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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
3 mars 2012

Henri Konan Bédié, nous irons pisser sur votre tombe à la queue leu leu !

                                    Henri Konan Bédié,

                     nous irons pisser sur votre tombe

                                    à la queue leu leu ! 

Henri K            Le dernier grand événement que la Côte d'Ivoire a connu - à savoir sa défaite en finale de la Coupe d'Afrique des Nations - a révélé, à tous les observateurs locaux et sans doute aussi du monde extérieur, qu'il y a un rejet clair et net par les Ivoiriens du président que la France, les Etats-Unis et l'ONU ont choisi pour eux. Ils se sont réjoui de la défaite des Eléphants (l'équipe nationale) parce qu'ils ne voulaient pas que des actions d'envergure nationale viennent conforter ou saluer l'autorité d'Alassane Ouattara sur le pays ! Ils ne voulaient en aucune façon montrer de la sympathie pour son régime en festoyant de quelque manière avec lui !   

            La forme de l’expression de ce sentiment n’est pas anodine. Elle traduit une situation très grave : la claire séparation entre le président et le peuple ivoirien par un abîme insondable ! Oui, force est de constater que le fossé qui s'est creusé entre le nouveau régime et la population a fini par isoler complètement Alassane Ouattara au point que tout ce qu'il entreprend la laisse tout à fait indifférente. 

En effet, voir l'autorité de l'état ivoirien ouvertement partagée avec les Français comme aux premières heures des indépendances où le pouvoir colonial s'est mué en une multitude de conseillers techniques grassement payés sur les deniers publics est assurément humiliant et inadmissible. Il n'y a qu'un étranger, un homme pas assez pétri des valeurs nationales ivoiriennes pour replacer notre chère Eburnie sous la tutelle de la France, militairement, administrativement et économiquement. Les Ivoiriens et beaucoup d’Africains regardent cette situation comme une véritable catastrophe !    

            Mais, ce qui est encore plus insupportable et pousse les Ivoiriens à baisser davantage la tête comme dans l'attente religieuse d'une intervention qu'ils n'osent qualifier de divine, ce sont les pratiques qu'ils observent quotidiennement dans leur pays. Ils ont cru que les tueries de Douékoué qui les ont ébranlés, les humiliations infligées aux anciennes autorités du pays à l’Hôtel du Golf qui les a médusés, le rabaissement des militaires et des civils rassemblés dans des camps de redressement forcés de chanter des hymnes à la gloire du nouveau maître qui les a estomaqués laisseraient la place à une ère de reconstruction générale et équitable après l'investiture officielle de Ouattara accomplie avec l’onction française par l’auguste main de Nicolas Sarkozy. 

            Ce que les Ivoiriens constatent et qui nourrit cet extrême et singulier ressentiment jamais vu sous d’autres cieux, c’est le spectacle d’insécurité, d’injustice et de brutalités de toutes sortes qu’offre le paysage ivoirien. Les Forces Nouvelles (l’armée des rebelles de Soro au service de Ouattara), trop vite pompeusement rebaptisée Force républicaine de Côte d’Ivoire n’a pas permis une véritable réunification des armées dans le pays. Sous l’étiquette FRCI, les populations reconnaissent aisément les pratiques brutales et iniques des rebelles des Forces Nouvelles. Avec les dozos, ils sont les véritables maîtres du pays : ils troublent les meetings et tuent impunément ; ils incendient des villages et donnent la chasse aux populations ; ils détroussent les paysans quand l’envie leur prend ; ils règlent leur compte à tous ceux qui les regardent d’un œil qu’ils jugent mauvais ; ils règlent et dérèglent les élections. Bref : ils font la pluie et le beau temps !. Taï, Gnagbodougnoa, Bonoua, Divo, Vavoua, Alépé, Issia, Saïoua, Sikensi, Bonon, Arrah, Séguéla, etc…, ont subi la colère et la terreur des FRCI et des dozos, sans qu’aucune voix des alliés du pouvoir ne s’élève pour s’indigner ou pour réclamer que cela cesse. Surtout pas celle d’Henri Konan Bédié, le désormais fidèle parmi les fidèles d'Alassane Ouattara !. Bien au contraire, on vous dit clairement que « celui qui ne veut pas voir les FRCI doit quitter le pays ». On croit rêver ! 

