogique fière du travail accompli

Pithiviers avec Liss

Raphaël ADJOBI

8 mars 2018

Les oubliés des livres d'histoire (La France noire vue par l'Yonne Républicaine)

                    "Les oubliés des livres d'histoire"

                       une exposition de La France noire

Le titre de l'article de l'Yonne Républicaine (89) du mercredi 7 mars ne convient pas tout à fait à son contenu. Ce n'était pas une exposition sur les Noirs de France mais sur l'esclavage qui fait partie de l'Histoire de France. Cependant, ne jetons pas la pierre à la journaliste qui s'est montrée très intéressée et a très bien retenu les idées qui l'ont frappée parce qu'elles étaient des découvertes. L'exposition sur les Noirs de France sera présentée officiellement le jour de la commémoration de l'abolition de l'esclavage à Joigny (89). Elle sera alors à la disposition des établissements scolaires.

Précision importante : l'intervention des Anglais sur les mers a surtout eu pour effet l'abolition de la traite. Ils se disaient que si les colonies n'étaient plus alimentées, l'esclavage s'éteindrait.

 

Cliquez sur l'article pour l'agrandir.

Yonne Républicaine 7 mars 2018

5 septembre 2015

Georges (Alexandre Dumas)

                                              G E O R G E S

                                          (Alexandre Dumas)       

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            Quel beau roman ! Quelle vigueur, quelle force morale, et quelle détermination pour la faire triompher ! Cependant, avant de goûter au charme de ce brillant et entraînant récit, il faudra passer l'épreuve des quarante premières pages dont la lecture rebutera sûrement ceux qui n'ont aucune passion pour la marine et les batailles navales. Mais les lecteurs qui apprécient les héros portés par une grande passion morale et qui triomphent toujours des pages « imbuvables » survoleront aisément cette épreuve. Les autres devront s'armer de persévérance.  

                        Le contexte et le déroulement du récit 

            A la fin du XVIIIe-début du XIXe siècle, la France et l'Angleterre rivalisaient de suprématie sur l'île de France qui deviendra l'Île Maurice. C'est justement au moment où la France était sur le point de perdre cette possession que le valeureux mulâtre Pierre Munier envoya précipitamment ses deux fils, Jacques (14 ans) et Georges (12 ans), en France, loin des préjugés raciaux qui pesaient dangereusement sur eux. En effet, cet homme qui faisait partie de « ces héros qui lèvent la tête devant la mitraille, et qui plient les genoux devant un préjugé », ne cherchait qu'à éviter à ses enfants d'être écrasés, comme lui, par le racisme ou l'aristocratie de couleur – symbolisée par les Malmédie, père et fils – qui sévit sur l'île et contre laquelle il n'a jamais songé à se rebeller. 

            Mais, voici que quatorze ans plus tard, alors que Jacques l'aîné de Pierre Munier est devenu un négrier voguant sur les mers en quête de la fortune, Georges le cadet revient sur son île natale avec un objectif chevillé au corps : lutter contre la barbarie des préjugés coloniaux et le racisme. En effet, si durant son séjour parisien Georges a voyagé dans les capitales européennes et a acquis toutes les armes nécessaires pour se conduire honorablement dans le monde, c'était dans le seul but de « dépasser ses compatriotes mulâtres et blancs, et pouvoir tuer à lui tout seul le préjugé qu'aucun homme de couleur n'avait encore osé combattre ». Et lorsqu'il tombe amoureux d'une jeune fille blanche et s'aperçoit qu'elle est aimée du fils Malmédie, un homme qui porte au plus haut point le racisme qu'il est venu combattre, la lutte prend dans son cœur un intérêt encore plus grand. 

            Dans ce combat acharné pour conquérir sa belle et châtier les colons racistes, Georges aura le précieux concours d'un groupe d'esclaves qui préparaient une révolution libératrice. Mais très vite, il deviendra un fugitif poursuivi par des esclaves noirs dressés à la chasse aux nègres marrons et qui servaient d'auxiliaires à l'armée coloniale et aux négriers.

