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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
5 février 2009

Race et esclavage dans la France de l'Ancien Régime

Race_et_esclavage                Race et esclavage

 

Dans la France de l’Ancien Régime

 

            Pierre H. Boulle, Français d’origine mais ayant accompli toute sa carrière universitaire outre-Atlantique, entreprend dans ce livre des recherches sur l’origine du racisme français. Le sujet avait également retenu l’attention d’Odile Tobner dans son livre Du racisme français. Mais ici, il n’est point question de la dénonciation d’une pratique mais la recherche de son histoire et des courants qui l’ont nourrie². 

            Dans un premier chapitre, Pierre H. Boulle nous montre comment s’est construit le concept de race qui s’est insinué dans toute la société et la culture française. Certes, depuis le début de la traite négrière au 16è siècle, les rapports entre les Blancs et les Noirs étaient entachés par toutes sortes d’inégalités, d’injustices flagrantes et d’actives cruautés ; et il est certain que la différence de couleur y était pour quelque chose. Toutefois, ce n’est qu’à partir du 18è siècle que l’on a commencé à théoriser sur l’existence de « races naturellement prédominantes et de races naturellement débiles » en se basant sur les connaissances des sciences naturelles de l’époque qui se voulaient « objectives » et immuables à l’image de la physique de Newton. L’auteur fait remarquer que le succès des chapitres « De la nature de l’homme » et « variété dans l’espèce humaine » de la volumineuse Histoire naturelle, générale et particulière (1749-1788) de Buffon et les travaux de François Bernier sur la « Nouvelle division de la Terre » en « quatre ou cinq Espèces ou Races d’hommes » ont contribué à conforter les phénomènes racistes qui se manifestaient et se multipliaient dans la société des colons venus des Antilles. Les préjugés culturels nés des croyances religieuses ont été ainsi remplacés par des préjugés « racistes » nés de connaissances pseudo-scientifiques affirmant que le « noir » s’était séparé du type européen originel par l’effet du climat. On peut donc affirmer que la responsabilité de l’élite intellectuelle dans l’ancrage du racisme en France est indéniable.

            « Avant l’établissement de l’esclavage aux Antilles, les quelques visiteurs venus d’autres continents étaient considérés en France comme des êtres exotiques, l’objet d’un vif intérêt plutôt que de suspicions ou de peurs. » Le préjugé tiré de la religion selon lequel la couleur noire serait la marque de la malédiction prononcée par notre ancêtre commun était purement d’ordre culturel et non point racial et existait déjà au Moyen âge avant que les Espagnols ne s’en servent pour justifier l’esclavage au 16 è siècle. Avec l’établissement de l’esclavage aux Antilles dans la deuxième moitié du 17è siècle, les comportements vont changer. Le deuxième chapitre du livre montre comment devant le principe selon lequel le droit français ne reconnaît pas l’esclavage sur le sol métropolitain, la question du statut des esclaves et des gens de couleurs libres en métropole devient un sujet de combats politiques et juridiques. La vocation négrière des ports français avait fini par chosifier les Noirs qui étaient devenus des « bois d’ébène », transformant ainsi les victimes en articles ordinaires de commerce. Devant l’introduction en métropole de Noirs qui souvent ne manquaient pas de demander leur liberté sur la base du principe cité plus haut, les planteurs, les négriers et leurs soutiens politiques ne vont pas manquer de les charger de caractères de plus en plus inquiétants aussi bien pour la sécurité publique que pour la pureté du sang blanc. Sous leurs pressions des lois et des mesures administratives naîtront pour opérer une sorte de déclassement moral ou psychologique où le Noir libre est l’étranger par rapport à « la population citoyenne attachée à la France par les liens de patrie et de consanguinité » : Chasse à l’homme et renvoi aux Antilles (aujourd’hui les « charters »), création de « dépôts de noirs » dans les ports en 1777 (aujourd’hui « centres de rétention »), interdiction du mariage mixte en 1778. Le racisme français tire donc également son origine de la politique, des législations et des institutions.

            Le troisième chapitre nous plonge dans le monde des non-Blancs dans la France de la fin du 18 è siècle. Chapitre très intéressant parce qu’il nous montre les multiples visages de la condition des noirs dans la France métropolitaine à la veille de la Révolution.  Les non-Blancs venus des Antilles, d’Afrique et de l’Inde étaient environ 4 à 5000 personnes en 1777, dont 765 à Paris. Cependant, cette maigre population fera l’objet d’une multitude de mesures discriminatoires de la part du gouvernement. Ainsi, sur les 169 non-blanches identifiées à Paris, les deux prostituées qui y figurent ont suffi pour provoquer des mesures de santé publique. Quand bien même les 169 non-blanches seraient toutes des prostituées, note l’auteur, elles n’auraient constitué qu’une goutte d’eau par rapport aux 10 000 à 15 000 prostituées et libertines blanches recensées dans cette ville. Ce chapitre nous donne un aperçu des liaisons et des mariages mixtes ou le plus souvent l’homme est noir et la femme blanche. Ce chapitre nous donne aussi un aperçu des activités des noirs : domestiques, perruquiers, pâtissiers, couturières, de nombreux cuisiniers et 94 cuisinières dont 18 esclaves, garçons de bureau dans l’administration, une douzaine d’hôteliers et hôtelières, logeuses, aubergistes. En cette fin du 18 è siècle, on recense vingt-deux enfants et jeunes adultes qui ont reçu une bonne éducation. Parmi eux, trois collégiens (connaissance du latin) et deux étudiants : l’un en chirurgie et l’autre étudiant en « arithmétique et architecture ».

            Tout cela nous permet de croire que le haut niveau d’instruction du chevalier de Saint-Georges, violoniste, compositeur, chef d’orchestre et directeur de théâtre chez le duc d’Orléans, escrimeur de talent et futur comandant des Hussards américains (volontaires de couleurs) aux débuts des guerres révolutionnaires n’était pas un cas isolé dans cette France de la fin du 18è siècle. C’est en effet dans ce dernier chapitre – fait de statistiques et de comptes rendus des registres administratifs – que l’on se rend compte à quel point le racisme français n’a pas été au départ le fait de comportements hostiles de la population blanche mais plutôt un travail des intellectuels, de l’administration et des hommes politiques qui avaient surtout le souci de satisfaire les exigences des colons des Antilles. En mettant en place en métropole des mesures tendant à la fois à leur rendre la vie désagréable et aussi à les discréditer aux yeux de la population,  les hommes politiques ont semé des idées et initié des pratiques que le commun des Français a fini, avec le temps, par considérer comme choses ordinaires et dignes de foi.

            A la lecture de ce livre, il apparaît clair que si les Amérindiens n’avaient pas été incapables d’exploiter la canne à sucre qu’exigeait l’Europe, et si la main d’œuvre européenne n’avait pas été elle-même incapable de suppléer celle des natifs de ce continent, la traite des noirs n’aurait jamais eu lieu et avec elle les préjugés raciaux attachés à l’homme noir d’aujourd’hui. On remarquera cependant que depuis le 18 è siècle, les écrits des Européens ne cessent de souligner la paresse des Noirs. Heureusement, l’histoire nous enseigne que cela fait partie des éléments ordinaires du dénigrement de cette population qu’entretient la mauvaise foi de certains.

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Race et esclavage dans la France      

           de l’Ancien Régime            

Auteur : Pierre H. Boulle    

Edition : Perrin

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12 novembre 2008

Le Rancheador ( journal d'un chasseur d'esclaves)

El_Rancheador                    Le Rancheador

 

          Journal d’un chasseur d’esclaves

 

            J’ai été tout de suite séduit par la qualité de l’introduction du livre faite par Anne-Marie Brenot qui en est également la traductrice. On se rend très vite compte que cette introduction est le travail d’une spécialiste de l’Amérique latine. Son analyse du style du chasseur d’esclaves, celle des détails ayant retenu ou non l’attention de cet employé  témoignent de son habitude à sonder l’histoire des administrations coloniales sud-Américaines ainsi que les habitudes des esclaves.

            Nous savons tous que l’Histoire de l’Amérique latine, et particulièrement celle des îles, est avant toute chose une grande partie de l’Histoire de l’esclavage des Noirs. Mais ce livre qui est le journal d’un chasseur d’esclaves est très original parce qu’il est un rapport d’activité. C’est le rapport d’une activité officiellement reconnue par l’administration coloniale espagnole à Cuba. Cependant, l’auteur  de ce rapport, Francisco Estévez, l’a écrit avec l’intention de se « disculper en cas de médisances et à faire foi devant les autorités en cas de contestations. » Aussi n’hésite-t-il pas à souligner la dangerosité de sa tâche et la célérité dont il fait preuve pour répondre aux sollicitations des planteurs pour qui un esclave qui prend la fuite est un voleur puisqu’il constitue une perte énorme pour son maître.

            Tout en montrant qu’il fait consciencieusement son travail de chasseur d’esclaves marrons  (« Mon unique désire étant leur extermination ») il souligne l’immensité de sa tâche en dévoilant la bravoure et les ruses des esclaves. Il mentionne le nombre de jours qu’il consacre à chacune de ses opérations ou sorties, et il nous découvre par la même occasion que le marronnage n’est pas seulement le fait de quelques esclaves isolés puisqu’il découvre des campements qui comptent jusqu’à 19 cases (p.75), ou d’autres pouvant compter jusqu’à 80 ou 90 personnes (p.68). Le Ranchéador souligne aussi la difficulté qu’il a à trouver des guides, surtout parmi les Noirs libres (p.76).

            Les détails de ce journal montrent à quel point les esclaves qui prenaient la fuite étaient organisés et combien ceux qui restaient docilement dans les plantations étaient majoritairement solidaires de leurs activités nocturnes. Contrairement à ce que l’on croit, les esclaves marrons (en fuite) exerçaient même une pression réelle sur certaines populations blanches qui pour ne pas subir leurs représailles préféraient taire la fuite de leurs esclaves ou la perte des produits de leur élevage ou de leurs champs. Dans ce livre, les dociles esclaves qu’on nous a toujours peints apparaissent des êtres assoiffés de liberté qui sont prêts à tout braver pour la conserver. Ce livre confirme l’idée de certains chercheurs comme Pierre H. Boulle (Race et esclavage dansla France de l’Ancien Régime) et Odile Tobner (Du Racisme Français) qui croient que la multiplication des rebellions des esclavages qui menaçaient l’effondrement du commerce coloniale et la perte des pouvoirs coloniaux ont été les principaux moteurs de l’abolition de l’esclavage. On peut peut-être ajouter que la rencontre de ces rebellions sans cesse renouvelées avec les idées humanitaires de quelques Européens a fait le reste. Plus jamais on ne devrait enseigner aux Africains que l’abolition de l’esclavage est due à la volonté de quelques philanthropes et aux discours persuasifs des intellectuels Européens.

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre   : Le Rancheador (journal d’un

             Chasseur d’esclaves)          

Auteur : Francisco Estévez

             ( Traduit par Anne-Marie Brenot)

Editions :Tallandier

3 juin 2007

Comment la France a perdu l'Afrique

Livre_de_Glaser_et_SmithComment la France a perdu l’Afrique

                            

       (Antoine Glaser et Stephen Smith)

            Ce livre est vivement conseillé à tous ceux qui veulent avoir une vision globale de la politique africaine de la France depuis le début du XX è siècle. C’est en réalité essentiellement l’historique des relations entre la France et l’Afrique sub-sahélienne. On ne peut qu’être conquis par la qualité des analyses d’Antoine Glaser et Stephen Smith qui peignent ici les liens trop étroits entre l’ancien colonisateur et ses anciens colonisés.

 

            Si le commun des Français est loin d’avoir saisi l’importance des événements qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire en novembre 2004, les deux auteurs voudraient l’imprimer dans la tête de leurs lecteurs. Ils n’hésitent pas à comparer le massif encerclement de l’armée française devant l’Hôtel Ivoire à une véritable prise de la Bastille. Les événements de cette journée qui se sont poursuivis jusque tard dans la nuit avec le safari des hélicoptères français tirant sur les manifestants massés sur les deux ponts enjambant la lagune Ebrié ont véritablement sonné, à leurs yeux, la fin d’une ère française en Afrique. Jamais, nulle part en Afrique noire, la France n’a été autant bousculée, huée ! Et sans doute jamais depuis 1960, l’armée française n’a réprimé aussi sauvagement une manifestation dans ces anciennes colonies.

 

            A ceux qui pensent que l’Afrique n’apporte rien à la France et qu’elle n’est pour celle-ci qu’un boulet, ils voudraient leur faire comprendre que c’est l’Afrique qui confère à la France sa notoriété dans le concert des grandes nations. Sans elle, le veto de la France à l’ONU n’aurait aucun sens ; et cela tout simplement parce que la France s’est toujours présentée devant les grandes nations du monde comme le parrain et le porte-parole des pays pauvres d’Afrique. D’autre part, l’Afrique est un marché de consommation pour la France. Enfin, la France s’est toujours octroyé le monopôle des investissements dans ces anciennes colonies ; en d’autres termes, c’est un marché où les investisseurs français ne souffrent pas la concurrence des autres pays développés. Et ce n’est pas rien d’avoir le monopôle des exploitations et des grands travaux dans tous les pays francophones d’Afrique. Enfin, ici et ailleurs dans les revues économiques, on souligne que malgré la crise qui sévit en Côte d’Ivoire, ce pays reste toujours la locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest ; ce qui fait prendre conscience de la pauvreté des autres nations africaines.

 

            Les lecteurs africains trouveront dans ce livre toutes les explications quant à la manière dont la France a été impliquée dans les différents coups d’état survenus en Afrique. Ils sauront également comment la France organise officiellement la désinformation pour rendre les dirigeants africains responsables de tout ce qui leur arrive. En clair, presque rien ne se fait en Afrique francophone sans la bénédiction de la France ou son bon vouloir.

 

            Tous ces éléments et bien d’autres fournis avec force détails - dates et chiffres – font de cet ouvrage un précieux auxiliaire pour tous ceux que passionnent les aventures de la France sur la terre d’Afrique. D’autre part, les auteurs ne manquent pas de citer les sources des informations qu’ils donnent pour appuyer leurs analyses. Sources qui peuvent faire l’objet d’autres lectures.

 

Titre       : Comment la France a perdu l’Afrique

Auteur    : Antoine Glaser et Stephen Smith

Edition   : Calman-Lévy   

 

Raphaël ADJOBI

7 novembre 2009

Les murs de la honte

                                          Les murs de la honte

 

 

            En France, comme certainement ailleurs en Europe, des manifestations sont prévues pour fêter le 20 è anniversaire de la chute du mur de Berlin dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989. Afin que cette commémoration ne soit pas un culte du Mur, France Inter associe aux manifestations l’ensemble des murs qui séparent les hommes à travers le monde. Je m’en réjouis très fort et voudrais ici en faire l’écho.

Mur_Allem_1

 

            Je trouve juste en effet que l’Europe ne se contente pas de se réjouir d’avoir lavé cette honte tout en fermant les yeux sur d’autres murs auxquels elle pourrait trouver quelque vertu. Bravo donc aux journalistes de cette station de radio d’avoir une pensée pour tous ceux qui vivent –délibérément ou par la contrainte - derrière des murs en béton ou en fer.

 

            Le mur de Berlin était un mur idéologique – symbole de la guerre froide entre l’Amérique et l’occident d’une part, et l’Union Soviétique et l’Europe de l’est d’autre part. Celui dressé entre les Etats-Unis et le Mexique ainsi que celui de Rio au Brésil sont des murs anti-pauvreté. Ceux élevés ça et là dans la ville de Bagdad séparant quartiers chiites et sunnites sont des murs de séparation confessionnelle ; celui érigé par Israël est d’ordre ethnique. N’oublions pas le mur idéologique et militaire de cantonnement élevé par les Américains à Bagdad pour se couper de la population irakienne. Tous sont des murs de la honte !

Mur_Israel_2

 

            Entre tous ces murs, celui dressé par Israël revêt deux caractères singuliers. Il est à la fois un mur de séparation ethnique mais aussi un mur d’annexion des terres cisjordaniennes. Sa forme très sinueuse épousant celle des villages palestiniens sans tenir compte des terres que ceux-ci cultivent et qui se retrouvent ainsi derrière le mur du côté Israélien en est la preuve. Il est également un mur d’isolement des palestiniens qui ne peuvent communiquer entre eux de village en village, et un mur d’enfermement psychologique pour les Israéliens eux-mêmes. En effet, ce mur empêche ces derniers de s’intégrer à leur région. Les Israéliens sont ainsi clairement isolés de leur géographie naturelle et ne se voient plus qu’européens (ligue de football européen, Eurovision) ou Américains. Dans leur inconscient, leur pays n’existe pas dans un espace géographique naturel supposant un voisinage et des limites humaines exigeant des efforts de cohabitation.

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            Pour finir, osons cette réflexion tout en pensant au vulgarisateur de l’ethnologie qui vient de nous quitter : Claude Lévi-Strauss. L’égalité entre les hommes que l’on demande à travers la terre entière et dans l’enceinte des frontières des nations n’est nullement une demande de nivellement des états et des conditions des personnes, mais la mise en place de politiques qui permettent à chacun d’avoir la même chance de réussir sa vie. Oui, c’est cela la vraie égalité.

