Le racisme anti-Blanc,
le nouveau fantasme des Français blancs
Après avoir – durant ces quinze dernières années – prospéré sur le lit de la négation des méfaits de la traite atlantique et de l’esclavage des Noirs – négation ayant abouti à la proclamation nationale des bienfaits du colonialisme – voici que des Français blancs enfourchent un nouveau cheval de bataille : le racisme anti-Blanc.
En effet, selon cette catégorie de citoyens, il y aurait trop de « racisme anti-Blanc » en France, que les Blancs souffriraient quotidiennement de l'animosité, voire du rejet des Noirs. Aujourd’hui, le résultat de leur propagande sur les ondes est incontestable : il n’est plus rare d’entendre un Français blanc affirmer, parlant d’un collègue ou d’un voisin noir, qu’il est raciste, qu’il n’aime pas les Blancs. Il se raconte même dans de nombreux cercles que Christiane Taubira - la Garde des sceaux et ministre de la Justice - est raciste, qu’elle n’aime pas les Blancs.
Cette nouvelle conception du racisme tendant à imposer une nouvelle vision de la société française mérite une analyse sérieuse afin d'éviter un débat stérile préjudiciable à tous. Sans entrer dans des conjectures inutiles, nous pensons que l'analyse de ce phénomène doit se limiter à cette démarche simple : avant même de considérer la réalité des faits sur le terrain, il convient de voir si, aujourd'hui, le Noir peut être raciste comme le Blanc.
Un Noir peut-il être raciste ?
Avant toute chose, nous pouvons assurer que le fait qu’un Blanc ou un Noir affirme qu’il n’aime pas telle ou telle personne ayant une couleur de peau différente de la sienne n'a jamais été considéré, et ne doit pas être considéré comme une marque de racisme. On peut aimer ou ne pas aimer qui l'on veut. Cela, nous l'admettons tous, Noirs et Blancs. C’est seulement lorsqu’un Noir dit « je n’aime pas les Blancs » et un Blanc dit « je n’aime pas les Noirs » que nous sommes tentés de croire qu'ils sont tous deux racistes ? Et pourtant ce n’est pas le cas ; car la différence est très grande entre les deux pensées, les deux esprits qui produisent le même discours. Vous écarquillez certainement les yeux d'étonnement ? Pour vous éviter de lever les bras au ciel en criant au scandale, recourons à la définition éclairante d'un dictionnaire afin de mieux analyser et bien saisir cette différence.
Le Petit Robert dit du racisme qu’il est la « théorie de la hiérarchie des races, qui conclut à la nécessité de préserver la race supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres ». C’est, ajoute-t-il, « un ensemble de réactions qui, consciemment ou non, s’accordent avec cette théorie ».
Nous référant à cette définition et à ce que nous enseigne l’Histoire, nous pouvons affirmer que lorsqu’un Blanc dit « je n’aime pas les Noirs », il puise – consciemment ou non – dans la pensée française et européenne des références culturelles, historiques et symboliques qui soutiennent son sentiment ; sentiment que les Noirs à qui il s’adresse lisent très bien. Son affirmation n’est donc pas gratuite parce qu’elle n’est pas vide de sens. Ayant enseigné l’espagnol pendant une vingtaine d’années dans un collège, je peux assurer ici que tous les ans – sans exception – lors de la leçon sur les couleurs, l'énonciation du mot « negro » a immanquablement généré des rires et des œillades complices entre certains de mes élèves blancs. C’est la preuve irréfutable qu’il y a des mots, des expressions, des gestes qui ont – à l'égard des Noirs – un sens défavorable et méprisant dans la conscience collective des Blancs. « Ce n’est qu’un nègre, une guenon, un macaque, il est sale, jetez-lui une banane, qu’il aille grimper à son arbre… » ! Ce sont là des mots et des expressions qui, dans l’imaginaire des Blancs et dans celui des Noirs, coïncident avec la construction minutieuse établissant la supériorité de l’homme blanc sur l’homme noir.
Par contre, les Noirs n’ont jamais théorisé sur le racisme, sur la supériorité de la couleur de leur peau au point d’avoir construit des mécanismes et des comportements établissant et perpétuant cette supériorité. Dès lors, lorsqu’un Noir dit « je n’aime pas les Blancs », il ne fait tout au plus qu’exprimer un « racisme » primaire, c’est-à-dire, un racisme non élaboré, un racisme qui n’a aucun sens puisqu’il ne repose sur aucune référence culturelle, historique ou symbolique pouvant permettre au Blanc auquel il s’adresse de lire la réalité de son sentiment. Et ce qui n’a pas de sens, parce que vide, ne peut pas être du racisme ! Le prétendu racisme du Noir n'est donc tout simplement que du ressentiment plus ou moins violent pouvant aller jusqu'à la haine. C'est d'ailleurs ce ressentiment que les jeunes noirs et arabes expriment dans les formules « j'ai la haine » et « j'ai la rage ».