                                Les enseignements à retenir du roman

            Georges est un roman tout à fait magnifique. Un récit haletant. C'est le premier d'Alexandre Dumas. Il y montre déjà qu'il a sans conteste l'art d'agencer les rebondissements qui font un excellent récit d'aventure. Ce qui distingue cette œuvre de celles qui l’ont suivie, c'est la volonté de l'auteur d’y proclamer de manière officielle sa négritude devant tous les Français blancs. Par la bouche de son héros – quarteron comme lui – il semble leur dire fièrement « que ces noirs, dont vous parlez avec tant de mépris, sont mes frères, à moi ». Toutefois, au-delà de cette proclamation et des critiques sévères  contre les préjugés racistes humiliants à l'égard des Noirs et des mulâtres, le livre retient l'attention aussi par ses cinglantes et abondantes critiques à l'encontre des Noirs. 

            La critique du camp des opprimés apparaît d'une part dans le caractère très disparate de la famille Munier : Pierre Munier, le père métis, est un homme enchaîné à l'habitude d'obéir aux Blancs dont il considère la supériorité à la fois comme un droit acquis et un droit naturel ; Jacques l'aîné, devient un capitaine négrier parce que toute sa vie il a vu vendre et acheter des nègres et « pensait donc, dans sa conscience, que les nègres étaient faits pour être vendus et achetés ». C'est donc sans scrupule qu'il s'allie aux Blancs pour continuer la prédation de l'Afrique. Gorges, par contre, est « un conspirateur idéologue » qui consacre sa vie à lutter contre les préjugés raciaux. Ces trois personnages, reflets de trois aspirations ou convictions, sont de toute évidence les trois visages que présentent aujourd'hui encore les Noirs de France et d'Afrique. D'autre part, Alexandre Dumas montre clairement pourquoi les Noirs ne triomphent jamais des Blancs : malgré « toute cette supériorité de caractère donnée par Dieu, d'éducation acquise sur les hommes », ils ont un instinct qui les pousse à « aimer mieux l'eau-de-vie que la liberté » ; ils préfèrent s'entretuer plutôt que de s'entendre devant l'adversité ; enfin, ils sont facilement manipulables par les Blancs. Les nombreux exemples qu'il donne pour illustrer ses affirmations convaincront les Noirs qu'ils n'ont guère évolué depuis le XIXe siècle.

Raphaël ADJOBI      

Titre : Georges, 496 pages

Auteur : Alexandre Dumas

Editeur : Gallimard, collection Folio classique 2003.

              *Georges, 1843, est le premier roman d'Alexandre Dumas.             

31 août 2015

La France noire (association loi 1901)

                            L A   F R A N C E   N O I R E

                                              (Association, loi 1901)

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Afin de promouvoir d'une part la commémoration de l'abolition de l'esclavage chaque 10 mai et d'autre part les figures illustres noires et leur contribution à la grandeur de notre pays, une association est née : La France noire.                               

L'absence de figures noires dans le paysage historique de notre pays est difficilement compréhensible, d'autant plus que nombreux sont les Noirs qui ont été, par le passé, hissés au rang de héros. Pourquoi donc les manuels d'histoire les ont-ils exclus de notre enseignement, privant une catégorie de nos enfants et petits-enfants de références valorisantes ? 

Nous ne pouvons pas nous contenter de déplorer cette blessante réalité ; si nous n'agissons pas nous en devenons les complices. La France noire fait donc appel à vous pour un devoir moral : donner un sens à l'avenir de tous nos enfants en les rendant fiers de leur passé. 

Vous pouvez, Noirs et Blancs, aider La France noire à atteindre ce but en lui accordant votre soutien ou en la rejoignant. Avec une cotisation annuelle de 10 € ou un don de votre choix, vous nous aiderez à commémorer le 10 mai 2016 l'abolition de l'esclavage avec une grande exposition, dans l'Yonne, sur les Français noirs illustres. Exposition qui sera ensuite prêtée aux enseignants des lycées et collèges comme prolongement des œuvres qu'ils auront étudiées. Vos cotisations ou vos dons nous permettront aussi de participer au financement - comme le font d'autres associations françaises - des sorties scolaires sur les sites historiques mettant en évidence la contribution des Noirs à l'Histoire de France. Ce sera la meilleure façon d'encourager les enseignants à introduire dans leur pratique des œuvres qui parlent des Noirs.    