 

Raphaël ADJOBI

26 novembre 2009

Les traites négrières d'Olivier Pétré-Grenouilleau : une analyse de Raphaël ADJOBI

                             Les traites négrières

                                             d'Olivier Pétré-Grenouilleau

                                    Une analyse de Raphaël ADJOBI

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            Voici un livre qui a fait fureur en son temps. Disons plutôt que son auteur a eu l’heure de sa gloire. Porté avec les honneurs sur les ondes françaises, l’homme et ses pensées ont fini par asseoir dans la conscience collective des doutes et affermi les convictions de ceux qui en avaient déjà sur l’esclavage des Noirs. J’ai voulu aller à la rencontre de ses pensées et m’en faire une idée exacte en me fiant à ses écrits plutôt qu’à ses brefs propos entendus et aux commentaires de ses contradicteurs. C’est à la fois déçu et écoeuré que je ressors de cette lecture.

            Ce qui domine avant tout dès les premières pages de ce livre, c’est le ton présomptueux de l’auteur. Il nous annonce qu’il va faire œuvre originale en rompant avec les « on dit », les « je crois », « les rancoeurs et les tabous idéologiques accumulés, sans cesse reproduits par une sous-littérature n’ayant d’historique que les apparences » qui ont dépouillé l’histoire de la traite des Noirs de sa substance et « permis l’enracinement de mémoires souvent antagonistes ». Une œuvre de titan en perspective, pour asseoir une vérité définitive destinée à constituer une mémoire unique!

            Parce que pour Olivier Pétré-Grenouilleau « toute bonne histoire (…) est forcément comparative », il se donne pour visée l’écriture d’une histoire globale des traites négrières, à travers le temps et l’espace, en cernant « les logiques à partir des pratiques » qui ont constitué leurs phases successives. En d’autres termes, il propose de faire connaître la logique qui a commandé toutes les traites négrières ayant marqué l’histoire de l’humanité.

            Malgré le ton présomptueux, l’idée paraît séduisante. Malheureusement, très vite, on se rend compte que l’auteur a une idée fixe dans sa recherche sur les différentes traites. Ce qui lui importe, c’est de savoir « pourquoi (l’Afrique) répondit-elle si favorablement aux demandes extérieures » en esclaves. Chercher à nous faire « comprendre (…) comment certaines logiques africaines ont pu s’accommoder de logiques extérieures (…), comment l’Afrique noire est concrètement et volontairement entrée dans l’engrenage négrier » est le but qu’il s’est donc fixé. Mais, avant même d’aller plus loin, le lecteur remarque que les adverbes « favorablement » et « volontairement » trahissent un jugement personnel qui est posé comme le préalable et le moteur de ses recherches. Le but de son travail n’est donc pas innocent.

 

            A ce moment de la lecture du livre, celui qui a quelques connaissances des traites négrières ou qui a lu La traite des Noirs et ses acteurs africains de Tidiane Diakité, L’Esclavage en Terre d’islam de Malek Chebel, ou Le génocide voilé de Tidiane N’diaye, se dit qu’il y a quelque chose qui a échappé à ces derniers auteurs. Mais voilà que Pétré-Grenouilleau déçoit en avançant sous la marque du « magister dixit » et non point avec les archives des différentes époques pour interpréter les événements.

            Malgré tout, on attend avec impatience les éléments témoignant d’une logique sociale ou naturelle propre aux africains et qui les a rendus « favorables » à la traite des leurs pour les y lancer « volontairement ». On découvre que c’est en usant du conditionnel (p.102) qu’il avance les « deux éléments (qui) auraient donc été finalement à l’origine de la naissance plus ou moins simultanée de la traite négrière et du mode d’organisation des sociétés d’Afrique noire ». Pétré-Grenouilleau émet clairement donc l’hypothèse selon laquelle la traite négrière serait née en même temps (« simultanée ») que l’organisation en sociétés des africains. Il veut nous faire croire que dans la formation de toute forme de sociabilité, l’Africain a introduit l’esclavage dans ses relations avec ses voisins immédiats. La traite est donc innée chez les Noirs puisque l’esclavage est inhérent à leurs sociétés. Dès lors, l’auteur des Traites négrières peut se permettre d’émettre cette autre hypothèse selon laquelle la traite arabo-musulmane ne  serait qu’une suite logique de l’esclavage traditionnel africain. Enfin, il conclut, satisfait, que l’« On comprend alors la rapidité de la réponse africaine au renforcement de la demande européenne en captifs, à partir de la seconde moitié du XVII è siècle. La matière première – le captif – était là, abondante, et parfois encombrante » ! Oui, vous avez bien lu. L’Afrique était encombrée d’esclaves ; et l’Europe s’est contenté de la débarrasser du  trop plein.

            A partir de ce moment de son livre, Pétré-Grenouilleau a le sentiment de détenir une vérité absolue. En théorisant sur les traites négrières en marge des archives, en situant sa thèse à l’origine de la formation des sociétés africaines que personne n’a connue, l’auteur emprunte une démarche pseudo scientifique pour aboutir à une affirmation qu’il voudrait une vérité générale et absolue. On peut dire qu’avec ce livre d’Olivier Pétré-Grenouilleau, on quitte la démarche de la recherche pour entrer dans le roman de la traite négrière. L’objet du livre apparaît alors clairement être la déculpabilisation de la conscience européenne vis à vis de la traite atlantique.

      

Nous savons que la preuve de la contribution active des Noirs eux-mêmes à la traite négrière arabo-musulmane et atlantique a été établie avec certitude par différents auteurs dont ceux cités plus haut. Nous savons comment, progressivement les Noirs sont devenus des ardents défenseurs de l’esclavage au point d’avoir été, avec les négriers du XIX è siècle, les derniers adversaires du mouvement abolitionniste européen.  Mais ce qui est inadmissible dans la démarche d’Olivier Pétré-Grenouilleau, c’est non seulement l’affirmation du caractère inné de l’esclavage chez le Noir, mais également le mélange des époques qu’il fait dans son livre. Quand il parle de cette inclination des Noirs à la traite, on ne sait pas toujours s’il parle d’une inclination qui date de la traite atlantique, de la traite arabo-musulmane ou d’une pratique antérieure à ces deux époques. Vu que personne ne peut soutenir que la traite négrière pratiquée en Nubie aux temps des pharaons était un phénomène général en Afrique, il convient de qualifier ses affirmations de hasardeuses et gratuites.

            En fait, aux yeux d’Olivier Pétré-Grenouilleau, toutes les archives d’Europe qui ont constitué la source des différentes publications sur la traite atlantique et qui relatent les manœuvres européennes pour contraindre les Africains à leur fournir des esclaves ne sont que mensonges. Toutes les oppositions locales à la traite atlantique que mentionnent les textes de l’époque ne sont pas, selon lui, dignes de foi. Ainsi, il s’arroge le droit, comme tout bon dictateur – mais dictateur d’idées – de décréter qu’il est le maître incontestable de l’histoire des traites négrières et par voie de conséquence de l’esclavage. Malheureusement, l’affirmation sur laquelle est bâti tout son travail n’a rien à voir avec une réalité historique ; et le fait qu’il n’a nullement cherché ailleurs d’autres logiques qui auraient pu servir de moteurs à l’adhésion des Africains à la traite des leurs trahit son souci de justifier le rôle des Européens dans la traite atlantique.

            La violence et l’asservissement de l’autre sont certainement à l’origine de toutes les sociétés humaines, sans distinction de couleurs. C’est ce qui faisait dire au philosophe anglais Thomas Hobbes (17 è S.) que « l’homme est un loup pour l’homme » ; idée reprise à Plaute (255-184 av. J.C.) qui fut le premier à l’affirmer. Appliquer cette vérité communément admise à la seule Afrique pour justifier son attitude « favorable » et « sa volonté » d’implication dans la traite atlantique me semble indigne d’un universitaire. D’autre part, n’est-il pas admis aujourd’hui – à la suite de Jean-Jacques Rousseau – que le développement des sciences et des arts ont largement contribué à l’asservissement de l’autre pour en tirer le plus de profit possible ? Si l’esclavage que connaissaient toutes les sociétés humaines a atteint son point culminant avec la traite atlantique, c’est grâce au développement de la navigation, de l’architecture et le goût du luxe. L’auteur des Traites négrières semble reconnaître lui-même ce facteur quand il parle de « la révolutionnaire expansion mondiale de l’Europe » grâce d’une part aux banquiers qui fournissaient le capital et la technologie, et grâce d’autre part aux marins qui permirent l’établissement d’empires commerciaux en Afrique et en Asie et la colonisation de terres américaines. La traite négrière pratiquée en Nubie aux temps des pharaons et l’esclavage pratiqué en Europe - dans l’antiquité et à une époque plus moderne avec le servage - n’ont donc aucune commune mesure avec la traite Atlantique.

   

            A vrai dire, la renommée soudaine et éclaire de Pétré-Grenouilleau tient moins à l’affirmation de l’implication des Noirs dans la traite négrière atlantique (d’autres l’ont également prouvé) qu’à la circonstance favorable qui s’était offerte à lui avec le débat suscité par la guyanaise Christiane Taubira à travers sa proposition de loi qui a abouti en 2001 à la reconnaissance de ce commerce et de l’esclavage qui en a résulté comme crimes contre l’humanité. On comprend pourquoi le succès médiatique qu’a connu alors l’auteur des Traites négrières n’a nullement entraîné le succès du livre en librairie.

            Demain, un autre Olivier Pétré-Grenouilleau s’élèvera pour asseoir comme une vérité absolue que les africains ont « favorablement » accepté la colonisation de leurs terres et contribué « volontairement » à son pillage par les sociétés européennes sans nullement tenir compte des luttes d’influences qui se déroulent aujourd’hui en Afrique. Mais ne pourrait-on pas se demander si la France n’a pas une inclination naturelle à l’asservissement. Les serfs (forme élégante pour désigner les esclaves européens au Moyen Âge) dont le travail permettait à quelques individus de vivre dans l’oisiveté et passer le plus clair de leur temps à l’entretien de la blancheur de leur peau - quand ils ne chassaient pas ou ne guerroyaient pas pour agrandir leurs domaines – avaient-ils l’état de servitude inné ?  Les Chinois et les Indiens avaient-ils l’esclavage inhérent à leur culture pour avoir été transportés dans les Caraïbes ? Il faudra sans doute un jour envisager un traité pour comprendre le moteur de cette inclination des Européens blancs des siècles passés à mettre tous ceux qu’ils rencontraient en esclavage.

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Les traites négrières (558 pages)

Auteur : Olivier Pétré-Grenouilleau

Editeur : Gallimard (collection : Folio histoire), 2004

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18 janvier 2010

Le voile intégral et la ceinture de chasteté

      Le voile intégral et la ceinture de chasteté

 

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            La multiplication du voile intégral dans le paysage social français semble suffisamment conséquente pour susciter  des questions sur l’avenir les valeurs de la France. Quand son usage se limitait  aux premières générations d’immigrés faites de femmes aux foyers et illettrées, peu nombreuses d’ailleurs, cela n’inquiétait pas les autres Français qui les voyaient comme des étrangères aux mœurs étranges. Depuis que – par on ne sait quel phénomène de mode – des lycéennes, des étudiantes, des employés de bureau  découvrent les délices du voile intégral, de nombreuses voix s’élèvent ça et là pour dénoncer son intrusion dans tous les lieux protégés par les lois de la République.

 

            Ce n’est donc pas le voile qui fait peur, mais son insinuation dans les lieux publics, les écoles, les administrations, les commerces, les lieux de loisirs entraînant par voie de conséquence la modification des règles de la vie sociale. Car, ne l’oublions pas, le voile est un signe religieux qui véhicule des croyances et des pratiques exigeant elles-mêmes des règles sociales appropriées et souvent sectaires.

            

            Plus nombreux sont sans doute ceux qui voient dans cette floraison du voile la main des islamistes étrangers ; ceux qui ont les moyens de financer des immenses mosquées pour les plus pauvres de la terre parce qu’ils voient dans ce signe tapageur le drapeau qu’ils plantent en terre conquise. Le voile des femmes serait donc la marque de l’appropriation d’un espace nouveau.

 

Sous le voile, le sexe

 

 

            Dans cette agitation devant le voile qui, peu à peu, recouvre la France, il me semble que l'on a oublié de parler de l'essentiel : la femme ! Or, celle qui porte le manteau du voile devrait être remise au centre des débats. Car dans la vie quotidienne c'est finalement elle qui inquiète et subit la désapprobation de ses concitoyens. L'homme, l'époux, est oublié. Interrogez-le. Il vous jurera par Allah que c'est sa femme qui a pris la liberté de se couvrir. Lui n'a pas eu son mot à dire. Interrogez la femme. Elle confirmera les propos de son mari et ajoutera que non seulement sa foi l'exige mais aussi qu'ainsi elle est respectée. Hors du voile, point de respect donc.

 

            Je retiens pour ma part qu'instrument ou non des islamistes ou des époux, la femme est l'otage des hommes. Placée entre le marteau planant sur sa tête et l'enclume (islamistes et époux d'une part, et les lois républicaines de l'autre), elle est contrainte de faire l'apologie de l'instrument de son asservissement à l'homme. De même que hier la ceinture de chasteté garantissait à l'homme l'exclusivité du précieux sexe féminin, aujourd'hui, c'est sous le couvert de la religion et de la foi que l'homme musulman français a trouvé dans le voile intégral la préservation de ce qu'il considère comme un bien privé qui ne saurait porter l'étiquette Liberté.

 

            Voilà qu'en France, des femmes venues d'ailleurs ou dont les parents sont venus d’ailleurs en clamant fuir la prison pour le pays des libertés, descendent dans les rues pour réclamer une prison dorée sous le voile ! Non contentes de cela, elles font de leur lugubre manteau le fer de lance d'un combat qui vise la révision des lois républicaines pour s'adapter  à leur pratique religieuse. Mais savent-elles qu’ici Dieu est mort ? Savent-elles qu’ici les lois de la République priment sur la chose religieuse reléguée au cercle privé ? Savent-elles qu’ici l’église et l’état sont séparés et qu’il appartient à ce dernier de prescrire les lois à suivre ? Qu’elles commencent par apprendre les règles du pays avant d’entreprendre de les changer ; car « quand on va au pays des crapauds et que l’on voit ses habitants accroupis, plutôt que de demander une chaise, on fait comme eux ». C’est sûrement cette sagesse qui les sauvera du joug des Islamistes et de leurs époux.

 

            Il est certain qu’avant d’être une question de foi, le voile est avant tout intimement lié au sexe. Quel homme n’aimerait-il pas, consciemment ou inconsciemment, voir sa femme évoluer librement dans n’importe quelle société avec la ferme conviction qu’elle porte un signe visible qui oblige tout autre homme à la considérer comme inaccessible. Comme la ceinture de chasteté, le voile est une marque répulsive pour les autres hommes mais que seul peut ôter l’époux pour s’offrir ce qu’il cache : le corps et le sexe !  Le voile n’est donc, avant tout, que l’expression du rêve masculin de la possession exclusive du sexe féminin enfoui en chacun de nous.

 

Raphaël ADJOBI

9 février 2012

L'Académie française offre le fauteuil de Léopold S. Senghor à Valéry Giscard d'Estaing

                           L'Académie française offre

                le fauteuil de Léopold Sédar Senghor

                            à Valéry Giscard d'Estaing 

numérisation0002            Combien sommes-nous à savoir que le 11 décembre 2003, Valéry Giscard d'Estaing, l'ancien président français (1974 – 1981), à été élu au fauteuil n°16, - laissé vacant par le poète sénégalais Léopold Sédar Senghor - dès le premier tour de scrutin, par dix-neuf voix sur trente-quatre. Je parie que, comme moi, cette information vous a échappé. Si toutefois ce n'est pas le cas, elle a dû tout de même très vite quitter votre mémoire. Revenons donc ensemble sur l’événement et posons-nous quelques petites questions.  

            Réfléchissons un peu. L'ancien président de la République aurait-il produit quelque écrit de qualité qui le rapprocherait du francophone Léopold Sédar Senghor au point de les réunir sous la coupole pour jouir de la même immortalité ? Je cherche et je ne vois rien venir à l'horizon. Mais le hasard fait bien les choses ! Je découvre que l'homme est l'auteur de quelques essais politiques sans grand succès et d'un unique roman, Le Passager, écrit en 1994. Toutefois, le grand public - et peut-être même ses amis - ne le découvriront écrivain qu'en 2009 avec son pitoyable La Princesse et le Président, dans lequel il s'est mis à fantasmer et à s'imaginer l'amant de la princesse Lady Diana. Nous nous étions tous moqué de lui au point de le dégoûter de l'écriture littéraire. Mais l'homme est têtu et croit à son étoile depuis qu'il a pris l'habit vert et se croit chantre de la Négritude comme l'ancien propriétaire du fauteuil n°16. Le voilà donc, depuis quelques mois, avec le troisième roman de sa vie d'écrivain : Mathilda, dédié « à l'Afrique, le continent maternel ». Je vous l'avais dit ! Bientôt, on l'appellera Giscard l'Africain. Je l'imagine déjà réécrivant "Joal" et se pâmant d'admiration devant « les signares à l'ombre verte des vérandas ».