            Résultat : Les rebelles gèrent encore le Nord du pays comme aux heures de sa partition avec la bénédiction de l’Onu et de l’armée française. Pendant ce temps, au lieu de construire le reste du pays que l'on pourrait croire sous son pouvoir et celui de la France, Alassane Ouattara se soucie essentiellement de faire la chasse aux pro-Gbagbo : gel des comptes bancaires pour mieux les asphyxier, encouragement de la chasse à l’homme dans l’ouest afin de libérer des terres et des maisons pour le compte des populations nordistes et burkinabé, licenciement massif au sein des institutions du pays et dans la fonction publique pour placer des agents et fonctionnaires issus du nord. Si à l’extérieur, Alassane Ouattara a pris la ferme résolution de contenter la France afin de s’assurer son indéfectible soutien, à l’intérieur, il semble faire tout son possible pour séduire les populations du nord afin qu’elles l’acceptent comme l’un des leurs en donnant quartier libre aux dozos et aux FRCI pour faire ce que bon leur semble. Mais même certaines populations du nord commencent à ne plus se reconnaître dans toutes ces pratiques venues d'un autre monde.                      

            Quand, par moments, Les Ivoiriens relèvent la tête, que voient-ils ? Nullement la figure de Mamadou Koulibaly qui les a abandonnés, mais celle presque satanique d'Henri Konan Bédié qu'ils voudraient vouer aux enfers. La figure de leur espoir a cédé la place à celle de leur ressentiment parce qu'ils ont enfin compris que c'est le manque de constance de cet homme qui est la source de tous leurs maux. 

                            Le mutisme criminel d'Henri K. Bédié  

            Etait-il nécessaire qu'Henri K. Bédié parlât si fort de l'Ivoirité alors que les institutions du pays étaient là pour vérifier dans les faits administratifs, et rien que dans les faits administratifs, la véritable nationalité d'Alassane Ouattara ? Celui-ci n'est devenu ivoirien qu'en 2010 ; un an avant que la direction du pays ne lui soit complaisamment remise. Le manque de sagesse du patron du PDCI ne lui a pas permis de comprendre que quand on est sûr d'avoir raison, on laisse faire la loi plutôt que de régler le litige sur la place publique. Nous savons tous désormais que pour éteindre le feu qu’il a allumé par son manque de diplomatie, Laurent Gbagbo a dû plier sur les suppliques des instances étrangères et tordre le cou à la loi républicaine, permettant ainsi à Alassane Ouattara de devenir ivoirien et par voie de conséquence candidat aux élections présidentielles.Henri K 

            Monsieur Henri Konan Bédié, malgré ce que vous saviez sur l'identité et les intentions réelles d'Alassane Ouattara, qu'avez vous fait quand il s'est officiellement porté candidat ? Vous êtes allé l'embrasser et vous avez signé un pacte avec lui. Etiez-vous poussé par le diable ou par la France ? Supposons que la France ait joué le rôle du diable. Etiez-vous obligé d'embrasser la cause de votre ennemi d'hier en le rejoignant dans son QG électoral au moment de la crise postélectorale due à l'incertitude des résultats ? Comme diraient les Ivoiriens, vous vous êtes montré "petit", à ce moment-là ! Un tel suivisme irréfléchi est indigne d'un homme qui a connu tous les honneurs dans son pays. Oui, à ce moment-là, vous étiez devenu insignifiant, réduit à la dimension d'un enfant suivant les pas de son protecteur qui le tient en otage pour servir de bouclier honorable aux yeux de l'extérieur.   