N'apprenons pas seulement le passé des Français blancs ; apprenons aussi le passé des Français noirs ! Avec La France noire, inscrivons enfin l'œuvre des résistants et des combattants noirs dans l'histoire de notre pays et dans la culture de tous nos enfants. Votre adhésion ou votre contribution volontaire participera donc à promouvoir une plus grande fraternité dans notre pays.            

      Le président                                 La secrétaire et trésorière

     Raphaël ADJOBI                                    Françoise PARRY

REJOIGNEZ-NOUS ICI : lafrancenoire.com 

courriel : lafrance.noire@gmail.com                                Tel : 06.82.22.17.74

24 décembre 2015

Le lourd héritage du passé raciste du Musée de l'homme

   Le lourd héritage du passé raciste du Musée de l’homme

    Le Musée de l’homme a rouvert ses portes en octobre 2015  après six ans et demi de fermeture pour travaux. Fondé en 1938, cet illustre département du Muséum national d’histoire naturelle (juin 1793) a été essentiellement nourri par les idées et les travaux racistes du XIXe siècle et du début du XXe que l’on tente aujourd’hui de cacher sous le vernis du souci de la connaissance de la diversité humaine. N’oublions pas que toutes les recherches qui ont installé la réputation de la maison dont il dépend tendaient avant tout à prouver la supériorité de la « race blanche ». Aussi, les nègres y furent nombreux à servir de rats de laboratoire aux anthropologues racistes de ces lieux. Saartjie Baartman (La Vénus hottentote – 1789-1815), originaire de la région sud de l’Afrique, est passée par là. Il me plaît de vous proposer ici l’article de Frédéric Keck publié dans Le Monde des livres le 22 octobre 2015 (Le lourd héritage du Musée de l’homme).

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    Les musées ont une histoire, qu’on ne saurait réduire à une trajectoire linéaire. Cela est d’autant plus vrai pour le Musée de l’homme, Palais Chaillot, à Paris. Le jour de sa réouverture, le 15 octobre, le Muséum national d’histoire naturel, dont il dépend, publiait la traduction de l’ouvrage d’une historienne américaine, spécialiste de l’Empire colonial français en Afrique, Exposer l’humanité. Race, ethnologie & empire en France (1850-1950).
    Un peu comme ce qu’a fait l’Américain Robert Paxton pour l’histoire du régime de Vichy (La France de Vichy, Seuil, 1971), l’historienne Alice Conklin établit les archives d’un passé controversé, montrant que le Musée de l’homme a toujours porté un lourd héritage, celui de ces collections de crânes, issues de l’anthropologie raciste datant du XIXe siècle.
    Le fondateur du Musée d’ethnographie du Trocadéro, en 1878, Ernest Théodore Hamy, enseignait en effet l’anthropologie au Musée d’histoire naturelle à partir de l’observation de ces crânes. Il était membre de la société d’anthropologie fondée par Paul Broca, laquelle sombra, après la mort du grand biologiste, dans le racisme. Nous étions en pleine affaire Dreyfus. Quelques années plus tard, les successeurs d’Hamy à la direction du Musée d’ethnographie, les médecins René Verneau et Paul Rivet, quittèrent la société d’anthropologie, dont ils condamnaient les thèses sur l’influence déterminante de la taille du crâne. Ils organisèrent des missions scientifiques aux Canaries ou en Amérique du Sud pour décrire la diversité des formes linguistiques et culturelles de l’humanité. Les alliances avec la sociologie d’Emile Durkheim, à travers Marcel Mauss et Lucien-Lévy-Bruhl, et avec la muséographie renouvelée par Georges-Henri Rivière, permirent à Paul Rivet de construire un nouveau Musée de l’homme, en 1937, au lendemain de l’exposition universelle.