            On a le sentiment que pour Valéry Giscard d'Estaing, le temps presse. Il lui faut au plus vite étoffer sa maigre bibliographie afin de justifier l'honneur qui lui est fait d'entrer sous la coupole comme par effraction. Le peu de cas fait autour de sa réception dans cette illustre maison témoigne de l'insignifiance de son mérite. C'est comme s'il avait reçu la communion sans confession et qu'il lui faut dorénavant faire preuve d'une vie irréprochable pour se racheter. 

            A propos, les Immortels qui accueillent les récipiendaires sont-ils encore assez lucides pour distinguer les vrais serviteurs de la littérature française du clinquant tapageur des titres honorifiques de la société politique ? Savent-ils encore faire la différence entre Jean Marie Gustave Le Clézio et Nicolas Sarkozy ? Au regard de leur décision concernant Valéry Giscard d'Estaing, l'écrivain Eric Chevillard pronostique que Nicolas Sarkozy a toutes ses chances. « Il lui suffira d'écrire un ou deux livres sur le tard - Casse-toi, pauvre conne (une relecture sentimentale de La Princesse de Clèves) ou A la recherche du temps perdu à travailler plus pour vivre moins (une autobiographie) - et on lui trouvera un siège ».

Raphaël ADJOBI

29 décembre 2006

Cette main tendue qui fait de l'ombre

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             Cette main tendue qui fait de l’ombre

 

 

            N’est-elle pas surprenante cette confiance aveugle que les états continuent à placer dans les organisations internationales qui interviennent ça et là soit pour être juges dans les conflits nationaux ou pour proposer des solutions toutes faites aux belligérants ? Les expériences vécues dans d’autres contrées du monde par d’autres peuples ne nous sont-elles d’aucun secours ? Faut-il continuer à tâtonner dans le dédale des conflits intérieurs sans jamais tirer profit de l’histoire des nations ?

 

            Quatre ans déjà ! Quatre ans que la Côte d’Ivoire vit avec un seul poumon. Quatre ans qu’une zone de confiance ceint ce pays en deux : alors que sa partie Nord est presque complètement vidée de sa population, les villes du sud sont gonflées par un surcroît d’habitants plongeant les uns et les autres dans le dénuement presque total. Certes, malgré les contrôles fastidieux, les déplacements entre le Nord et le Sud se font de mieux en mieux même si personne n’envisage de façon définitive une reprise de sa vie dans le Nord où - aux dires de certains voyageurs - l’administration burkinabé occupe quelques bâtiments et aide les rebelles à gérer les villes avec les conséquences qui pourraient en découler à long terme.

 

            Si aujourd’hui les Ivoiriens sont nombreux à croire avec leur Président que la ligne de démarcation entre la zone trop pleine et la zone désespérément vide est caduque au vu des mouvements de population, le commun des hommes à travers le monde qui a suivi les débuts du conflit ivoirien ne sait absolument rien de ce qui se passe dans le Nord de ce pays pour se permettre de donner un avis sur le bien fondé de la réunification sans traité onusien préalable que demande le Président Gbagbo.

 

            Mais doit-on attendre absolument que l’Onu trouve la résolution miraculeuse qui feraitt des ennemis d’hier des amants pour décider de la paix et du rétablissement de l’administration sur l’ensemble du territoire avant tout autre chose ? Car comment voulez-vous recenser les électeurs si une grande partie de la population est loin de chez elle. Autant dire que les cartes d’identité et celles d’électeurs exigées par certains doivent être distribuées dans des pochettes surprises. Seule une administration nationale gérée par tous les partis peut s’atteler à une telle tâche.

 

            Une erreur a déjà été commise lorsque le processus de paix était entièrement entre les mains des énarques et grands diplomates parisiens : celle de ne pas avoir fait coïncider la réunification du pays avec la formation à Paris du premier gouvernement dit d’union. Il est temps donc que chacun regarde la leçon de l’histoire, avant de se fier aux multiples résolutions à venir. Il est temps de cesser la recherche de l’image de la paix dans les résolutions internationales dont les effets n’ont jamais eu de conséquence pacifique dans la cohabitation des peuples à l’intérieur des frontières.

 

Trois cas d’incompétence et de faux espoirs

 

            Que nous enseigne l’Histoire ? Il est à noter que du Liban au Kosovo, en passant par Chypre, les forces internationales et les résolutions qu’elles étaient chargées de faire respecter n’ont jamais résolu les problèmes des nations. Pire, elles semblent les avoir condamnées à les entretenir.

 

Le Liban : En 1970, suite aux événements de septembre noir en Jordanie, les milices palestiniennes se replient au Liban avec le feu vert de la Syrie. La coexistence difficile avec les Libanais va peu à peu se transformer en guère civile en 1975. En 1976, l’opposition chrétienne avalise l’intervention syrienne pour protéger la population chrétienne. En 1978, Israël envahit à son tour le sud du Liban après des attaques palestiniennes sur son territoire. Le 13 juin 1978, suite à une résolution des Nations unies datant de mars de la même année, la casques bleus (FINUL) s’installent au Liban.

 

            Cela fera donc bientôt trente ans que l’ONU et un corps de l’armée française sont en mission dite de paix au Liban. Bientôt trente ans que le contribuable français entretient son armée basée dans ce pays sans y apporter la paix entre Libanais et Palestiniens d’une part, et entre Libanais de différentes confessions d’autre part. Trente ans d’échecs de la diplomatie internationale. Aujourd’hui, plus de 3 millions de libanais vivent à l’étranger.

 

Chypre : Quant à l’Île de Chypre, c’est elle qui porte de manière plus significative l’inefficacité des résolutions internationales comme une balafre d’un extrême à l’autre du visage.

 

            Cette île est devenue une République indépendante dotée d’une constitution le 16 août 1960. En novembre 1963, l’archevêque président Makarios propose des amendements à la Constitution afin de réduire le poids des Chypriotes turcs qui, ne représentant que 18 % de la population, détiennent 30 % des places de la fonction publique et 40 % des forces de Police et de l’armée. La Turquie fait alors entendre sa voix au nom de la communauté chypriote turque en rejetant ces amendements et en demandant la partition de l’île. Commencent alors des affrontements violents entre les deux communautés, turque et grecque, qui provoquent des troubles sanglants et emmènent l’Onu à envoyer sur l’île une force de pacification en 1964 (UNFICYP.

 

            Malgré la présence des forces internationales, devant l’activisme des partisans du dictateur grec qui voulaient rattacher l’île à la Grèce, la Turquie occupe le 20 juillet 1974 le Nord de l’île qui devient, de facto, un Etat séparé appelé depuis 1983 République turque de Chypre du Nord.

           

            Disons donc que depuis 1974, 1400 casques bleus de l’Onu surveillent la ligne verte entre les deux secteurs. A cet effectif, il faut ajouter 4000 soldats et officiers accompagnés de 6000 civils britanniques qui depuis plus de trente ans y demeurent aux frais du contribuable sans trouver de solution à une hypothétique réunification de l’île ou tout simplement à une coexistence pacifique des deux communautés.

 

Le Kosovo : Le troisième exemple de conflit que les organisations internationales se proposaient de solutionner et dont l’échec fut fort retentissant est le Kosovo. Il suffit de l’évoquer pour que la terre entière se mette à rire de la vanité et de l’impuissance de l’Onu.

 

            Le Kosovo est une province serbe essentiellement montagneuse d’environ 2 millions d’habitants dont 90% sont des Albanais qui aspirent à l’indépendance et à peine 6% de Serbes qui, pour leur part, espèrent conserver l’appartenance du Kosovo à la République de Serbie, comme cela est affirmé dans la Constitution yougoslave de 1974 et proclamé par la Constitution serbe de septembre 1990.

 

            Inutile de s’attarder ici sur le massacre des Albanais perpétré par le dirigeant serbe Slobodan Milosevic. Suite à ces massacres et à la dispersion des Albanais, en vertu de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies du 10 juin 1999, le Kosovo est placé sous l’administration de l’Onu (MINUK, UNMIK en anglais). Une force de l’OTAN (la KFOR) de 17 000 hommes aujourd’hui, assure sa protection.

 

            Le Kosovo fut donc un état clé en main confié à l’Onu en 1999 avec un « Président » en la personne du français Bernard Kouchner.  Cette organisation avait enfin l’opportunité de démontrer à la face du monde aussi bien l’efficacité de ses nombreuses résolutions que celle de ses belles leçons de politiques et d’économies que les grandes puissances qui la manipulent dispensent avec beaucoup d’arrogance aux pays pauvres. Sept ans après, la Montagne a accouché d’une souris. Bernard Kouchner est parti en apprenant à ses dépens qu’on ne remplit pas des gamelles vides avec des tiroirs vides. Aujourd’hui, les troupes internationales sont perçues comme une force d’occupation par les Albanais et les Serbes. Et le contribuable français, anglais et autre continuent à payer pour entretenir leurs soldats qui n’apportent toujours pas la paix, la démocratie et la bonne gouvernance là où ils se trouvent.

 

            Voilà donc trois exemples de pacification qui s’éternisent et qui me font croire que l’espoir de la Côte d’Ivoire ne doit nullement être placé dans la diplomatie des grandes puissances via l’Onu. Ces exemples doivent susciter la réflexion quant à la manière de sortir de l’impasse matérialisée par la ligne de confiance qui rappelle étrangement la ligne verte chypriote. Ces espoirs déçus doivent permettre à chacun de considérer la main tendue du Président Gbagbo par-dessus la ligne de confiance et ses occupants comme une opportunité pour les Ivoiriens de prendre leur destin en main.

 

            Il appartient à tous les hommes politiques de ce pays de montrer leur volonté à privilégier l’intérêt national avant tout autre. Qu’ils démontrent à leur peuple qu’il y a des sujets de discorde qui peuvent et doivent attendre quand leur Nation court le danger de disparaître à jamais. Qu’ils ne perdent pas de vue que les grandes puissances ont les moyens de maintenir pendant un siècle, et au-delà si nécessaire, leurs soldats sur leur territoire.  Qu’ils n’oublient pas que la pérennisation de cette zone de confiances avec ses soldats étrangers, constituera à coup sûr pour le peuple ivoirien un traumatisme dont les conséquences seront difficilement quantifiables.

 

            Quelle belle occasion pour les hommes politiques ivoiriens de faire preuve d’une grande maturité politique en saisissant cette main tendue et devenant par voie de conséquence les acteurs principaux de la sortie de l’impasse de leur pays ! A moins que les fantômes qui s’agitent à l’ombre de cette main leur fassent peur au point de préférer demeurer à jamais ces africains que l’ancien colonisateur dit arrogamment connaître trop bien avec tous les sous-entendus que cela suppose.

 

            Raphaël ADJOBI

      

        Ecrit le 27 décembre 2006               

 

28 décembre 2006

Cette Côte d'Ivoire que l'on veut ignorer

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Cette Côte d`Ivoire que l`on veut ignorer

Apparemment, il a suffi que M. Mbeki regarde la situation de la Côte d’Ivoire avec les yeux d’un président dirigeant un pays africain économiquement et politiquement indépendant pour que les chefs d’Etat francophones se mettent à réfléchir au sens de ce que la France exige de Laurent Gbabgo et à la valeur de la résistance loyaliste.

C’est dire que trop habitués à appliquer les volontés de la France, les gouvernants africains avaient fini par perdre le sens de l’orgueil. Trop habitués aux solutions toutes faites fournies par Paris, depuis 2002, Laurent Gbagbo leur apparaissait comme le cancre de la paisible classe, le mauvais élève que la France indiquait du doigt et qui pouvait être la risée de tous. Quand ils se retrouvaient dans le giron de la France pour des assemblées françafricaines, la seule absence du Président ivoirien semblait leur conférer gloire et considération aux yeux des officiels français. Quelle plénitude ! se disaient-ils. Jamais ils n’ont senti la France si proche d’eux, si amie, et eux-mêmes si français.

                  Mais cette danse macabre n’ébranle pas la détermination et les louvoiements de Laurent Gbagbo. Le renverser, le mettre en quartiers ? Paris l’aurait fait bien volontiers. Mais il fallait pour cela livrer bataille et ce diable de Gbagbo semblait bien défendu par le corps d’un peuple qui refuse que perdure la loi coloniale.

                  Et puis est arrivé Mbeki et le doute s’est installé dans les esprits. Comment en effet, se disent-ils soudain, ne pas reconnaître que Laurent Gbagbo est le seul Président africain à avoir obtenu publiquement et massivement le soutien d’une partie de la population de son pays contre les actions de la France d’une part, et celles des rebelles nordistes d’autre part ? D’abord, les Ivoiriens ont montré leur refus de Marcoussis qui visait à modifier leur constitution sans qu’ils aient leur mot à dire. Ensuite, les Ivoiriens ont empêché l’armée française de profiter du chaos qui s’était installé dans le pays en novembre 2004 pour renverser Laurent Gbagbo. Oui, sur ce dernier chapitre, la France nie avoir eu cette intention. Mais on peut aisément croire que sans ce mouvement de foule, Paris aurait accompli sa besogne habituelle sans vergogne.

                  Trop attentifs aux insolences des rebelles et aux idées de ceux dont ils sont le bras armé, Paris et les chefs d’Etat africains francophones n’entendaient guère le cri du cœur des autres Ivoiriens. Et pourtant des écrits apparaissaient ça et là pour dire publiquement que le nerf de la guerre est purement économique doublé d’une forte revendication sentimentale. C’est vous dire que je partage pleinement deux brèves analyses du problème ivoirien publiées par deux revues françaises.

                 D’abord l’analyse de Jean-François Bayart, parue dans le Nouvel Observateur n° 2093 du 16 au 23 décembre 2004 ( p.102 – 103 ), qui montre que les convulsions que connaît la Côte d’Ivoire témoignent de la soif d’une « seconde indépendance » . L’auteur de cet article fait des rappels historiques afin de mieux montrer les erreurs de la France dans la gestion des relations franco-ivoiriennes hier et aujourd’hui. Il reconnaît dans le cœur des Ivoiriens l’existence d’une véritable revendication nationaliste qui est celle d’une « nouvelle indépendance » rompant avec la « révolution passive » d’Houphouët qui a gouverné la Côte d’Ivoire avec les ministres français et africains francophones. Pour ma part, j’ajouterai tout simplement que quiconque ignore ou néglige ce sentiment, que des générations d’étudiants ont nourri en leur sein, se trompe sur la nature profonde des attentes des Ivoiriens.

                 Je retiens ensuite l’article « La Françafrique résiste » publié dans le magazine économique Challenges (n° 237 du 16 décembre 2004 au 5 janvier 2005, p. 29 ). Selon l’auteur de l’article, malgré la guerre et la misère, les affaires continuent en Côte d’Ivoire. Et « bien qu’en déclin, la Côte d’Ivoire reste la locomotive de l’Afrique de l’Ouest, où un groupe comme Bolloré réalise près du tiers de son chiffre d’affaires. » Oui, vous avez bien lu. Sans la seule Côte d’Ivoire, le groupe Bolloré se réduirait à peu de chose. Et il ajoute que « six des dix premiers groupes opérant en Côte d’Ivoire sont partiellement ou totalement à capitaux français et contrôlent des pans entiers de l’économie » du pays. Non, là encore vous ne rêvez pas ! Et l’auteur de l’article reconnaît, contrairement au discours officiel du gouvernement français, que parmi les revendications des jeunes patriotes il y a « la décolonisation économique » du pays.

                  La sagesse française voudrait que l’on ne mette pas tous ses œufs dans le même panier. Cependant, les gouvernants français refusent à la Côte d’Ivoire le droit d’appliquer cette sagesse en diversifiant la nationalité des investisseurs sur son sol. Et demain, ce sera la France qui bombera fièrement le torse pour dire que sans elle la Côte d’Ivoire n’est rien ; qu’il lui suffit de retirer ses capitaux pour que ce pays s’écroule. Quel beau chantage en perspective ! Aussi, me semble-t-il légitime que cette forme de coopération inquiète les Ivoiriens au point de les pousser à souhaiter la diversification des sources des capitaux étrangers. Certes, il serait malhonnête de remettre radicalement en cause les contrats en cours. Mais il est également injuste de leur refuser de boire à d’autres sources que françaises.

                  Mais pour l’heure, ce ne sont point ces dernières considérations économiques qui retiennent l’attention des médiateurs africains et onusiens. Malgré une animosité tempérée par les actions du Président Mbeki, les chefs d’Etats africains médiateurs ne peuvent se permettre de donner raison à Ggagbo en demandant le désarmement des rebelles et créer ainsi les conditions nécessaires à de futures élections. Ils ne peuvent pas non plus s’attirer les foudres de Paris qui n’entend pas voir son autorité exprimée dans Marcoussis remise en question par un référendum démocratique qu’il n’a pas prévu. Ils ont certainement en mémoire la réaction épidermique du Président français après le bombardement du cantonnement militaire de son armée à Bouaké. Ils savent bien que le fait que la France crie à qui veut l’entendre qu’elle est l’amie des pays africains, cela ne l’empêche pas de faire l’économie de la réflexion avant de frapper. Et pourtant, ils savent qu’aujourd’hui la solution du problème ivoirien est là !