            Pour vous remercier, que vous a-t-on promis ? Votre nom en lettres d'or sur le troisième pont que Laurent Gbagbo était sur le point de jeter sur la lagune Ebrié ! Quelle plénitude ! Mais savez-vous que déjà des millions d'Ivoiriens sont certains que votre nom n'y demeurera pas très longtemps parce que le pont sera vite débaptisé ? Savez-vous qu'au regard de votre inconstance et de ses conséquences criminelles et humiliantes qui sont le lot quotidien des ivoiriens, nous rêvons tous d'aller pisser sur votre tombe à la queue leu leu ? Nous nous bousculerons gaiement au cri de « pousse-toi, que je l'arrose abondamment ! » Il ne faut finalement pas grand chose pour soulager nos peines, vous savez ? 

            Car quoi ? Peut-on être Ivoirien, une ancienne éminente autorité du pays et rester muet devant tant d'injustices, tant de crimes impunis, tant de souffrances quotidiennes de vos compatriotes ? Leurs pleurs et leur cris qui montent des villes et des villages brûlés et meurtris ne parviennent-ils pas jusqu'à vous ? Mon Dieu, peut-on être sourd à ce point alors que vous prétendiez, il n'y a pas si longtemps, pouvoir diriger ce pays ? Pourquoi ne faites-vous pas entendre votre voix ? Vous n’en avez pas de personnelle, sinon de fabrication étrangère ! Un vendu, voilà ce que vous êtes !

            Que d'occasions manquées, M. Henri Konan Bédié, pour dire "assez !" à votre allié et à votre donneur d'ordre et organisateur étranger ! Que d'occasions manquées pour vous désolidariser des crimes et des injustices et vous réconcilier avec les Ivoiriens qui attendent qu’un leader reconnaisse leurs peines et les aide à panser leurs plaies. Il aurait suffi que devant les excès de la dictature d’Alassane Ouattara vous disiez « assez ! » pour que vos frères vous tendent les bras et se réconcilient avec vous. Est-ce l'espoir d'un poste de Premier Ministre pour l'un des membres de votre parti qui vous contraint au silence ? Est-ce le prix de tant de morts, de tant de souffrances ? Quelle maigre pitance ! Non, nous ne mangeons pas de ce pain !   

            Visiblement, vous avez perdu tout sens de l’orgueil et de l'honneur, et nous tout espoir de vous revoir parmi nous. Vous voilà un étranger à nos yeux au même titre que celui qui dirige la Côte d'Ivoire. Il ne nous reste qu'à vous dire : Vade retro satanas !                           

Raphaël ADJOBI

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28 mars 2012

Côte d'Ivoire, le coup d'Etat (par Charles Onana)

                                      Côte d'Ivoire, le coup d'Etat

                                                  (par Charles Onana)

numérisation0004            Voici le livre le plus documenté, le plus complet sur la vie politique ivoirienne de 1990 à 2012. La préface du Président Thabo Mbeki est à elle seule un témoignage historique. L'ancien président de l'Afrique du Sud qui a été pour un temps chargé du dossier ivoirien décrit clairement les clefs d'une injustice internationale avec les déclarations de diplomates à l'appui. Mais on apprécie surtout la part belle que l'auteur fait aux documents officiels et aux témoignages des acteurs de l'ombre de la tragédie ivoirienne.

            Ce livre est à conseiller avant tout aux Européens, à ceux qui ferment les yeux sur la politique étrangère de la France pour ne regarder que la rondeur de leur ventre, l'épaisseur de leur portefeuille, la beauté de leur voiture et le compteur de la pompe à essence. Il est à conseiller à ceux qui ont appris à répéter que les Africains sont pauvres parce qu'ils sont fainéants et incapables de se gouverner, prompts à se faire la guerre pour un oui ou pour un non. Il est destiné aux incultes et aux naïfs de tout acabit qui sont convaincus de la mission civilisatrice de la France et qui pensent que leurs impôts et leurs soldats servent à aider les Africains. On lit ce livre en pensant aux Français qui parlent souvent de l'Afrique qu'ils ne connaissent pas mais qu'ils croient connaître mieux que les Africains au point de leur proposer des solutions à leurs problèmes.