                                                   Part maudite

    L’anthropologie raciste revint cependant sous l’Occupation, à travers la figure de Georges Montandon, chercheur au Muséum national d’histoire naturelle, dont Alice Conklin montre l’influence sur l’anthropologie française de l’entre-deux-guerres. La teneur des publications de ce chercheur né en Suisse en 1879, membre de l’école de l’anthropologie de Paris et conservateur du Musée Broca, était ouvertement raciste. En compétition avec Marcel Griaule pour la première chaire d’ethnologie de la Sorbonne, il voulut remplacer Paul Rivet à la tête du Musée de l’homme. Il conduisit des examens anthropométriques au camp de Drancy. Et fut finalement abattu par la résistance en 1944.
    Cette part maudite de l’histoire du Muséum contraste, de manière troublante, avec les faits de résistance des chercheurs du Muséum de l’homme exécutés par l’occupant allemand ou le courage des élèves de Mauss morts au combat. Si la postface d’Alice Conklin prend parti dans les tensions présentes entre les deux musées, cet ouvrage superbement illustré offre surtout un regard neutre sur une histoire qui suscite encore des passions nationales.

Frédéric Keck

17 février 2016

La France de Charlie Hebdo et la notion de liberté (illustrations : Hani Abbas, Rania de Jordanie ; réflexion : Raphaël ADJOBI)

La France de Charlie Hebdo et la notion de liberté

(illustrations : Hani Abbas, Rania de Jordanie ; analyse et réflexion de Raphaël ADJOBI)

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Les images présentées ici se rapportent toutes à "Charlie Hebdo" qui – adulé par un grand nombre de Français depuis un an – continue à tirer sur tout ce qui ne ressemble pas à la France et au monde qu'il aime. Ce journal peint Christiane Taubira sous les traits d'un animal qui évoque une Afrique sauvage dans l'imaginaire français sans susciter la moindre  indignation. D'ailleurs, la droite extrême de la France a fait de cette caricature l'emblème de l'affirmation de son racisme qu'elle qualifie de décomplexé comme pour lui conférer plus d'animosité et d'irrévérence. Dans le même esprit, le 14 octobre 2015, une élue de Talant - banlieue de Dijon (Côte d'or / Bourgogne) - Marie-Ange Meyer, avait partagé sur sa page Facebook la Une de Valeurs actuelles sur laquelle figurait Christiane Taubira en ajoutant en commentaire : "qu'elle reparte dans sa brousse, les lianes l'attendent". Quand la mort du petit Aylan sur une plage de la Méditerranée a donné à "Charlie Hebdo" des idées plus macabres que la mort - Aylan mort, c'est un tripoteur de fesses en moins ! - le dessinateur palestinien Hani Abbas a décidé de lui répondre en dressant son exact portrait de la plus magnifique des façons ! Un coup imparable qui montre que le talent n'est pas du côté du journal français. De son côté, Rania de Jordanie a tenu par un dessin à signifier à ce journal, aux pensées excessivement primaires, que la France jouit depuis toujours de la contribution des talents des immigrés. Quant à moi, peu doué pour le dessin, je vous livre ma réflexion sur le comportement de ceux qui ne jurent que par la liberté d'expression alors même que leur inculture les empêche de la définir avec précision. 

 "Aylan mort, c'est un tripoteur de fesses en moins", dixit Charlie Hebdo

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Si seulement chacun faisait sienne cette idée que « notre liberté s'arrête là où commence celle des autres », nous éviterions bien des conflits de cohabitation, d'affrontements dévastateurs. Par ailleurs, si nous avions et respections des valeurs en accord avec cette idée et pouvions clairement les énoncer pour montrer aux uns et aux autres la droiture de notre être et de notre manière de faire, notre vie avec les autres n'en serait que plus harmonieuse. 

            Au début du mois de février 2016, une association musulmane du nord de la France a déprogrammé la venue de trois conférenciers étrangers pour ne pas briser la cohésion nationale autour de l'état d'urgence en vigueur. En effet, l'un des conférenciers était connu pour être un farouche opposant au mariage homosexuel. Cette volonté de ne pas inutilement jeter de l'huile sur le feu avait été appréciée par les gouvernants de notre pays. 