                  Et Puis Paris lui-même n’est-il pas dans l’embarras ? Laurent Gbagbo a montré qu’il n’a nullement l’intention de remettre en question les contrats des sociétés françaises. Il semble même leur avoir fait de nouvelles concessions. Je pense notamment à l’attribution de la gestion du port d’Abidjan. Alors, après avoir conféré autant de pouvoirs aux rebelles et à leurs commanditaires, comment sortir de ce bourbier sans perdre la face si ce n’est déjà fait ? Personne en Côte d’Ivoire ou en Afrique ne croit la France en mesure de jouer un rôle neutre dans ce conflit. Mais personne n’ose lui désobéir. La Côte d’Ivoire risque donc de se retrouver dans la situation de l’île de Chypre. Après avoir séparé les belligérants en s’interposant militairement, la communauté internationale n’a jamais trouvé une solution politique au conflit chypriote. Conséquence : la situation a perduré pour donner aujourd’hui deux chypre pour une même île. Si Paris, l’Onu et l’UA ne peuvent pas satisfaire les revendications des nationalistes ivoiriens, ils ne peuvent pas non plus ignorer que ceux-ci constituent une véritable force autour du président Gbagbo qu’ils refusent de voir sacrifié pour faire plaisir aux amis de la France. Après avoir commis l’erreur d’exiger la formation d’un gouvernement de réconciliation nationale sans réunification, la France ne doit pas se permettre de repousser, sous d’autres prétextes, le désarmement et le retour de l’administration sur tout le territoire et créer ainsi les conditions favorables aux élections qu’elle dit appeler de tous ses vœux.

Auteur : Raphaël ADJOBI

Texte publié en février 2005 par le journal La Croix.

 

8 janvier 2009

La traite des Noirs et ses acteurs africains

La_traite_selon_Tidiane_DLa traite des Noirs et ses acteurs Africains

 

 

            Le livre de Tidiane Diakité arrive au bon moment du débat sur la traite négrière atlantique. Depuis la publication de celui de Pétré-Grenouilleau qui a fait de lui le maître incontesté de ce thème dans la conscience des français, la traite des Noirs est apparue pour beaucoup comme un événement anodin dans l’histoire de l’Europe. Celle-ci a en effet accueilli le livre et les entretiens accordés par l’auteur français comme le baume qui vient soulager sa conscience ployant sous le poids de la culpabilité d’un commerce éhonté. Désormais les Européens se satisfont de l’idée qu’ils n’ont fait que prolonger une pratique ancestrale africaine les dispensant donc du sentiment de culpabilité et des dédommagements que certains africains s’évertuaient à demander.

            Très vite, afin d’éviter les amalgames, Tidiane Diakité présente le vrai visage de l’esclavage tel qu’il était pratiqué sur le continent jusqu’au XV è siècle. Les témoignages des Portugais, les premiers commerçants européens en Afrique, attestent les récits oraux transmis de génération en génération recueillis sur le terrain.

Ce préalable clairement expliqué, l’auteur s’attache à nous présenter dans une démarche détaillée les premiers pas des particuliers portugais qui vont initier les premiers rapts et razzias sur les côtes africaines et l’introduction régulière des Noirs en Europe. Puis vient le temps de l’intérêt de l’état du Portugal pour ce commerce, et à partir de la deuxième moitié du XVI è siècle ses luttes contre les autres pays européens qui manifestaient à leur tour un grand appétit pour le commerce des esclaves.

La rentabilité de ce commerce supposait une vraie organisation de la part des Européens. Devant les premières résistances africaines aux rapts, vols et razzias qui causaient des dégâts dans leurs rangs, les négriers ont trouvé bon d’imposer aux rois africains des traités dans lesquels ceux-ci ont le sentiment de trouver leur compte mais en réalité fort avantageux pour les pays européens. Dès lors, les rois africains devinrent des acteurs actifs de la traite en entrant dans un commerce de troc : des êtres humains contre des produits européens. Ainsi, comme le démontre très bien l’auteur, pendant que, grâce à la traite négrière, les industries et les villes européennes se développent déversant des produits hétéroclites sur le continent noir, l’artisanat africain, florissant jusqu’au XV è siècle, allait être délaissé au profit de la chasse à l’homme. Quatre siècles et demi d’inactivité artisanale finiront par ruiner le génie africain, parce que « pour les générations nées dans ces siècles, la traite apparaissait comme la norme, l’unique référence ».

Dans ce livre, Tidiane Diakité s’applique d’une part à montrer l’ordre de succession des Européens sur les Côtes de l’ouest africain ; comment à la suite des Portugais et des Hollandais, les Français puis les Anglais ont mené la traite négrière à son apogée au XVIII è siècle. D’autre part, l’auteur nous fait apparaître des rois africains de plus en plus intéressés et se montrant des ardents défenseurs de l’esclavage et des habiles commerçants avec les négriers. Pouvoir insupportable à ces derniers qui, pour obtenir davantage d’esclaves sans trop de frais suscitaient des conflits interafricains en exploitant la jalousie ou l’animosité des camps adverses, sachant que les vainqueurs leur vendraient les vaincus.

Le livre présente enfin un historique très intéressant des luttes pour l’abolition de l’esclavage au XVIII è siècle avec la Grande-Bretagne, alors première puissance négrière devenue fer de lance de ce combat libérateur. Et chose extraordinaire, dans cette histoire douloureuse, le lecteur constate que malheureusement les moins réceptifs au sentiment d’humanité et au plaidoyer en faveur de la cessation de la traite furent les Africains eux-mêmes. Des siècles de pratique d’un  commerce essentiellement humain avaient fait d’eux des ardents et fiers défenseurs de l’esclavage au point de faire de l’Afrique le dernier bastion de la résistance à l’œuvre abolitionniste des Anglais.

J’aime les livres qui laissent parler les documents d’archives. Et celui-ci en est un. En cédant très souvent la place au narrateur de l’époque, l’auteur nous plonge dans la dure réalité des faits et l’on comprend mieux le présent. Il est certain que ce procédé est le plus sûr moyen de ne pas souffrir la contestation. Il y a dans cet essai quelque chose d’absolument pittoresque quant au comportement des Africains devant l’appât du gain que représentait la présence d’un navire négrier sur leurs côtes. Certaines pages de ce livre peuvent d’ailleurs permettre aux Africains d’aujourd’hui, et particulièrement les acteurs politiques et économiques, d’analyser leur comportement dans nos sociétés en pleine mutation et subissant la convoitise des Européens. D’autres pages encore éclairent cette facilité qu’ont certains à prendre les armes contre leur pays, le trafic des armes, le choix des productions économiques tournées vers la satisfaction du marché européen. Tout lecteur trouvera à travers ce livre de précieux éclairages à beaucoup d’autres problèmes de la vie moderne et notamment la difficulté des Africains à établir des perspectives d’avenir. Cependant, s’il est vrai que la « chaîne » de l’esclavage a deux bouts (africain et européen), on peut se demander si celui que tenaient les Africains - trop souvent façonné par les Européens pour coller à leur goût -  peut être considéré comme une œuvre essentiellement africaine.          

                                         

Raphaël ADJOBI         Une conférence sur les réparations

 

Auteur : Tidiane Diakité

Titre : La traite des Noirs et ses acteurs africains

Editeur : Berg International

3 avril 2009

Des nègres et des juges ou La scandaleuse affaire Spoutourne

Des_n_gres___des_juges     Des nègres et des juges

                            ou

la scandaleuse affaire Spoutourne

                                              

            C’est ici l’histoire de la scandaleuse affaire Spoutourne du nom de la plantation martiniquaise où se sont déroulés les événements dont le livre retrace le procès.

            Les faits : La plantation Spoutourne appartenant à une veuve installée en métropole est gérée par le sieur Vermeil qui a tout autorité pour diriger le travail des esclaves. Aux dires de ceux-ci, l’homme serait devenu violents après son mariage et n’a cessé depuis lors de multiplier les sévices à leur encontre. Ce qu’il n’était point quand il fréquentait une négresse. Abusant de son pouvoir, il lui plaisait pour un oui pour un non de fouetter un esclave jusqu’au sang ou le mutiler, enfermer plusieurs d’entre eux dans une pièce minuscule où ils les laissait à la limite de la mort par asphyxie. Il abandonna un jeune Noir, qu’il venait de faire fouetter à mort, attaché nu sur une plage. Des crabes lui dévorèrent les parties intimes durant la nuit. Devant tant d’injustices et de mauvais traitements, une délégation de douze esclaves se rendit  au bureau du nouveau juge de la Martinique à la suite de nouvelles violences. Puis ce fut tous les esclaves de la plantation – certains en sang - qui se présentèrent pour demander la fin des injustices et cruautés. Le juge convoqua le sieur Vermeil pour l’entendre et lui fit quelques reproches sur sa mauvaise gestion.

            Analyse et réflexions : Contrairement à la révolte violente qui est la forme de revendication attendue par les colons, cette tentative faite par un atelier d’esclaves d’utiliser les institutions coloniales pour tenter d’obtenir une amélioration de leur sort était si originale à l’époque qu’elle apparut une véritable bizarrerie aux yeux des Blancs de l’île. D’autre part, un juge métropolitain qui accepte non seulement de recevoir les plaintes des esclaves mais encore de leur donner suite en convoquant le géreur de l’habitation Spoutourne puis en adressant des courriers aux diverses autorités compétentes, voilà qui perturbe l’habituel rapport des forces et exaspère les colons prêts à tout pour sauvegarder leurs intérêts et leur pouvoir dans les colonies.

            Le livre de Caroline Oudin-Bastide tente d’analyser les documents publics et privés de ce procès inédit au centre duquel six des douze esclaves de la délégation du 8 février 1831 apparaîtront le plus souvent comme le prétexte de règlement de compte entre les colons et les administrateurs métropolitains affectés dans les îles. En clair, ce livre montre comment les colons ont oeuvré durant des années, des siècles, à faire en sorte que les lois de la République ne puissent jamais s’appliquer dans les Antilles françaises ; comment ils tentent toujours de convertir les nouveaux arrivants à leur ordre esclavagiste ; comment ils manœuvrent constamment pour discréditer et faire chasser tous les nouveaux arrivants chargés d’exercer un quelconque pouvoir qui rappellerait la métropole. La seule façon de leur plaire « consiste à leur donner gain de cause quand ils ont tort, lorsqu’ils ont des procès avec les gens de couleur. » Aussi, c’était bien souvent un Conseil privé de la Martinique, formé par les colons, qui jugeait les affaires à la place d’un vrai tribunal de juges venus de la métropole. Cyrille_Bisset_2

            Aujourd’hui, au regard de certains événements récents, je me dis qu’il est tout à fait inadmissible qu’un peuple connaissant l’injustice pratiqué par ses aïeux soit aussi inconscient devant les injustices actuelles. D’autre part, il serait bon que les Noirs scrutent les pages de l’histoire qui dorment dans les archives et réveillent la mémoire de leurs ancêtres qui se sont dressés contre la barbarie de l’esclavage et du colonialisme et leurs tressent les lauriers usurpés par la longue liste des prétendus abolitionnistes blancs qui ont plié l’échine devant leur combat. Parmi eux, il faut compter Cyrille Charles Auguste Bissette qui, obligé de quitter l’île pour la métropole n’a pas manqué de suivre l’affaire en qualité de mandataires des hommes de couleurs de la Martinique, comme il se définissait lui-même.

 

Raphaël ADJOBI   

Titre   : Des nègres et des juges

 

            La scandaleuse affaire Spoutourne

 

            (1831-1834)

 

Auteur : Caroline Oudin-Bastide

 

Edition : Editions Complexe

 

              (Collection : De source sûre)

10 juillet 2009

Ces Noirs qui ont fait la France

                         Ces Noirs qui ont fait la France

 

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            Ce livre est un choix extraordinairement judicieux de figures historiques noires de l’Histoire de France. Des figures noires qui dépassent de loin beaucoup de noms pour lesquels la France brûle des encens. En le lisant, j’ai eu souvent ce mot à l’esprit : émouvant !   

            Benoît Hopquin commence son livre par le portrait du chevalier de Saint Georges dont j’ai longuement parlé dans un article en 2007. Celui qui connaît son histoire n’apprendra rien de nouveau mais aura le plaisir de le voir peint dans l’univers aristocratique de son siècle. N’oublions pas que s’il est né esclave, Saint-Georges est un noble qui a vécu comme tel malgré le racisme de ceux qu’il côtoyait. Certains portraits de ce livre sont une mine de connaissances comme celui de François-Auguste Perrinon, premier Noir polytechnicien (1832) qui fut un collaborateur de Victor Schoelcher dans le mouvement abolitionniste et associé à la rédaction de l’acte d’abolition. Le portrait de Blaise Diagne - « plus patriote dans  sa dévotion à la France que bien des Français » -  éclaire le penchant des intellectuels Sénégalais comme Lamine Gueye et Senghor à placer leur foi dans l’égalité entre Noirs et Blancs dans l’empire français au lieu de rechercher l’indépendance, c’est à dire à se montrer des ardents défenseurs de l’assimilation alors que visiblement la France méprisait cet idéal.

            C’est un véritable bonheur de découvrir des vies comme celle de Edmond Albius, cet esclave qui découvrit à 12 ans, sur l’île de la Réunion, la technique de la fécondation artificielle de la vanille alors que les savants échouaient lamentablement ; celles, révoltantes, de quelques noirs ardents combattants et résistants pendant la deuxième guerre mondiale, sauvagement passés par les armes des Nazis alors que ceux-ci épargnaient les prisonniers français blancs ; celle aussi de René Maran, le premier romancier noir couronné d’un prix littéraire français le 14 décembre 1921 à 34 ans. Après Jean-Jacques rousseau avec son Discours sur les sciences et les arts et avant Aimé Césaire avec son Discours sur le colonialisme, la préface de son roman Batouala va engendrer en France l’une des plus retentissantes polémiques littéraires du 20è siècle avec le racisme de bon nombre de critiques en prime. Portrait passionnant aussi que celui de Gaston Monnerville président du sénat pendant plus d’une vingtaine d’années. Premier et dernier sénateur noir élu en métropole, il oeuvra,  à la demande de De Gaulle, à l’établissement de la Vè République avant de devenir un farouche opposant à ce dernier. Tous, comme Césaire et Senghor ont combattu pour la France ou ont lutté pour l’équité et la justice en son sein.   

            Mais entre tous, les portraits les plus émouvants sont certainement ceux de Jean-Baptiste Belley, le député de Saint Domingue qui mènera une lutte anti-esclavagiste éblouissante ;  Louis Delgrès, qui mériterait d’être élevé au rang d’icône universelle de la liberté tant son sacrifice est immense ; et Félix Eboué, le premier résistant français sans qui l’appel du 18 juin de De Gaulle n’aurait eu aucun sens. C’est en effet Félix Eboué qui, contre l’avis de ses supérieurs et du gouvernement de Vichy et contrairement aux autres gouverneurs, va mettre l’armée du Tchad à la disposition de De Gaulle et lui conférer une certaine légitimité aux yeux des Anglais. Le fait qu’il soit le premier résistant de la dernière guerre à dormir au panthéon n’est que justice.

            Voilà donc pour les peuples noirs d’Afrique, des Caraïbes et d’ailleurs des héros illustres dont les noms - bannis ou indésirables en France - mériteraient de figurer aux frontons des écoles ou d’être portés par des rues citadines. Tout simplement parce qu’en luttant pour la France parce qu’ils étaient Français, ils ont lutté pour la justice à l’égard des Noirs. Le fait que le livre replace chacun des personnages dans l’histoire de la vie politique de son époque le rend très passionnant. Ainsi chacun d’eux apparaît comme une fenêtre sur un monde : la noblesse du 18 è siècle avec Saint Georges, les luttes abolitionnistes avec Jean-Baptiste Belley et François-Auguste Perrinon, etc… Mais les images manquent cruellement à cet ouvrage. On aimerait découvrir le portrait de Jean-Baptiste Belley que l’auteur a vu au château de Versailles ; un beau portrait, dont il fait une magnifique description. On lit ce livre conforté dans l’idée que l’abolition de l’esclavage n’est pas le fait de quelques volontés blanches philanthropes mais avant tout la réalité de luttes constantes de populations noires avec des leaders cultivés et amoureux des libertés et des règles d’équité prônées par les institutions françaises. D’autre part, ce livre montre que l’absence de figures noires dans les manuels d’histoire est une injustice, car la France compte des intellectuels noirs abolitionnistes, des officiers noirs ardents adversaires des Nazis et de leurs collaborateurs pendant que de nombreux français blancs se planquaient en zone libre ou se contentaient d’écouter l’appel de De Gaulle sans y répondre.

            Il faut signaler aussi l’excellente préface de l’auteur qui justifie ses choix. Quant à ceux qui oseraient qualifier son œuvre d’entreprise communautariste ou raciste, il répond tout simplement : « Que Saint-Georges, Delgrès, Eboué ou le tirailleur Maboulkede reprennent leur place, rien que leur place, au cœur de notre mémoire nationale, et tout sera pour le mieux. » Il rejoint ainsi la pensée de Delgrès criant aux générations futures de France : « Et toi postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits. » Il faut espérer que cette demande de reconnaissance sera un jour satisfaite par les Français blancs. C’est d’ailleurs à eux que s’adresse avant tout ce livre qu’ils doivent considérer comme « un cours de rattrapage » d’histoire pour une connaissance plus exacte de l’Histoire de France.