Voilà donc clairement démontrée la vacuité du racisme dans l’esprit du Noir ! Celui-ci est exempt de toute construction théorique véhiculant des images avilissantes pour le Blanc, mais plein de ressentiment pour l’injuste traitement dont il est l’objet. Le Blanc qui en douterait est appelé à prouver l’existence d’une construction raciste des Noirs à l’égard des Blancs avec un chapelet de formules avilissantes qui en découleraient.
Le racisme anti-blanc n’existe donc pas ! C’est une invention de l’esprit qui n’a aucun sens parce qu’elle n’a pas de contenu. Elle est vide ! Elle est vide de toutes les références dont nous avons parlé plus haut. Celui qui n’a jamais vécu dans une société comme un élément d’une minorité écrasée par une majorité de couleur de peau appelée « race » n’a pas le droit d’affirmer qu’il est victime de la discrimination raciale de ses concitoyens. Car le racisme est un phénomène de groupe, de majorité phénotype (couleur de peau) ou de pouvoir politique fort assurant la suprématie d'une couleur et qui use de critères, de comportements et d’un langage particulier pour signifier à l’autre son infériorité*. C’est dire que les mots et les usages racistes ou discriminants tendent à établir une ligne de démarcation consciemment admise par le groupe majoritaire ou fort qui tente de l’imposer au groupe minoritaire ou faible.
Comment le Français blanc peut-il dire qu’il est victime du racisme des Noirs quand il n’a jamais été refusé – ou jamais eu le sentiment de l’avoir été – dans un établissement scolaire, un magasin, un restaurant, un hôtel, une boîte de nuit à cause de la couleur de sa peau ? En effet, le jour où, sur cette terre de France, des hommes et des femmes auront le sentiment clair et persistant qu’ils ont perdu leur emploi ou qu’ils n’ont pas été embauchés parce que le patron leur a signifié que leur présence ferait fuir ses clients, qu’ils n’ont pas été admis dans un hôpital ou une administration, que le logement annoncé libre au téléphone dix minutes plus tôt ne l'est plus parce qu’ils ont la peau blanche, alors nous commencerons à parler de racisme anti-Blanc. Pour l’heure, aucun Français blanc ne peut affirmer avoir été victime d’une de ces injustices à cause de la couleur de sa peau.
Le racisme anti-blanc est donc non seulement une invention de l’esprit mais surtout un véritable fantasme que quelques personnes agitent pour se faire peur et pour cacher par la même occasion la réalité sociale et politique qui n’est absolument pas favorable à leurs compatriotes noirs. C'est en réalité une peur imaginaire inventée pour prévenir tout éventuel projet de discrimination positive pour les Noirs. Il est évident que l'on ne peut accorder des faveurs ou faire de la place à celui qui fait déjà peur.
Les Noirs poussés à l'autocensure
Malheureusement, outre le fait que ce comportement freine la mise en place de mesures permettant une meilleure insertion des Noirs dans le tissu social et politique français, il a réussi à pousser bon nombre d'entre eux à se regarder d’un œil suspicieux. Oui, depuis quelque temps, nous avons remarqué qu’avant de s’engager dans quelque action, les Noirs ont tendance à s’étudier, à s’assurer que rien de ce qu’ils diront ou feront ne sera interprété par la majorité blanche comme un communautarisme anti-Blanc. Pris au piège de l’autocensure, ils refusent de participer à la commémoration publique de l’abolition de l’esclavage ; ils s’abstiennent de toute revendication liée aux multiples injustices dont ils sont victimes, pour ne pas être taxés de communautarisme. En un mot, tout regroupement de Noirs français leur est devenu insupportable.
On constate aussi que dans l'art romanesque, les Noirs préfèrent les fictions n’ayant aucun rapport avec l’Histoire parce qu’ils ont peur d’être accusés par leurs compatriotes blancs de ne s’intéresser qu’à l’esclavage et au colonialisme. Ils ne veulent pas qu’on les accuse de ne remuer que le passé nauséabond de la France. Ils ont peur qu'on les accuse de ne pas aimer les Blancs, d'être traités de « racistes anti-Blanc ».