            Malheureusement, cette bonne volonté de ne pas mettre le pays en danger, et donc de respecter la liberté des autres, n'est pas le souci de tout le monde. Habitués à jouir des privilèges sans bornes et par conséquent à jouer aux enfants gâtés, certains ont, depuis longtemps, foulé à leurs pieds toutes les barrières de la cohésion sociale et nationale pour faire place à leurs désirs insatiables, à leur égo surdimensionné. Pour Charlie Hebdo et pour tous ses soutiens qui portent en bandoulière leur racisme ancestral, leur inculture et leur imbécilité comme la marque indélébile du Français le plus nombriliste inimaginable, la liberté est synonyme d'absence de contraintes à l'égard de l'autre dès lors qu'il s'agit de quelqu'un qui ne leur ressemble pas. Parce que l'autre est issu ou rappelle par son physique une contrée lointaine, parce qu'il est d'une couleur différente ou ne pense pas comme eux, ils se donnent le droit de dire et de faire ce qu'ils veulent. Attitude qui relève plutôt de l'égoïsme que de la liberté. 

            Tout homme est esclave de ce qui a triomphé en lui et fait de sa liberté acquise un prétexte pour nuire à son semblable. « Prenez garde de ne pas être détruits les uns par les autres » au nom de la liberté, dit la parole biblique (Galates, ch.V-v.15). Oui, toute liberté a ses limites. Celui qui clame être libre de dire ou de faire telle ou telle chose doit être capable en même temps de déterminer les limites de cette liberté affirmée. Certains croient qu'ils sont libres parce qu'ils transgressent les principes moraux, les interdits. Qu'ils sachent que quiconque est incapable de définir les limites de la liberté qu'il affirme est sous l'empire de son égoïsme, de son moi qu'il aime par dessus tout. 

            On voudrait que les enfants aient des valeurs qu'ils respectent. Cependant, les adultes de Charlie Hebdo refusent d'avoir des valeurs, d'être environnés de valeurs que leur cœur et leur conscience respectent. Quelles sont les valeurs qui délimitent la liberté de Charlie Hebdo et de ses défenseurs ? Le jour où ces adultes demeurés des enfants égoïstes – qui n'ont que la liberté à la bouche pour éviter de réfléchir – énonceront clairement ce qui a de la valeur à leurs yeux, ils auront planté le premier drapeau délimitant l'espace de leur liberté.                         

            A chacun de vous je pose ces questions, en vous regardant droit dans les yeux : où sont les limites de la liberté de la France qui lâche des bombes sur les contrées étrangères ? Où sont les limites de la liberté de la France qui foule à son pied la constitution d'un pays étranger en substituant à sa décision la sienne* ? Il appartient à chacun de se demander si les actes de notre pays à l'encontre des autres nations ne sont pas assurément l'expression d'un égoïsme inavoué mais bien évident au regard de la conscience humaine. Celui qui offense gaiement l'autre au nom de la liberté se dispose à tuer au nom de cette même liberté alors que la sienne n'est nullement menacée. Quiconque repousse trop loin l'espace de son champ de liberté doit s'attendre à rencontrer une farouche animosité.   

* En 2010, le Conseil constitutionnel de la Côte d'Ivoire avait déclaré élu président de la République le socialiste Laurent Gbagbo. La France, dirigée alors par Nicolas Sarkozy, fit bombarder le palais présidentiel en avril 2011 pour l'en extirper et installa Alassane Ouattara sur le siège présidentiel. Ce dernier nomme en janvier 2016 le Français Philippe Serey-Eiffel, 58 ans, ministre auprès de la présidence chargé des grands projets, confirmant ainsi qu'il est l'instrument de la France pour veiller sur ses intérêts en Côte d'Ivoire.    

Raphaël ADJOBI

  

6 mars 2016

Notre mal vient de plus loin, penser les tueries du 13 novembre (Alain Badiou)

                    Notre mal vient de plus loin

                    penser les tueries du 13 novembre

                                              (Alain Badiou)

Alain Badiou 0008

            Maintenant que nous avons tous séché nos larmes et consolé les nôtres, maintenant que nous avons moins les nerfs à fleur de peau, prenons le temps de nous parler les yeux dans les yeux, à cœur ouvert, raisonnablement.

            Au lendemain des attentats qui ont endeuillé Paris et la France entière, quiconque aurait exprimé son désir de comprendre ce qui nous arrivait serait apparu aux yeux de beaucoup comme celui qui excusait le crime. Maintenant que la vie a repris son cours, il faut réellement chercher à comprendre pour ne pas paraître un sot pour qui l'expérience n'est jamais une leçon pour l'avenir.