 

Raphaël ADJOBI

 

 

Titre : Ces Noirs qui ont fait la France (274 pages)

Auteur : Benoît Hopquin

Editeur : Calmann-Lévy

13 juillet 2011

Léopold Sédar Sengor témoin des camps de soldats coloniaux pendant l'occupation allemande

                                      Léopold Sédar Senghor

                    témoin des camps de soldats coloniaux

                           pendant l'occupation allemande   

Senghor en 1940 0001 

  Extraits d'un document inédit publiés

  par le journal Le Monde du 17 juin 2011

 

A Poitiers

« (...) Les baraques sont mal construites et nous préservent mal du froid quand le thermomètre est au-dessous de zéro. Les abords des baraques sont pleins d'une boue où l'on enfonce facilement de 30 cm. Il n'y a ni lavabos, ni douches dans le camp. (...) En général, nous sommes assez bien vêtus. A signaler cependant la pénurie persistante de gants et de chaussettes. Beaucoup de tirailleurs en tombent malades (pieds gelés et engelures). La Croix-Rouge nous envoie tout ce qu'il faut, mais on nous donne de préférence les vielles choses. Où passe le reste ?

(...) Solidarité assez étroite entre ceux des différentes colonies : Antillais, Malgaches, Indochinois, Sénégalais. Seuls les Arabes sèment des germes de discorde (les Marocains exceptés). Ils cherchent à s'emparer des meilleures places (secrétariat, cuisine, bonnes corvées, etc.). Pour cela, ils dénigrent les autres, en particulier les intellectuels noirs, qu'ils présentent comme des francophiles et des germanophobes. (...) La propagande allemande était bien organisée à Poitiers. Elle dépendait du bureau de la "Gestapo" à la Kommandantur. Elle eut très peu de prise sur les Sénégalais et les Antillais. D'ailleurs, de bonne heure, elle porta uniquement sur les Arabes : journaux arabes édités par les Allemands, faveurs accordées au culte musulman, aux espions, etc. Les "intellectuels" arabes, je veux dire ceux qui avaient quelque instruction, étaient les meilleurs agents de l'Allemagne. Ils prêchaient leurs compatriotes et dénigraient la France devant les Allemands (chez les Noirs au contraire, chez les Antillais en particulier, les intellectuels furent les plus persistants). Quand on demanda des volontaires pour aller en Russie, il n'y eut que des Arabes à se proposer. (...) Les espions étaient des Arabes - toujours les Marocains exceptés. (...) Ce fut l'occasion de nombreuses frictions entre Arabes et Sénégalais. (...) C'est ainsi qu'un Sénégalais, qui s'était battu avec un sergent arabe et qui refusait de courir sous l'injonction d'un Allemand, fut grièvement blessé d'un coup de pistolet. (...)

 

A Saint-Médard

[La nourriture] est particulièrement insuffisante et peu variée. Nous avons un pain pour 5, parfois pour 6. En général, nous avons de la soupe matin et soir, mais quelle soupe ! Une poignée de riz dans un liquide plus ou moins coloré et salé.

(...) Dans les Kommandos, (...) les hommes travaillent de 8h30 à 15 heures. Ils ne peuvent manger avant 16 heures. Pour leur permettre d'attendre, on leur a donné 100 gr de pain à midi (...) et il n'est pas question de manger à la table du paysan comme à Poitiers. D'ailleurs les civils leur témoignent en général, dans la Gironde, une parfaite indifférence. Plusieurs civils se sont plaints des restrictions et m'ont dit que les prisonniers n'étaient pas les plus malheureux.

(...) En somme, la France peut faire oublier la défaite et la captivité si elle sait, elle aussi, faire de la propagande auprès des prisonniers libérés. Or le bruit court dans les camps que Vichy pratique une politique "réactionnaire" aux colonies. Partout dans ces mêmes camps, Pétain symbolise la France, et son portrait y est, à ce titre, très vénéré. (...) »

 

Raffael Scheck, qui a authentifié le texte (dont une copie est conservée aux archives de l'armée de terre à Vincennes), confirme qu'entre 1940 et 1942 tout laissait croire à l'Allemagne qu'elle allait gagner la guerre. Aussi « La propagande allemande pro-islamique était intense envers les Nord-Africains. Il y avait des camps de propagande pour eux en Allemagne (...) et les services allemands s'efforçaient de préparer les prisonniers nord-africains à accepter une présence militaire et politique allemande en Afrique du Nord ». (Le Monde  du 17 juin 2011).  

 

Lu pour vous par Raphaël ADJOBI  

24 septembre 2011

Les Africains-Français à la recherche d'une plateforme de combat pour l'avenir

         Les Africains-Français à la recherche

  d’une plateforme de combat pour l’avenir 

DSCF0689            Le 10 septembre 2011 s’est tenue à Paris, rue Gobaut, l’avant-dernière réunion du « Mouvement des Africains-Français ». Prévue à 15 h, elle n’a débuté qu’à 16 h. La ponctualité serait donc à surveiller afin d’encourager la participation de ceux venant des provinces. Une cinquantaine de personnes avaient fait le déplacement ; ce qui est réjouissant. 

            La réunion a débuté par une introduction de la maîtresse des lieux : Calixthe Beyala, qui a mis sa notoriété au service du mouvement comme fer de lance. Elle reviendra quelque temps plus tard pour un brillant et provoquant exposé sur l’attitude des Africains en général face à l’évolution du monde.                                                                        

            Mais pourquoi donc les Africains sont-ils des ardents partisans de l’inertie ? Pourquoi rien ne les réveille en masse et ne les met en mouvement ? Rien que la peur ne peut expliquer cette attitude, clame Calixthe Beyala. L’Africain vit avec la peur au ventre ! Il n’y a plus d’hommes en Afrique, lance-t-elle. Un homme doit veiller sur sa femme et ses enfants et leur procurer de quoi manger, de quoi se vêtir. C’est pourquoi le "petit Blanc" prend les armes pour aller en Afrique chercher ce qui manque aux siens. Et c'est la même raison qui fait dire à Barak Obama que «  le rôle d’un président, c’est de veiller à ce que son pays ne soit pas en manque des ressources qui lui sont nécessaires ».*    

            Pendant ce temps, que fait l’homme africain ? Vautré dans sa suffisance, il ne cesse de discourir sur les autres, le ton toujours sentencieux. Prompt à invoquer des prétextes fallacieux, à en inventer si nécessaire, pour ne pas se battre. A vrai dire, c’est la peur de prendre ses responsabilités qui le mine et l’empêche de jouer son rôle de protecteur et de pourvoyeur des besoins de sa famille. N’est-ce pas ainsi que  nous sommes également, nous, Africains-Français ? Trop de prétextes nous empêchent de nous engager dans la défense de la cause noire. 

            Et comme le fera remarquer un intervenant avec beaucoup de justesse, les Africains-Français sont dans une situation délicate : nous profitons des fruits de la chasse du "petit Blanc" qui va bombarder les pays africains et nous pleurons en même temps nos parents qui en meurent. Plutôt que de nous plonger dans une bêtifiante inertie, cet état de fait devrait nous révolter et nous mener à l’action. Malheureusement, des millions d’Africains-Français n’ont jamais été capables de paralyser momentanément un secteur quelconque de notre pays afin de montrer leur désaccord ou leur opposition aux crimes commis en Afrique au nom d’idéaux trompeurs qui cachent des actes de prédation. On oublie que c’est à ce prix qu’aux Etats-Unis d’Amérique et en Afrique du Sud les lignes du respect et de la considération ont été repoussées par les Noirs.                 

            Certes, dans l’immédiat, - avant décembre 2011 -  le MAF a le souci de faire en sorte que presque tous les Afro-Français en âge de voter s’inscrivent sur les listes électorales pour participer aux élections de 2012. Et il compte bien faire du chiffre des adhésions une arme de négociation avec les partis politiques pour défendre ses valeurs vis-à-vis de l’Afrique. Mais, à plus long terme, le mouvement envisage la mise en place d’une plateforme de propositions en vue de la valorisation de l’Afro-Français. Au regard de ce qui est dit plus haut, cet objectif s’impose comme une absolue nécessité. 

            En effet, comme le disait si bien Calixthe Beyala, qu’attendons-nous pour favoriser par des actes concrets la naissance d’une élite Afro-Française capable de défendre nos intérêts et jouer un rôle prépondérant dans le paysage politique de notre pays ? Comment les Noirs peuvent-ils accéder au pouvoir en France s’ils ne constituent pas une force visible qui mérite respect et considération ? Il convient de travailler de concert pour que cet objectif soit un jour  atteint. Déjà, le mouvement songe à la création d’une cellule enseignante pour se pencher sur la question de la formation des Afro-descendants dans notre système éducatif. On constate par ailleurs qu’il n’y a que les Africains qui n’ont pas une « Maison de la culture » en France ! Comment les valeurs que nous véhiculons et que nous défendons peuvent-elles être prises en compte ou respectées si personne ne les voit, si personne ne les connaît ? Là aussi, tout doit être mis en œuvre pour qu’une maison de la culture africaine voie rapidement le jour. 

            Enfin, dans le domaine de l’éducation publique – même si cela ne peut être un élément à inscrire au nombre des objectifs à atteindre – on peut retenir la pertinente intervention de notre ami nantais qui nous conseille de mener un combat contre l’exclusion liée à l’insidieuse question souvent posée aux Noirs par les Blancs : « De quel pays es-tu ? » Puisque la question n’est jamais posée aux Français blancs d’origine hongroise, polonaise, italienne, espagnole, … il serait juste que les Afro-Français refusent leur exclusion de la France en disant qu’ils sont originaires de la Côte d’Ivoire, du Congo, du Cameroun, du Mali… Être Africain-Français c’est déjà beaucoup et cela doit être la seule réponse à délivrer désormais. Sur ce chapitre, ceux qui ont l'habitude de lire mes commentaires ça et là savent que c’est un combat que je mène depuis de nombreuses années.   

           DSCF0688 En moins de trois mois d’existence, le MAF apparaît comme le seul mouvement à totaliser en un temps record le plus grand nombre d’adhérents. Mais pour que sa présence sur l’échiquier politique de notre pays soit remarquée de façon durable, il lui faut asseoir une plateforme de projets suffisamment étoffés et réalisables (donc réalistes) qui offre à ses adhérents des raisons d’être fiers pour poursuivre le combat et se défendre contre les questions de leurs détracteurs. Cette plateforme pourra aussi s’avérer un outil précieux pour convaincre ceux qui hésitent encore à rejoindre notre mouvement. 

*Propos attribué à Barak Obama lu dans le courrier d’un  ami Internaute. 

Raphaël ADJOBI

11 octobre 2011

L'expression du métissage dans la littérature africaine (Liss Kihindou)

                               L'expression du métissage

                            dans la littérature africaine

                                           (Liss Kihindou)    numérisation0003

             Comme la rencontre de deux éléments différents, celle de deux cultures s'expose aux mêmes lois : soit une fusion complète dont le résultat n'a rien à voir avec la nature de l'un ou l'autre élément, soit une lutte pour la suprématie. Dans ce dernier cas, au final, l'élément victorieux présente toujours un visage bien altéré par cette rivalité. C'est le visage grimaçant de ce mélange ou de ce "métissage" que Liss Kihindou explore dans la culture africaine et ses formes traditionnelles de transmission des connaissances, puis dans le fruit de l'union charnelle du Blanc et du Noir, et enfin dans l'acte d'écriture. Et tout cela à travers trois oeuvres de littérature d'expression française : L'Aventure Ambiguë (Cheikh Hamidou Kane), Le Lys et le Flambloyant (Henri Lopes) et Les Soleils des Indépendances (Ahmadou Kourouma). 

            Les trois œuvres qui ont servi de support à cette étude montrent clairement, selon l’auteur, que la rencontre de l’Europe et de l’Afrique a été vécue comme « une occidentalisation » de cette dernière. Aussi se dégage-t-il, avant tout, de cette littérature l’impression d’une farouche opposition à « l’école » qui constitue l’institution clef de cette « occidentalisation ». Aux yeux surtout des tenants de l’enseignement coranique, véhicule d’une tradition ancestrale - culturelle et religieuse – c’est l’enseignement du savoir qui est vécu comme une dépossession. Par voie de conséquence, c’est l’extinction des connaissances et des valeurs religieuses de tout un peuple qui motive leurs imprécations contre l’école européenne. 

            La lecture de cette première partie des analyses de l’auteur fait prendre conscience de la raison profonde du désamour que la littérature africaine a laissé dans le coeur de bon nombre de personnes depuis les classes du lycée. « Il faut noter que, dit Liss Kihindou, s’agissant des valeurs de l’Afrique, sa religiosité est toujours mise en relief, et ce aussi bien dans le discours africain que le discours européen ». Et c’est justement ce que de nombreux lecteurs n'ont pas apprécié dans cette littérature africaine du milieu du XXè siècle. Jamais ils n'ont eu le sentiment d'être pris en compte par cette littérature dont les auteurs étaient essentiellement de tradition musulmane ! Les peuples africains musulmans ont toujours cru à tort que l’islam était inhérent à l’homme africain. Les peuples des forêts, chrétiens et catholiques, n’ont jamais attaché de manière aussi forte l’image de l’homme noir à sa pratique religieuse. D’ailleurs ceux-ci pratiquent souvent à la fois l’animisme et le christianisme sans jamais avoir le sentiment de damner leur âme. Alors que dans la vie quotidienne,  chez tous les musulmans – du moins au regard des textes – « les différents comportements ne traduisent tous qu’une seule et même préoccupation : la recherche de l’attitude la meilleure » pour ne pas donner l’impression de renoncer à leur culture. Pour eux, la légitime préservation de cette marque identitaire devient une obsession au point où l’on peut se demander, pour paraphraser l’auteur, si le brassage des cultures doit absolument se traduire en termes de « victoire » ou de « défaite ». Devant cette obsession, il semble donc juste que certains peuples des forêts  se sentent étrangers aux sentiments développés dans cette littérature. 

            Il est évident que la rencontre de l’Europe et de l’Afrique noire a également entraîné un « métissage entre les populations » que l’on pourrait appeler le métissage du sang. Le chapitre consacré à l’étude de ce phénomène dans la littérature africaine est fait d’arguments bien choisis, d’analyses justes et fort précises. On devine aisément à travers ce travail que Le Lys et le Flamboyant d’Henri Lopes est porteur d’un message éminemment éloquent sur la condition du métis en Afrique noire que Blancs et Noirs devraient lire pour saisir au plus juste leur part de responsabilité dans le trouble existentiel des métis. Ceux-ci, nés à l’époque coloniale, ne pouvaient qu’être écartelés entre deux mondes. « Tous en général éprouvaient ce sentiment d’être plus africains qu’européens (mais) n’étaient pas insensibles aux avantages dont ils pourraient bénéficier s’ils étaient considérés comme Blancs ». Pouvons-nous nous permettre de dire aujourd’hui que ce sentiment du métis – qui a souvent manqué de l’affection paternelle parce que presque toujours abandonné – a évolué parce que le brassage des populations est devenu chose plus courante en ce début du XXIè siècle ? En tout cas, c’est un chapitre très intéressant et original qui donne envie de lire Le Lys et le Flambloyant.    

            Enfin, le dernier métissage objet de l’étude de cet ouvrage touche au visage de la langue française dans la littérature africaine. La difficulté à rendre compte des pensées et des images véhiculées par les langues locales est un des éléments que les auteurs d’Afrique noire n’ont pas manqué de relever ça et là. Liss Kihindou relève chez ces écrivains des subterfuges pour contourner la langue française académique afin d’être au plus près du mode de penser local. Certes, toute « langue, à elle seule, suffit à illustrer la culture qu’elle représente », remarque-t-elle. De ce fait, on comprend fort bien les récriminations des auteurs africains. Mais on est en droit de se demander si la difficulté qu’ils semblent présenter comme un crime contre les langues africaines n’est pas une difficulté universelle liée au fait de penser dans une langue et vouloir s’exprimer dans une autre. D’autre part, cette difficulté ne serait-elle pas aussi liée au passage de l’oralité à la transcription écrite que connaît l'Afrique ? 

            Ce petit livre est certes technique dans l’approche de son sujet. Mais sa lecture se révèle très plaisante et suscite des interrogations et surtout des réflexions sur les choix des cultures que les auteurs africains  défendent contre « l’occidentalisation ». Nous savons que les musiques venues du Sahel, abondamment diffusées sur les ondes françaises et présentées comme l'exact reflet de la culture africaine ne sont pas du goût de tout le monde. Il serait donc bon de ne pas faire de la littérature africaine de culture musulmane le canon officiel de la littérature africaine pour éviter de dresser contre elle le ressentiment de nombreux lecteurs qui la considèrent à certains égards comme une littérature étrangère. Cette littérature ne rend compte, en effet, que d'un aspect  du visage multiple de l'Afrique face à "l'occidentalisation".             