A force de s’étudier afin d’avoir un comportement qui plaît à la majorité blanche, les Noirs de France ont abandonné l’écriture de leur histoire, l’écriture du passé nègre de la France. Ce sont finalement leurs compatriotes blancs qui s’appliquent à ressusciter dans des romans ou des essais les figures célèbres de l’histoire de France ou des récits qui rendent compte de la dureté et de l'inhumanité de la traite négrière et de l’esclavage. Mis à part Claude Ribbe, Raphaël Confiant, Serge Bilé, Louis-Georges Tin et quelques autres, ce sont les Français blancs qui sont devenus les plus grands pourfendeurs du racisme dans leur pays, les plus grands propagateurs de la contribution des Noirs à la grandeur de l’Histoire de France. Odile Tobner s’est intéressée au racisme ambiant en France (Du racisme français, 2007) et les travaux de Marylène Patou-Mathis (Le Sauvage et le Préhistorique…, 2011) ont éclairé la construction scientifique du racisme en Europe. Et c'est Pascal Blanchard (La France noire) qui assure sur les ondes la promotion de la dénonciation de cette injustice. En 2009, avant Lilian Thuram, Benoît Hopquin (Ces Noirs qui ont fait la France) a brossé les portraits des Noirs illustres de France depuis le chevalier de Saint-Georges (XVIIIe siècle) jusqu’à Aimé Césaire (XXe siècle). Olivier Merle (Noir négoce, 2010) et Philippe Vidal (Les montagnes bleues, 2014) ont sans doute produit les plus beaux romans sur l’esclavage en ce début du XXIe siècle. Quant à Didier Daeninckx, deux de ses romans sur l’histoire des Noirs (Cannibale, Galadio) sont aujourd’hui des classiques qui font le bonheur des collégiens et des lycéens. A sa manière, Sophie Chérer (La vraie couleur de la vanille, 2012) a redonné vie à l'esclave Edmond Albius comme André Schwartz-Bart l’a fait pour La mulâtresse Solitude (1972). Nelly Schmidt (La France a-t-elle aboli l’esclavage, 2009) et Jacques Dumont (L’amère patrie, 2010) nous ont peint le parcours du combattant des « nouveaux libres » de la France. Quant à Caroline Oudin-Bastide (Des juges et des nègres, 2008) et Mohamed Aïssaoui (L'affaire de l'esclave Furcy, 2010), ils se sont plongés dans les affaires judiciaires pour mieux montrer à quel point la justice était un vain mot pour les esclaves et les colonisés…
Pourquoi le fait que les Noirs exhument le passé peu honorable de la France ou critiquent sa politique coloniale, comme leurs compatriotes blancs, doit-il être regardé comme un crime contre leur pays ou un racisme anti-Blanc ? Pourquoi souligner le génie ou l'héroïsme de leurs ancêtres serait-il un affront à la grandeur de la France ? Pourquoi doivent-ils s'interdire de se joindre au combat contre le racisme dont ils sont l’objet ? Pourquoi seuls les Blancs semblent-ils autorisés à mener ce combat ? Pourquoi la critique du racisme dans la bouche d'un Noir est-elle automatiquement comprise comme une attaque des Blancs ? C'est malheureusement le triste spectacle auquel on assiste dans les débats politiques et sociaux sur les chaînes de télévision.
Et pourtant, comme nous l'avons démontré – et cela sera vrai jusqu'à ce que le contraire soit prouvé – un Noir ne peut pas être raciste à l’égard d’un Blanc, parce qu’il ne possède pas les outils pour l’être. Exprimer son ressentiment face à celui qui vous méprise ne peut absolument pas être pris pour du racisme car le ressentiment fonctionne exactement comme l'amour de soi : une protection qui signifie que l'on refuse de mourir, de disparaître.
Les Noirs de France doivent donc résolument cesser de se laisser impressionner par ceux qui agitent le « racisme anti-Blanc » à tout vent contre leurs revendications d’une plus grande égalité et d’une meilleure fraternité.
Retenons aussi que le Blanc n’est devenu raciste qu’après la construction des théories établissant une hiérarchie des humains sur la base de leur couleur ; théories racistes popularisées par l’enseignement et l’éducation. Avant cette époque, on ne disait point « les Blancs », « les Noirs », « les Jaunes »... mais les Ethiopiens, les Egyptiens, les Nubiens, les Maures, les Chinois... Avant cette époque, le Blanc était comme le Noir : il avait des préjugés fluctuant avec le temps mais n’était pas raciste.
*« Le racisme, en effet, n’est pas seulement affaire de sentiments, de morale, mais aussi et surtout de pouvoir. Celui de vous empêcher de vous loger ou d’obtenir un emploi, celui de faire en sorte que vous ne soyez ni vu ni entendu, celui de parler à votre place, celui de vous soumettre à des contrôles d’identité intempestifs, etc. [...] C'est une arme de destruction sociale et psychologique »(Léonora Miano – Afropea, éd. Grasset, 2020).
Raphaël ADJOBI