            Souvenons-nous que c'est notre président qui, d'un air martial avait lancé « il faut châtier Bachar el Assad ! » comme on disait jadis « sus à l'ennemi ! » Nous avions alors commencé à lancer des bombes sur la Syrie. Et quand la Russie a pris la décision d'engager à son tour ses avions dans les combats dans ce pays, nos autorités n'ont pas manqué de dire, d'un ton moralisateur, qu'il serait bon de vérifier si les Russes bombardaient bien Daech et non les autres opposants à Bachar el Assad ; ceux que l'Occident soutient. Et lorsque l'avion commercial russe s'est écrasé dans le désert du Sinaï, les médias français avaient immédiatement rattaché l'accident à l'intervention de ce pays en Syrie. Les enquêtes leur ont totalement donné raison.

            Chose surprenante, voire choquante, a été de constater qu'après les attentats du 13 novembre 2015, personne n'ait osé montrer du doigt les actions de nos autorités politiques en Syrie ! Nous sommes prompts à voir la paille dans l'œil de l'autre mais incapables de voir la poutre qui nous crève les yeux ! Tels nous sommes, en France. C'est bien connu : tout le monde nous en veut ; tout le monde jalouse notre démocratie, notre liberté ! Et pour cette dernière, nous sommes prêts – à ce qu'il paraît – à autoriser l'Etat à la gérer, à la contrôler.

            La question que quelques rares personnes se posent désormais est celle-ci : les vagues de mesures prises pour protéger nos libertés sont-elles les bonnes pour prévenir le type d'attaque que nous avons connue ? Et quand bien même nous céderions toutes nos libertés entre les mains de l'Etat, serions-nous pour autant en totale sécurité ?

            A vrai dire, ce que nous avons de mieux à faire est d'ouvrir les yeux pour analyser avec une grande lucidité ce qui nous est arrivé le 13 novembre 2015. Et c'est exactement ce que nous propose le philosophe Alain Badiou dans ce petit essai au ton franc et sans doute dérangeant pour beaucoup. Il n'y a pas de fumée sans feu, dit l'adage. Disons que c'est souvent le cas. Les Anglais ont manifesté pour s'opposer à la décision de leurs autorités d'envoyer des avions en Syrie. Qu'avons-nous fait en France ? Comment pouvons-nous bêtement croire que les bombes que nos dirigeants décident de lâcher sur les villes syriennes ne tuent que les sataniques barbus armés jusqu'aux dents ? Comment pouvons-nous ne pas avoir l'intelligence de comprendre que les Syriens qui arrivent chez nous fuient la même chose que nous avons subie le 13 novembre 2015 ? Comment pouvons-nous nous croire avisés ou sages quand nous regardons indifférents nos pays occidentaux défaire allègrement des états en Afrique et dans le monde arabe et y installer la désolation pour des intérêts économiques ? Comment peut-on s'arroger le droit de dire que tels humains doivent être défendus et tels autres doivent recevoir des bombes sur leur tête ?

            Alain Badiou nous appelle à être moins ignorants de la géopolitique – la grande faiblesse des Français – et des enjeux actuels qui agitent le monde. Les gouvernants européens ne gouvernent plus rien, ni ici ni ailleurs. Ils ne sont que les agents du jeu de la géopolitique dont les rênes sont entre d'autres mains. Ce petit livre vient nous ouvrir les yeux sur les causes du délitement des sociétés occidentales et des méfaits du capitalisme mondialisé aux allures outrageusement impérialistes. Lire ce livre, c'est voir plus loin et mieux découvrir ce qui nous entoure pour agir efficacement sur le monde, au lieu de demeurer dans l’affect et prôner l’édification de barrières de protection mentales et physiques !  

Raphaël ADJOBI             / Vidéo d'Alain Badiou

Titre : Notre mal vient de plus loin, Penser les tueries du 13 novembre, 63 pages

Auteur : Alain Badiou

Editeur : Ouvertures Fayard, janvier 2016, 5 euros

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