 

Raphaël ADJOBI

Titre : L'expression du métissage dans la littérature africaine (88 pages)

Auteur : Liss Kihindou

Editeur : L'Harmattan, 2011

14 août 2011

Inassouvies, nos vies (Fatou Diome)

                                       Inassouvies, nos vies

                                           (Un roman de Fatou Diome)

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            La beauté de l’écriture et le projet novateur qui rappelle - à certains égards - le film « Fenêtre sur cour » d’Alfred Hitchcock sont les deux éléments qui retiennent l’attention dès les premières pages du roman. De son appartement, Betty, jeune dame célibataire, prend beaucoup de plaisir à scruter les fenêtres de l’immeuble d’en face pour deviner la vie de ses occupants. Aux différents étages, elle découvre des rituels auxquels elle s’accroche comme à des fils d’Ariane conduisant au cœur de la vie de ses voisins.

 

            On salive à l’annonce de ce projet adroitement accompagné de belles réflexions. Malheureusement, il tourne très vite à l’obsession d’aller au-delà de la devinette ou des fruits de l’imagination pour accéder à la réalité des faits et donc des vies. Dès lors, notre « loupe » - comme elle se surnomme – devient détective et sombre dans l’ordinaire. Et l’ordinaire, ce sont des vies inachevées, des passions et des désirs inassouvis. Certes, la vie de ces voisins n’est pas dénuée d’intérêt ; mais ces intrusions faites de savants calculs deviennent rapidement pesantes.

 

            D’ailleurs, les pages les plus belles, les plus poétiques et les plus touchantes du livre sont celles nourries par l’observation à distance. Quand l’imagination effleure le réel sans vouloir se substituer à lui, le texte reste léger comme un parfum traversant le temps. Assurément la passion de Betty pour les récits de guerre des anciens combattants blancs de la maison de retraite prend trop de place. Que ces récits soient l’occasion de tirer quelques singulières conclusions, on ne peut qu’applaudir. Mais qu’une Afro-Française fasse de ce lieu commun de la littérature hexagonale une passion détonne et apparaît superflu.

 

            D’autre part, le fait que l’auteur cherche absolument à aborder une multitude de sujets très éloignés les uns des autres et du projet initial crée chez le lecteur un sentiment de lassitude. Pourquoi vouloir absolument toucher à tout ? Que les vacances africaines de la « prof intello-écolo-bio » soit l’occasion de critiquer le tourisme « intelligent » ou « humanitaire », cela n’a rien d’étrange. Mais basculer dans une longue critique des dirigeants africains et du F.M.I. « affameur du peuple » donne clairement l’impression de vouloir régler des comptes inopportunément. Il en est de même des longues réflexions de l’épouse « sophistiquée » de l’avocat sur les joggers séducteurs qui dans les parcs publics semblent régler leurs foulées sur leurs désirs de conquêtes féminines.

 

            L’essentiel à retenir de ce roman, c’est que Fatou Diome a le sens de la formule pour traduire certaines impressions tirées de la vie des autres. Il est très plaisant de lire le portrait de la femme « sophistiquée » : « Dans son milieu, afficher des rotondités corporelles était aussi obscène que parler d’argent. Sa ligne contournait les plaisirs de la table et suivait ses délires plastiques. […] Son corps était son Atlas et sa géopolitique se limitait à son tour de taille. » (p. 57) Même pour parler des actes simples, ses formules sont éclatantes : « Offrir des livres ou donner un conseil de lecture est un exercice périlleux (…) Et il est facile de se tromper, car chacun se prosterne à l’autel de sa propre sensibilité » (p. 33)

 

On apprécie certes les qualités stylistiques de l’œuvre. Malheureusement, mis à part les belles formules littéraires, au terme du roman, la curiosité du lecteur  reste inassouvie.

 

Raphaël ADJOBI

 

Auteur : Fatou Diome

Titre : Inassouvies, nos vies (253 pages)

Editeur : J’ai lu (Juillet 2010)

2 janvier 2012

La France Noire, trois siècles de présence

                                                 L a   F r a n c e   N o i r e

                                              Trois  siècles  de  présence 

La France noire 0011            Enfin, voici un livre qui clame haut et fort, par son titre, que la France n’est pas blanche ! Tout en étant le pays européen qui a le plus multiplié les lois racistes, les reconduites à la frontière et les mises en garde contre l’invasion des Noirs, la France demeure paradoxalement, aux yeux des autres pays, la première nation nègre d’Europe. Il y a une raison à cela ; et c’est ce que La France Noire veut rappeler à tous, Noirs et Blancs. Cet ouvrage collectif réalisé sous la direction de Pascal Blanchard propose de visiter notre passé commun en retraçant les étapes oubliées d’une histoire noire française, les étapes où ces anciens esclaves, ces immigrés volontaires ou non, ces civils ou militaires ont mêlé leur destin à celui de la métropole. 

            Suite à la longue et riche introduction de Marcel Dorigny qui rappelle la place des Noirs dans l’histoire de l’Europe, le livre s’organise en huit chapitres abondamment illustrés. L’histoire de la France noire présentée ici commence en 1848 avec l’abolition de l’esclavage et les débuts de la colonisation et se termine à la fin du XXè siècle sur la question de l’identité nationale française au sein d’une société irrémédiablement métissée.  Dieudonné Gnammankou et Alain Ruscio, qui ont eu la charge du premier chapitre, nous montrent qu’après plus de cent cinquante ans de présence plus ou moins régulière des Noirs en métropole (quatre mille Noirs et Métis en 1738), la France n’est plus officiellement blanche entre 1848 et 1889. A cette époque en effet, outre les Blancs, sa population s’est enrichie d’esclaves affranchis - donc de citoyens noirs - et de sujets coloniaux. Malheureusement, c’est à cette même époque que les scientifiques font de l’idée de « race » une passion française et européenne suite à la parution de L’origine des espèces de Charles Darwin, en 1859. C’est à partir du milieu du 19 è siècle, en effet, que les hommes de science se lancent dans l’étude comparative des « peuples de couleur » avec les Blancs pour aboutir à une classification et une hiérarchisation des races. Cette science racialiste décrète de manière définitive l’infériorité de l’homme noir qui « gît au plus bas de l’échelle » parce que possédant un « caractère d’animalité » et le « cercle intellectuel le plus restreint » rendant sa civilisation impossible par l’Européen. Telle est l’image du Noir diffusée dans la société grâce à la littérature, à la presse populaire et aux discours politiques violents.

            Le lecteur comprend alors que les expositions coloniales de l'époque, les foires et les exhibitions ne sont qu’une suite logique de la volonté d’une élite : montrer le caractère sauvage des nègres et par voie de conséquence leur infériorité intellectuelle justifiant leur domination. Ces exhibitions qui attirent des millions de visiteurs contribueront évidemment à populariser l’image du Noir dans la publicité, les arts, le monde du spectacle, la littérature, et permettront au grand public d’assimiler l’image dégradante du Noir qui hante encore les esprits et provoque des dégâts inimaginables.            

            Quant au deuxième chapitre – œuvre d’Elikia M’bokolo et de Frédéric Pineau -, qui s’étale de 1890 à 1913, il montre l’achèvement de l’installation de l’empire français sur l’Afrique. Si les expositions coloniales et les exhibitions ont toujours du succès, on voit toutefois émerger un attrait pour l’esthétique nègre dans les arts et le sport. A son tour, le chapitre III (1914 – 1924 / par Catherine Coquery-Vidrovitch et Sandrine Lemaire) souligne la contribution de l’Afrique à la première guerre mondiale. Un chapitre important et passionnant à la fois. En effet, on lit avec émotion que l’arrivée massive de régiments d’Afrique habitue peu à peu le grand public à une image du Noir qui n’est plus associée au sauvage des exhibitions coloniales. Il découvre non seulement des soldats et des blessés noirs mais également des travailleurs noirs et des infirmières antillaises. Malheureusement, les politiciens ont une autre idée de la société qui se dessine. Par peur d’une trop grande proximité avec les populations métropolitaines, on prend ça et là des mesures de surveillance et de contrôle des mouvements des Noirs. Du chapitre IV (par David Soutif et Styler Stovall) qui couvre la période de 1925 à 1939, le lecteur retiendra combien l’image de l’Afro-Américain - et particulièrement celle de Joséphine Baker - a favorisé l’avènement de la Négritude. C’est l’époque des premières luttes pour « la race noire » et pour l’égalité républicaine alors que la France politique et affairiste organise l’exposition coloniale de 1931.

 gymnastes 1939 numérisation0001           Les quatre derniers chapitres qui courent jusqu’à la fin du XXè siècle constituent à mes yeux l’époque moderne parce qu'on y découvre que le destin des Noirs de France n’est plus dissociable de celui de la métropole malgré les interminables débats sur le "vivre ensemble". D’ailleurs, tout ce qui est fait durant cette période apparaît comme un jeu de passion et de dépit amoureux. Entre 1940 et 1956 (Ch. V / Romuald Fonkoua et Nicolas bancel), la France a besoin des Africains pour la guerre et pour ses industries mais s’inquiète de voir l’ordre des choses bouleversé par cette présence et multiplie les mesures en tout genre. C’est d’ailleurs à cette époque qu’est apparue une égalité « partielle » grâce à l’arrivée à Paris des premiers élus de l’Union française et qui a fait croire à une France sans « préjugés de couleur ». Entre 1957 et 1974 (Ch. VI / Françoise Durpaire), suite aux luttes pour les indépendances africaines, la France n’assumant pas ses couleurs popularise l’idée du Noir immigré, discréditant ainsi toute une partie de sa population. Enfin viennent la période des rêves et des illusions (Ch. VII : Bleus, Blancs, Blacks… / par Françoise Vergès et Yvan Gastaut) et celle de l’affirmation d’une citoyenneté noire dans une France métissée (Ch. VIII : par Achille Mbembe et Pap Ndiaye). La lecture de ces quatre derniers chapitres n’est pas inintéressante mais retient moins l’attention parce qu’ils apparaissent comme une histoire inachevée. En effet le Noir français vit avec l’idée que la question de sa citoyenneté est toujours versée au débat national.

            L’histoire de la France noire présentée ici n’est donc qu’une histoire partielle de la présence des Noirs en métropole puisqu’elle écarte intentionnellement la longue période où ceux-ci n’avaient d’autre statut que celui d’esclaves ou de meubles. On voit cependant  que 150 ans de statut de citoyen n’ont pas réussi à changer l’image que la France a scientifiquement et idéologiquement construite, et qui ne peut être détruite que si elle s’applique à faire la démarche contraire. En procédant de quelle façon ? En s’appliquant avec le même soin à défaire par l’éducation et l’enseignement ce qu’elle a construit. Quand sera-telle capable d’une telle volonté politique ?            

°Photo : Défilé de gymnastes lors des célébrations du 14 juillet 1939 (p. 171)

Raphaël ADJOBI

Titre : La France noire ; trois siècles de présence

Ouvrage collectif sous la direction de Pascal Blanchard ;

La préface est d’Alain Mambanckou

Editeur : La découverte, 360 pages

3 avril 2010

Discours sur le colonialisme (Aimé Césaire)

                 Discours sur le colonialisme

                                     (Aimé Césaire)                                      

J'avoue n'avoir jamais tenu ce livre entre les mains quand j'étais élève ou étudiant. C'est un certain complexe mais aussi un devoir que je me suis imposé qui m'ont conduit à sa lecture. J’attends vos avis sur le livre. J'attends, surtout, de ceux qui l'ont étudié sur les bancs du lycée ou de l'université qu’ils me fassent connaître ici le souvenir de leur lecture de l'oeuvre et les analyses qu'ils ont retenues de leurs enseignants.

 

Discours_sur_le_colonialisme

            A la manière de Jean-Jacques Rousseau réfutant l'idée selon laquelle les sciences et les arts ont contribué à rendre l'homme meilleur dans son Discours sur les sciences et les arts, puis dénonçant les fondements de l'inégalité dans les sociétés humaines dans De l'inégalité parmi les hommes, dans le Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire se fait le critique violent de l'impérialisme européen et de la mise en place d'un colonialisme destructeur.

 

            Ce que Césaire trouve de plus détestable, ce sont les pensées qui accompagnent cette entreprise. Ce qu'il dénonce par dessus tout, c'est cette suffisance de la pensée européenne telle qu'elle est exprimée par ceux qui veulent asseoir sa suprématie sur les contrées dites exotiques dans les domaines de la civilisation et de la culture. Ce qui surprend tout d'abord, c'est le caractère moderne des propos de l’auteur. Ceux dont il dénonçait les pensées mystificatrices et racistes ont aujourd'hui des continuateurs auxquels l'on peut rappeler le contenu de ce discours. Ce qui surprend ensuite, c'est le ton : un véritable cri contre l'injustice ; cri qui apparaît d'autant plus violent que les faits et les propos racistes dénoncés sont insupportables.

 

            Césaire fait donc défiler les penseurs européens propagateurs des théories basées sur la supériorité de la race blanche comme devant le trône de la raison humaine et prononce pour chacun un jugement sans appel, clair et rationnel. Il ne manque pas non plus d'énumérer la cohorte de personnes qui, nourries par ces théories, ont piétiné l'Afrique et l'ont marquée de leurs mauvais exemples.

 

            La dernière partie de ce discours faisant la critique de la notion de « nation » et évoquant implicitement l'idée d'immigration à travers l'histoire, ne peut que laisser dans l'esprit du lecteur l'image de la fourmilière dans laquelle vient marcher le promeneur qui se fait ensuite envahir tout le corps par les fourmis. Le promeneur inconscient oublie toujours que les fourmilières, telles qu'on les voit dans les champs, sont des organisations structurées qui ont un commerce réglementé à l'intérieur mais aussi avec l'extérieur. En mettant le pied sur elles et en détruisant leur organisation, il engendre un mouvement d'éparpillement qu'il est fort difficile - pour ne pas dire impossible - d'endiguer.

 

Raphaël ADJOBI         

 

Titre : Discours sur le colonialisme (74 pages)

           (suivi de Discours sur la Négritude)

Auteur : Aimé Césaire

Editeur : Présence africaine (1955 et) 2004.

27 avril 2010

Quand les Etats-Unis inventaient l'égalité (image)

        Quand les Etats-Unis inventaient l'égalité

 

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            Ce que le génie de l'Amérique blanche trouva de mieux à proposer pour rendre la fin de l'esclavage équitable pour tous, fut de décréter que les citoyens de ce pays devaient vivre « égaux mais séparés ». Les blancs annoncèrent donc aux noirs « qu'ils étaient libres, unis aux autres hommes de leur pays dans le domaine du bien commun, mais séparés d'eux comme le sont les doigts de la main dans le domaine de l'organisation sociale... »  (Ralph Ellison, Homme invisible, pour qui chantes-tu ?).

 

            Un simple regard sur cette photo et vous avez la parfaite illustration de ce que les Blancs de ce pays entendaient par « égaux » (pour aller à la guerre par exemple) « mais séparés » (dans le domaine de l'organisation sociale comme les lieux du savoir, des loisirs, et même des besoins naturels urgents). Mais il fallait bien comprendre qu'égalité ne voulait pas dire égalité de traitement ! Ah, ça, non ! Comme quoi, les notions abstraites telles que la liberté, l'égalité, la fraternité, sont bien relatives. Aussi, lorsqu'elles sont publiquement proclamées, cela ne veut point dire qu'elles sont acquises ; cela veut dire qu'elles sont à conquérir. 

 

Raphaël ADJOBI           

Photo : Elliot ERWITT/USA

 

28 juin 2010

Homme Invisible, pour qui chantes-tu ? (Ralph Ellison)

        Homme invisible, pour qui chantes-tu ?

 

            Homme_invisibleLire ce classique de la littérature noire américaine, c'est plonger au coeur des Etats-Unis des années trente sortant fraîchement du bain de l'esclavage. Volumineux et passionnant de la première à la dernière page, Homme invisible, pour qui chantes-tu ? est assurément un « pavé » magnifique qui mérite - sans exagération aucune - d'être classé au rayon des romans exceptionnels. Un roman au souffle puissant, franc et dur. Le lecteur ne peut en ressortir qu'éprouvé, haletant comme ayant été constamment au bord de l'asphyxie.

            A quatre vingt-cinq ans, le narrateur décide de revenir sur sa vie qu'il comprend avoir été vécue sous le sceau de l'invisibilité. Tout le livre se présente d'ailleurs comme une définition puis une ample explication de cette invisibilité. C'est sans doute pour cette raison que son nom n'est jamais prononcé dans le roman qui s'organise en deux étapes.

            Dans le premier mouvement, les actions se situent dans le sud esclavagiste où étudie le jeune homme tendu vers un avenir glorieux comme on gravit une montagne les yeux rivés sur son sommet. Ce qui domine ce moment du récit et semble lui conférer sa trame essentielle, c'est le sentiment de honte du Noir qui l'anime. Aussi, seule l'aspiration vers ce que l'homme blanc proposait lui semblait, ainsi qu'aux autres étudiants noirs, l'idéal aimé, « aimé comme les vaincus en arrivent à aimer les emblèmes des conquérants ». On comprend donc que le héros ne cherche que sa réussite personnelle pour sortir de « cette île de honte ». Pour y parvenir, il est prêt à suivre « cette voie étroite et rectiligne » tracée devant les étudiants noirs par les blancs. Puisque tout ce qui se faisait dans le sud américain d'alors était fait sous le regard et la bienveillance de l'homme blanc, que tout s'accomplissait comme devant un tribunal, comme si le ciel « était l'oeil injecté de sang d'un homme blanc », il choisit de croire à « la main toute de bienveillance tendue pour aider les pauvres êtres ignorants que sont les Noirs à sortir de la fange et des ténèbres ». On n’est pas loin d'un certain mysticisme si ce n'est pas une théorisation de l'infériorité du Noir par rapport au Blanc. Jusqu'où peut-on s'humilier pour atteindre son but, peut se demander le lecteur ?

            Même quand un incident le précipitera hors de l'université et qu'il se retrouvera dans la zone nord des Etats-Unis où la rencontre brutale avec la relative liberté qui y règne lui donnera l'impression d'être un chien errant, il gardera cette foi chevillée au corps. Ce changement d'espace géographique et d'habitudes radicalement opposées à celles du sud constitue pour ainsi dire le deuxième mouvement du roman. Quand la terre semblera se dérober sous ses pieds, alors qu'on l'attend revenir de ses illusions, son talent d'orateur le raccroche à d'autres illusions. Le lecteur suit alors ses péripéties en ayant constamment le sentiment que le drame n'est pas loin. On a sans cesse l'impression qu'on est dans le souffle d'une tempête ou d'un cyclone et que tôt ou tard (mais plutôt tôt que tard), l'irréparable s'accomplira. A aucun moment, l'auteur ne laisse au lecteur le temps de reprendre son souffle. La chaîne des événements dans lesquels le héros est régulièrement plongé le fait vivre comme en apnée.

            Finalement, quand nourri d'une multitude d’expériences on prend conscience que l'on est invisible, que ceux qui « s'approchent de vous ne voient que votre environnement, eux-mêmes, ou les fantasmes de leur imagination, tout et n'importe quoi, sauf vous », que faites-vous ? Notre héros pense qu'il est alors temps de profiter de cette invisibilité ! A cette pensée, le lecteur jubile et s'attend à une revanche sur la société. Mais c'est à ce moment là, au moment où il lance son défi à la face de la société à la manière de Rastignac dans le père Goriot, qu'il ne maîtrisera plus rien. Il sera alors emporté par le flot des événements qu'il sera loin de comprendre tout à fait.         

            Il semble que le livre n'a pas rencontré l'approbation de bon nombre d'écrivains noirs américains parce que, selon l'éditeur, il suivait trop étroitement les canons de la littérature blanche forcément anglo-saxonne. A vrai dire, il faut se demander si cette désapprobation ne viendrait pas du fait que l'auteur étale trop ouvertement le complexe d'infériorité que nourrissait le Noir vis à vis du Blanc. A moins que ce soit la révélation des stratégies que développaient les Noirs opprimés.  Car face à cette domination blanche, les Noirs instruits construisaient parallèlement une sorte de pouvoir souterrain. Dans la première partie du roman consacrée à la vie du héros étudiant, est en effet développée toute une philosophie du pouvoir individuel selon les Noirs. Tous ceux qui semblaient de parfaits modèles d'humilité et de soumission se révélaient, loin des yeux des Blancs, de parfaits stratèges pour accéder au pouvoir ou le conserver. Ainsi, certains portraits apparaissent même effrayants parce que constituant une vraie personnification de l'hypocrisie. C'est sans doute la révélation de tout cela qui ne fut pas du goût de certains lecteurs noirs du début du XX è siècle.

Raphaël ADJOBI

Titre : Homme invisible, pour qui chantes-tu ? (614 pages)

Auteur : Ralph Ellison

Editeur : Bernard Grasset ; collect. Les Cahiers Rouges.

5 août 2010

L'affaire de l'esclave Furcy (Mohammed Aïssaoui)

L’affaire de l’esclave Furcy (Mohammed Aïssaoui)

 

L_affaire_Furgy            Le problème de tout un pan de l’histoire humaine, c’est que les victimes ne laissent pas de trace écrite. Pour ce qui est des esclaves, outre le problème d’absence d’identité dans les actes d’état civil, nous avons peu de traces de ces milliers d’enquêtes qui ont émaillé les siècles pour juger de l’application du Code noir, peu de traces de ces milliers de procès et condamnations entraînant mutilations et pendaisons. C‘est ce silence résultant de « cette absence de textes et de témoignages directs sur tout un pan d’une histoire récente » que ce livre veut dénoncer par l’intermédiaire du combat judiciaire le plus audacieux qu’un Noir ait livré au nom de sa liberté. Car le combat judiciaire de l’esclave Furcy révèle, plus que tous les traités, le caractère diabolique de la machine judiciaire coloniale toute vouée à son modèle économique.

 

            L’affaire de l’esclave Furcy commence en octobre 1817 à l’île Bourbon (La Réunion) quand, à 31 ans, il découvre à la mort de sa mère que celle-ci était affranchie depuis 26 ans. Puisqu’il n’avait pas sept ans au moment de cet affranchissement, Furcy était normalement né libre au regard de la loi coloniale. Son état d’esclave est donc injustifié, illégal. L’affaire prend fin vingt sept ans plus tard à la Cour de cassation à Paris, le 23 décembre 1843, cinq ans avant l’abolition de l’esclavage en France. Ce livre est en fait l’extraordinaire combat d’un homme sur le chemin de la liberté. Un combat administratif que l’auteur qualifie avec justesse de « guerre des papiers ».

 

Quand il apprend qu’il est né libre, Furcy ne prend pas la fuite. Il décide de faire entendre son droit devant le tribunal colonial. Pourtant, Furcy avait la loi coloniale régie par le Code noir contre lui puisqu’elle stipule qu’un esclave ne peut attaquer son maître en justice. Selon cette même loi, c’est le maître qui doit porter la plainte de l’esclave devant le tribunal. Tout être humain sous tous les cieux, à toutes les époques, reconnaîtra par ce subterfuge qu’aucun esclave ne peut dénoncer les mauvais traitements dont il est l’objet. En clair, l’esclave n’a aucun droit car pour en avoir un, il faut avoir le droit de faire appel à un tribunal pour vous rendre justice.

 

            Dans ces conditions, comment donc Furcy peut-il espérer atteindre son but ? Cette question nous permet de toucher l’autre aspect du livre que Mohammed Aïssaoui a plusieurs fois souligné. Si ce procès n’a pu être vite classé comme tous les autres, c’est non seulement grâce à « la détermination, l’obstination et la patience » de ce jeune esclave, mais grâce également au « souci de l’autre qui fait avancer le monde » qui l’animait. Oui, nous pouvons être convaincus avec l’auteur que Furcy a tenu à aller jusqu’au bout de son combat parce qu’il était « conscient que sa démarche dépassait sa personne ». Il savait qu’il devait poursuivre ce combat pour ces juges blancs intègres qui ont risqué leur carrière pour prendre sa défense, il le devait pour sa famille et pour tous les abolitionnistes. Oui, il devait continuer ce combat pour ceux qui comme lui avaient « le souci de l’autre », le souci de l’altérité.

 

            Afin que ce récit qui est une véritable « guerre des papiers » ne soit pas fastidieux, Mohammed Aïssaoui a choisi de tisser la toile de la fiction entre les pièces historiques, reliant les unes aux autres comme pour établir une cohérence qui, en les animant, fait ressurgir le visage et la vie de Furcy. Mais le conflit latent entre colons et « Français » (entendons métropolitains) que souligne le livre n’est point l’œuvre de la fiction mais bien la réalité sociale que révèlent les nombreuses plaidoiries, les nombreuses lettres des colons qui tenaient à tout contrôler jusqu’aux arcanes de la justice sur l’île. Le fait que la réglementation royale impose que le plus haut magistrat ne soit pas un natif de l’île ni marié à une créole, en d’autres termes que le procureur général - obligatoirement nommé par la France - doit être sans intérêt avec la colonie, engendrait irrémédiablement les attaques des colons qui voyaient dans toute décision qui ne leur était pas favorable un sabotage de l’économie de Bourbon. C’est le même climat conflictuel entre colons et « Français » que nous révélait déjà le livre Des juges et des nègres de Caroline Oudin-Bastide. L’affaire Furcy se révèle donc, à travers les textes officiels du procès, une belle peinture de l’esprit colonial qu’il faut absolument connaître avant d’entreprendre de juger de la passivité des Noirs dans les colonies. Esprit colonial qui survivra à l’abolition en 1848 où, même dans les discours favorables à la fin de l’esclavage, on fera du propriétaire blanc le père et du travailleur noir l’enfant. Dans le même esprit, on verra la naissance de deux devises : Liberté, Egalité, Fraternité pour les Blancs, Dieu, la France et le Travail pour les Noirs.   

 

            Réjouissons-nous que les sept lettres de Furcy au procureur général Gilbert Boucher ainsi que le dossier constitué par ce dernier depuis l’île de la Réunion, - dossier qu’il a continué à étoffer loin de l’île - nous soient parvenus aujourd’hui. Il ne faut pas, en effet, perdre de vue que la destruction des documents touchant l’esclavage et les jugements expéditifs des tribunaux coloniaux ont souvent brûlé, surtout à l’approche de l’abolition, pour effacer les traces des passés liés à l’esclavage et aux affaires judiciaires. Ainsi, mis à part les nombreuses personnes en France qui s’appellent Négrier comme la marque indélébile du forfait de leurs ancêtres, beaucoup se réjouissent aujourd’hui de n’avoir aucune trace de leur passé se rattachant à l’esclavage des Noirs. Les archives qui ont brûlé ça et là les ont donc lavés de leur passé.

            Si les hommes politiques français étaient justes, au moment où ils ont le souci d’élever au rang de gloire nationale un jeune homme qui écrit à sa mère pour lui dire qu’il va mourir, ils songeraient à un homme qui, emprisonné puis exilé, aura durant vingt-sept ans mené un combat contre l’injustice pour le triomphe de la Liberté. N’est-il pas vrai qu’ils admirent Nelson Mandela qui, dans sa longue captivité, mena le même combat ? Qu’ils apprennent alors qu’avant Mandela, il y eut Furcy.

Raphaël ADJOBI                               

Titre : L'affaire de l'esclave Furcy (190 pages)

Auteur : Mohammed Aïssaoui

Edition : Gallimard, mars 2010.

17 août 2010

Ourika (Madame de Duras)

                    Ourika, la première grande héroïne noire

                                  de la littérature occidentale

 

 

Ourika_1            L’esclavage étant interdit sur le territoire français, une mode étrange se répandit dans la deuxième moitié du XVIIIè siècle : des négrillons arrachés d’Afrique, qu’on sauvait pour ainsi dire de l’esclavage des colonies, étaient offerts ça et là à de riches aristocrates et à des bourgeois qui en faisaient les délices exotiques de leurs demeures ou de leurs salons (1). C’est ainsi qu’une fillette emmenée du Sénégal (tout ce qui venait du Sénégal, alors le point de rassemblement des captifs africains, était faussement baptisé sénégalais) recevra une éducation aristocratique et finira sa vie comme religieuse dans un couvent parisien au début du XIXè siècle.

            C’est de son couvent que la religieuse Ourika, malade, confie à son médecin le chagrin qui a ravagé sa vie et l’a conduite au bord de la tombe. N’est-il pas toujours vrai que pour nous guérir, les médecins ont besoin de connaître les peines qui détruisent notre santé ?

 

            Ourika raconte donc son arrivée en France à l’âge de deux ans, son éducation et sa formation intellectuelle auprès de Madame de B. qui « s’occupait elle-même de ses lectures, guidait son esprit, formait son jugement ». Mais, à quinze ans, elle prend brutalement conscience de sa couleur comme le signe  par lequel elle sera toujours rejetée, le signe qui la séparait de tous les êtres de son espèce, « qui la condamnait à être seule, toujours seule ! jamais aimée ! » La voilà donc une étrangère parmi ses semblables. Dans sa douleur, la douce compagnie de sa maîtresse et de ses deux fils ne lui sont d’aucun secours.

 

            Quand éclate la Révolution, elle pense un moment que dans le grand désordre des événements de 1792, elle pourrait trouver sa place en se lançant dans l’action et en montrant quelque qualité qui serait appréciée et ferait oublier la couleur de sa peau. Pensée vite chassée, car « bientôt leur fausse philanthropie cessa de l'abuser, et elle renonça à l'espérance, en voyant qu'il resterait encore assez de mépris pour elle au milieu de tant d'adversités. » Elle se replia donc sur son chagrin, se persuada qu’elle mourra sans laisser de regrets dans le cœur de personne, elle qui ne sera jamais « la sœur, la femme, la mère de personne ! » Il ne lui restait que le couvent ! Mais la vérité, c’est que le chagrin qui ruinait sa santé était encore plus profond que celui que lui causait la couleur de sa peau.

       

            Il semble que ce court roman (50 pages) eut un formidable succès au moment de sa parution en 1824. Il y eut même une mode Ourika en France : rubans, blouses, colliers, pendules, vases « à l’Ourika ». Le roman arracha des larmes à Goethe, fut salué par Châteaubriand qui hissa son auteur, Madame de Duras, au même rang que Mme de Lafayette et Mme de Staël, figures emblématiques du classicisme et du romantisme. Sainte Beuve et Stendhal saluèrent également le talent de l’auteur. Pourtant, Ourika est tombé dans l’oubli. Notre siècle verra-t-il sa résurrection ? Il est vivement conseillé de lire l’ensemble du dossier très instructif - réalisé par Virginie Belzgaou - qui accompagne le roman afin de saisir tout le retentissement de l’œuvre et ses qualités littéraires.

 

           Ourika n’est nullement une apologie du Noir au XIXè siècle. Ce roman ne semble pas non plus écrit pour servir d’étendard aux abolitionnistes de l’époque. Ourika n’est pas non plus une sorte de Lettres persanes permettant de voir la société française sous un regard étranger. Ourika n’est rien de tout cela parce que le personnage est une aristocrate noire avec les préjugés de l’aristocratie blanche au sein de laquelle elle a été élevée. Mais ce n'est pas pour autant que les lecteurs noirs devront hâtivement la qualifier de "peau noire, masque blanc", pour reprendre l'expression de Frantz Fanon. Le charme d’Ourika, c’est que pour la première fois dans la littérature européenne – comme l’a déjà remarqué un romancier anglais – un écrivain blanc pénètre dans une conscience noire avec élégance et sincérité au point de permettre à des lecteurs blancs de s’identifier au personnage. Quant à moi, j'ai vu en Ourika une Princesse de Clèves noire.

 

 

(1) Du XVIIè au début du XXè siècle, Le salon n’est pas une simple pièce, mais un des lieux essentiels de la vie mondaine et culturelle : femmes de la noblesse et de la grande bourgeoisie y reçoivent les élites sociales, intellectuelles et, à partir du XIXè siècle surtout, les élites politiques de leur époque.

 

 

Raphaël ADJOBI      

 

Titre : Ourika (50 pages)

Auteur : Madame de Duras (Claire de Duras)

Edition : Gallimard, 2007 (Collection : Folioplus classiques)

16 janvier 2011

La couleur des sentiments (Kathryn Stockett)

                                 La couleur des sentiments

 

 

La_couleur_des_sentimts_crop            Je suis très reconnaissant à Pierre Girard, le traducteur de ce premier roman de Kathryn Stockett (The Help), pour ce titre accrocheur qui a immédiatement retenu mon attention. Ayant, pendant quelques années, côtoyé de près des collègues blancs entourés de leur valetaille noire à longueur de journée, je n'ai jamais cessé de me demander le type de sentiments que celle-ci nourrissait à l'égard de la relation qui la liait à ses maîtres et surtout aux enfants dont elle avait la charge quotidienne. D'autre part, parmi mes connaissances blanches personnelles, certains comportements des enfants nés et élevés en partie en Côte d'Ivoire par des domestiques noires ont suscité en moi bien des interrogations pour que La couleur des sentiments soit pour moi un titre très évocateur. La relation maîtres blancs et domestiques noires avec au milieu les enfants est en effet le sujet du livre.

 

            Au début des années soixante, dans la petite ville de Jackson dans le Mississipi, ce sont les négresses qui s'occupaient de la maison des Blancs. Entendez par là, la cuisine, le ménage, les enfants ; exactement comme dans les villes africaines au temps doré des coopérants blancs. En Amérique comme en Afrique, nous savons que dans cette relation de maîtresses blanches et de domestiques noires, les enfants des premières élevés par ces dernières finissent presque toujours par épouser les pensées de leurs parents et suivre leurs habitudes. Mais plus qu'ailleurs, dans les pays où le racisme est institutionnalisé, ceux-ci leur apprennent à tuer en eux tout sentiment d'amour à l'égard de la race de leurs nourrices en les avilissant sous leurs yeux et en leur enseignant à les mépriser. Mais il arrive qu'un jour, un des enfants dise « mais maman, c'est elle qui m'a élevé », devenant ainsi une excroissance, une « anomalie » de la société blanche. Voilà donc un livre qu’une Blanche issue de cette catégorie d’enfants écrit sur ce qui la dérange, « en particulier sur ce qui ne dérange qu'elle ».

 

            Pour ma part, malgré le lien étroit qui l’a liée à un moment de sa vie aux Noirs, j'ai tout de suite douté qu'une Blanche soit capable d'écrire un livre aussi vrai sur les sentiments des Noirs à l'égard des Blancs. Non, me disais-je, il n'est pas possible qu'une Blanche sache avec autant de précision les sentiments des Noirs ! J’ai la ferme conviction qu'à force de dire des mensonges sur les Noirs sans qu'ils aient leur mot à dire, ceux-ci ont pris depuis longtemps  l'habitude de ne jamais dire la vérité sur leur société. Ils préfèrent confier des mensonges aux Blancs afin de juger de l'usage qu'ils en feront. C'est d'ailleurs leur manière à eux de se moquer des Blancs. Car, comme dit la fable, « c'est un double plaisir de tromper le trompeur ». Puis, au fur et à mesure que j'avançais dans le roman, j'avais commencé à soupçonner l’auteur d'assembler les écrits de quelques bonnes sur leur condition et sur leurs expériences avec leurs maîtresses pour se bâtir une gloire. Oui, j’ai soupçonné l’auteur d’une telle vilénie.

 

            Tout lecteur de ce livre me pardonnera mes soupçons de plagiaire ou d'exploiteuse que j'ai eus pour Kathryn Stockett, et cela pour la simple raison qu'elle-même avait prévu ces sentiments à son égard. Du moins la narratrice blanche. Oui, il y a chez la narratrice blanche de ce livre la reconnaissance de cette incapacité à pénétrer les sentiments des Noirs. Et c’est cet aveu qui l'obligea à s'en remettre aux domestiques noires pour exprimer la réalité de leur expérience professionnelle et leurs sentiments. Ce détail est d'une grande importance parce qu'il grandit l'auteur dans l'estime du lecteur noir. Elle sait que dans ce livre, elle fait découvrir « de petites choses que d'habitude un Noir ne dirait pas à un Blanc ». Pour y parvenir, il lui a fallu peu à peu convaincre les bonnes d'accepter de se confier à une Blanche. Dans ce livre, l'auteur - comme la narratrice - tente constamment de montrer au lecteur que les domestiques qui livrent leurs témoignages sont les premières bâtisseuses de l'ouvrage.

 

            Le livre est en effet construit comme une série d'expériences domestiques vécues. Des expériences cruelles mais aussi savoureuses compte tenu de la personnalité de certains personnages aussi bien du côté des noires que du côté des maîtresses blanches. Trois personnages principaux - une Blanche à la recherche de sa nourrice et deux Noires - se relaient pour non seulement livrer leurs expériences ou cheminement mais aussi leur regard sur la vie des deux autres personnages. Les deux domestiques nous peignent ici des portraits d'une extraordinaire beauté de leurs maîtresses et de la vie quotidienne dans les foyers blancs. Un livre cruel certes, mais aussi plein de drôleries et de plaisantes réflexions. Le lecteur tremble pour les trois personnages si dissemblables quand, dans cette Amérique raciste des années 60, leur collaboration se fixe pour objectif la publication du livre qui deviendra La couleur des sentiments.

 

            Ce livre est un océan de plaisirs qui ne laissera indifférents ni les Blancs du monde de la coopération dans les pays africains ni les Noirs qui se posent tant de questions sur la vie que mènent les domestiques derrière les immenses clôtures des maisons des Blancs. Mais comme avec La couleur des sentiments nous sommes dans un pays où le racisme était érigé en principe social, les relations entre Noirs et Blancs sont faites de tensions permanentes qui tiennent le lecteur en haleine. 

 

Raphaël ADJOBI

Auteur : Kathryn Stockett

Titre : La couleur des sentiments

           Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par

           Pierre Girard.

 

Editions : Jacqueline Chambon, 2010

6 mars 2011

Une année chez les Français (un roman de Fouad Laroui)

                        Une année chez les Français

                                 (Un roman de Fouad Laroui)                              

 

Chez_les_Fran_ais_0006_crop            Ne vous attendez pas à trouver sous ce titre une version africaine des Lettres persanes de Montesquieu. Non, Fouad Laroui ne place pas ici la société française sous le regard inquisiteur ou critique de l’étranger venu d’Afrique. Sous ce titre trompeur se cache en réalité l’histoire d’un petit garçon marocain amoureux de lectures qui, grâce à une bourse, entre au lycée français de Casablanca. Un boursier de la République française, on en prend soin forcément ! Mais, pour le bonheur du lecteur, la présence sans interruption à l’internat du petit Mehdi va déranger le « bon ordre de l’univers français ».

 

Au début des indépendances, les Africains qui avaient la chance de faire leurs études parmi les Français étaient généralement remarqués surtout pour la manière admirable dont ils maniaient la langue française. N’ayant auparavant jamais côtoyé d’autres milieux français que le monde des livres, donc la langue littéraire ou soutenue, ils ne savaient s’exprimer que par imitation des ouvrages lus. C’est le cas du jeune Mehdi qui, dans son village natal avait pour consigne familiale de ne s’exprimer que dans la langue de la Comtesse de Ségur, même quand ses parents s’adressaient à lui dans la langue dialectale. Et lorsqu’il entre au lycée français de Casablanca, - que le parler populaire a baptisé « Le lycée des français » - il  va confronter le talent acquis grâce à cette expérience à la réalité du terrain où s’entrechoquent argot, langage familier et expressions populaires de tout genre. Un cocktail hilarant magnifiquement servi par Fouad Laroui. Un vrai régal !

 

            Le monde des adultes que côtoie Mehdi est en effet très varié en personnalités. Une série de portraits pittoresques qui sont pour l’enfant un véritable laboratoire où il trouve les éléments nécessaires à la vérification de ses connaissances ou plutôt des images livresques qui constituent son savoir. Des essais drôles parce que souvent malheureux. On lit ce livre en ayant constamment en tête l’exacte vérification de l’expression « un chien dans un jeu de quilles ».

 

            Mais rassurez-vous. Si on rit beaucoup en lisant ce livre, Mehdi n’est jamais ridicule. Il reste un enfant attentif, désireux d’apprendre et de faire bon usage de la belle langue française, mais aussi un enfant capable de mentir. Si les premiers chapitres du livre – les cinq premiers sont organisés dans un mouvement cyclique - expliquent la raison de sa présence et son intégration au « lycée des français », les derniers chapitres le présentent dans un univers insolite parce qu’il a été capable de mentir comme tous les enfants savent le faire quand ils veulent se tirer d’affaire.       

   

Quel plaisir de retrouver, en lisant ce livre, son âme d’enfant ; une âme vagabonde qui fait et défait le monde à souhait, surtout quand elle a le malheur de se trouver dans des situations inextricables. Ce livre est une véritable fontaine de fraîcheur sans doute liée à la candeur du personnage de Mehdi. L’usage constant du style indirect libre permet d’entrer dans sa conscience, d’y lire ses doutes et les solutions qu’il imagine pour résoudre les énigmes qui se forment comme des nœuds dans la chaîne de ses savoirs. Pauvre petit, se dit-on ! Pourtant, on ne peut s’empêcher de rire aux larmes.

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Une année chez les Français (304 pages)

Auteur : Fouad Laroui

Editeur : Julliard, 2010

28 février 2012

Les Afro-Français et la tentation du vote Front National ; la position du MAF

     Les Afro-français et la tentation du vote FN

                                 La position du MAF* 

numérisation0007            Depuis le début de l'année 2012, exaspérés par le mutisme des candidats à la présidentielle sur les questions qui les touchent de près, les Afro-Africains semblent gagnés par une fièvre de sympathie pour le Front national (FN). Les témoignages qui fusaient çà et là ont fini par ébranler quelque peu les esprits au point de menacer l'efficacité d'un éventuel appel au vote unitaire que le MAF compte proposer à ses membres. 

            Visiblement, les Afro-Africains n'apprécient guère de voir leur sort assimilé à celui des immigrés de tous les horizons. En couvrant leurs préoccupations d'un mutisme coupable ou en les confondant avec d'autres, les hommes politiques ont laissé le champ libre aux vieux démons de la France qui surgissent à chaque échéance électorale de grande envergure. Partout, il n'est plus question que d'immigrés et de civilisation supérieure. Une façon très claire de clamer le péril de la maison France-gauloise-blanche. Les ennemis, ce sont tous les autres qui ne sont ni Blancs, ni gaulois ; donc les Afro-Français. Devant l'amplification de cette atmosphère malsaine, seule la voix de François Bayrou a tonné pour dire clairement qu'il y a des limites que l'on ne saurait franchir en cette terre de France sans conséquence grave. Les autres se sont contenté de murmurer du bout des lèvres quelques sons inaudibles. 

            D’autre part, la politique africaine de la France étant complètement exclue du débat des présidentielles – ce qui occulte par voie de conséquence les manquements dont la France s’est rendue coupable en Côte d’Ivoire et en Libye –, de nombreux Afro-français se souviennent que Marine Le Pen a été la seule responsable politique à dénoncer, dès les premières heures, l’acharnement des Européens sur Laurent Gbagbo et Mouammar Kadhafi. Le premier est en prison dans l'indifférence générale des autres partis politiques. Ils n'oublient pas que leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents sont victimes de la politique de leur pays. Ils n'oublient pas que leurs impôts entretiennent des armées qui tuent leur passé. 

            Voilà donc les motivations d'une sympathie assez singulière qui pourrait menacer la belle cohésion que tente d'instaurer le jeune Mouvement des Africains-Français pour peser dans le choix du futur président. Pour éviter la dispersion des voix de ses membres, le MAF a décidé
de décortiquer, semaine après semaine, le programme des différents candidats afin de ne retenir que celui qui défend le mieux ses intérêts. En réalité, il semble que cette longue consultation, qui a commencé le 11 février dernier par le programme du FN, a pour seul but de dissuader les Noirs de France à apporter leur vote à Marine Le Pen. Pour le MAF, il ne faut en aucun cas laisser croire que le Front National détient la solution des Noirs en France.

                           Le programme antichrétien du FN        

            Voter pour Marine Le Pen et son programme, clame le MAF, c’est accepter que les enfants des immigrés n’aient plus la nationalité française ; pour être Français, il faudra être de parents français. C’est ce que l’on appelle le droit du sang par opposition au droit du sol. A première vue, cela n'est pas une mesure dramatique. Mais ceci entraînant cela, le programme stipule qu'un enfant d’immigré n’aura plus le droit à la scolarisation en France. D’autre part, un malade immigré n’aura pas le droit de bénéficier des soins dans les mêmes conditions qu’un Français. Le FN estime même nécessaire de libérer les logements à loyer modérés (HLM) occupés par les immigrés pour loger les Blancs. Un programme que le MAF juge antichrétien dans un pays qui se dit attaché aux valeurs chrétiennes. 

            Si le MAF continue l’analyse des différents programmes des candidat avant d’arrêter de manière définitive le choix du candidat pour lequel les membres devront voter tous « d’une même voix » (comme le dit le mot de ralliement), tout porte à croire que François Hollande a les faveurs du Mouvement malgré ses prises de positions malheureuses à l’égard de Laurent Gbagbo. Il faut reconnaître que le parti socialiste français et l’Internationale Socialiste ont brillé par leur absence dans la défense du camarade Laurent Gbagbo, quand ils ne lui ont pas jeté la pierre. Il n'est pas dit non plus que le parti socialiste répondra aux attentes du MAF, ni qu'il fera plus de places aux minorités dans sa sphère politique. Mais le Mouvement laisse croire que l'aventure mérite d'être tentée avec François Hollande. De même que l'on a tout intérêt à choisir son adversaire quand on le peut, il est judicieux de choisir comme coéquipier celui qui a une inclination naturelle à nous écouter. 

                 Le MAF en congrès le 14 Avril 2012. Et après ?   

            Pour réussir son opération de positionnement dans le débat avec les partis politiques et le futur pouvoir de notre pays, Calixthe Beyala, le fer de lance du  MAF, mise sur un grand succès du premier congrès national du Mouvement qui aura lieu le 14 avril 2012, à 13 heures, au Palais des Congrès de Paris. De toute évidence, ce congrès est de la plus haute importance. Il témoignera publiquement de la capacité de mobilisation du Mouvement. Mais il sera surtout le premier signe de sa visibilité dans le paysage politique français.           

            La présidente du Mouvement qui se plaît à critiquer les marches de protestation ou de soutien, prend paradoxalement conscience qu'un congrès rassembleur est une façon à la fois de faire du bruit et montrer sa force. C'est aussi une façon de signifier aux autres que l'on existe et que l'on a des préoccupations à faire connaître ou à défendre. Elle sait, comme de nombreux membres du MAF, qu'il ne faut en aucun cas rater ce rendez-vous en se retrouvant en petit comité le 14 avril 2012. Une maigre assistance serait le signe d'un échec qui effacerait le Mouvement non seulement de l'esprit des candidats mais encore de la scène politique à laquelle il veut accéder. 

            Certes, le Mouvement a des faiblesses très criantes. D'abord, il y a une réelle absence de définition claire du MAF. Tantôt on parle de lobby qui ne saurait se permettre de faire descendre ses membres dans les rues pour crier son indignation à la manière d'un quelconque groupe de soutien ; tantôt le Mouvement est présenté comme un parti politique. Si tel est le cas, alors Calixthe Beyala doit savoir qu'appeler à manifester ou à apporter son soutien à des mouvements de protestation n'est pas incompatible avec les desseins d'un parti politique. Que doit être le MAF ? Un mouvement de salon (sans les moyens financiers d'un lobby) ou un mouvement populaire capable d'exprimer publiquement son humeur devant les événements qui portent atteinte à ses valeurs ? Il faudra choisir au plus vite !   

            D'autre part, le MAF n'existe que par le nombre de ses adhérents. Rien d'autre ! Dans la pratique, nous n'avons pas connaissance de l'existence d'un bureau national provisoire. Il n'existe pas de section ou de représentation du Mouvement à l'intérieur du pays, mis à part à Lille. Tous ceux qui ont plaidé pour la création de différentes sections dans les grandes villes afin de rapprocher le Mouvement et ses instructions de ses membres ont vu ce projet écarté par Calixthe Beyala. Aussi, il est impossible aux adhérents ne vivant pas à Paris ou à Lille de se connaître et de tenir des réunions loin des yeux de sa présidente. Il est à craindre que l'absence de contact entre les membres et le manque d'action n'éteignent les ardeurs des premières heures de la naissance du Mouvement. La tentation du vote FN ne s'expliquerait-elle pas aussi par ce manque d'activité et d'implication directe des membres du MAF au sein de leur Mouvement ? Cela demande réflexion. 

            Cette remarque nous mène à la dernière grande faiblesse du MAF : la communication ! Il existe bien un site du Mouvement. Mais il ne semble pas destiné à communiquer avec les adhérents : pas de compte rendu des réunions parisiennes ; les questions posées par ce biais restent sans réponse (je l'ai testé !) ; les membres qui n'assistent pas aux réunions parisiennes avec Calixthe Beyala demeurent dans l'ignorance totale de ce qui se dit et se fait au sommet du MAF. Les SMS laconiques ne peuvent en aucun cas constituer le seul moyen de communication. A qui la faute si l'adhérent qui ne connaît pas de section locale n'est pas informé des actions et des prises de position de son mouvement ?     

            Enfin, combien sommes-nous ? Combien d'adhérents le Mouvement compte-t-il dans les grandes villes ? Personne ne le sait. Ni sur le site du MAF ni par les SMS les adhérents ne sont tenus au courant de leur importance en chiffres ! Faut-il attendre que les journaux et les chaînes de télévision le leur apprennent ? 

            Beaucoup de choses restent à faire. Mieux, tout reste à faire pour que le MAF - qui a fait naître tant d'espoir - ait des chances de poursuivre cette aventure au-delà du congrès du mois d'avril 2012. Il ne faut donc pas désespérer malgré ses manquements et son excessive centralisation qui le prive d'une base dynamique. Le fer de la lance du chasseur a beau briller, si le manche n'est pas solidement tenu par le bras du chasseur, et si celui-ci n'a pas les pieds suffisamment agiles pour le porter, la proie ne vivra que des frayeurs inutiles. Le MAF doit donc veiller à construire ses bases afin d'exister non pas seulement par son porte-parole mais par l'ensemble de ses membres actifs. Quand ceux-ci seront dans la capacité de mener des actions partout en France où les valeurs qu'ils défendent seront menacées, alors l'aventure se poursuivra. Il ne faut pas que l'on puisse dire demain : un seul être quitte le MAF et le Mouvement est réduit à rien !

            Le temps viendra où, en famille (politique), il faudra trouver les idées pour structurer et dynamiser le Mouvement. Mais pour l'heure, il est urgent de réussir ce premier congrès. Chacun doit se sentir concerné et faire le déplacement afin d'assurer son succès. Une présence massive des Africains-Français pourrait ébranler certains esprits politiques et faire évoluer les choses dans le sens de nos convictions. Il faut y penser sérieusement !   

*MAF : Mouvement des Africains-Français

Raphaël ADJOBI

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