            Ce livre est en réalité, en grande partie, un discours adressé à la presse française dont l'auteur souligne le rôle dans la formation de l'opinion publique en même temps qu'elle sert d'outil de diversion ou de camouflage au régime français. Journaliste lui-même, Charles Onana semble, de manière évidente, avoir eu constamment le comportement de ses pairs français devant les yeux en écrivant ce livre. Aussi pose-t-il la bonne question : « Les Français peuvent-ils être fiers de ce qui se passe actuellement en Côte d'Ivoire depuis le départ de Laurent Gbagbo ? »

            Nous avons ici un portrait très intéressant de chacun des trois acteurs principaux de la crise ivoirienne. Il faut connaître le parcours d'Henri Konan Bédié, de Laurent Gbagbo et d'Alassane Ouattara avant de dire que tel ou tel est démocrate. On ne peut se permettre de juger les hommes sans les connaître. Ces portraits nourris de nombreux témoignages sont donc à lire absolument. Celui d'Alassane Ouattara nous éclaire sur son plan machiavélique savamment calculé pour mettre la Côte d'Ivoire à genoux. Dans un rapport datant de 1993, l'Assemblée Nationale dénonçait la privatisation "en bloc" des sociétés d'Etat non déficitaires qu'Alassane Ouattara démantelait sans aucun scrupule. Elle y précisait que l'absence du secteur bancaire dans le comité de privatisation était le « signe d'une braderie du patrimoine national et d'appauvrissement de l'Etat. » Les députés soulignaient, devant l'indifférence totale d'un homme peu soucieux du tissu social ivoirien, « le danger réel que représente pour la Nation la concentration des entreprises ivoiriennes entre les mains d'un seul groupe » étranger. Ils constataient qu'il leur était impossible, malgré leur insistance, de « connaître le montant des recettes des privatisations, et l'utilisation qui en est réellement faite. » Ils ne pouvaient le savoir parce que « les produits des privatisations - poursuit le rapport - sont domiciliés auprès de la Banque centrale et de quelques banques commerciales et non pas auprès du Trésor public ». Il fallait être mû par une idée fixe pour être sourd à tant d'observations sur les manquements qui fragilisaient le pays pour longtemps. Le lecteur appréciera par ailleurs la pertinence des analyses de l'auteur des différents propos d'Alassane Ouattara sur l'idée qu'il se fait de la Côte d'Ivoire. Les dires de feu l'Ambassadeur de France en Côte d'Ivoire Renaud Vignal (2001-2003) complètent merveilleusement bien le portrait déjà effrayant de l'homme.

            Cette expropriation des Ivoiriens de leurs outils économiques entreprise entre 1990 et 1993 devait être achevée. Il fallait qu'Alassane Ouattara revînt. C'est, apparemment, en remarquant chez lui cette volonté cynique que les puissances étrangères en ont fait leur cheval de Troie ou leur négrier. Tout le reste ne fut que manipulation de l'opinion internationale pour faire passer un coup d'Etat en entreprise humanitaire ou en oeuvre d'assainissement démocratique. 

            Selon l'auteur et le président Mbeki, L'U.A (l'Union Africaine) sort affaiblie de la guerre postélectorale ivoirienne parce que marginalisée par les grandes puissances qui se sont appuyées sur elle pour intervenir en Côte d'Ivoire au seul regard de leurs intérêts. Quant à l'Onu, ils estiment qu'elle a compromis sa légitimité comme force neutre. « Il sera désormais difficile pour l'Organisation des Nations Unies - dit le président Mbeki - de convaincre l'Afrique et les autres parties du monde en développement qu'elle n'est pas seulement un instrument entre les mains des grandes puissances ».

            Avant de se permettre de donner des avis sur les événements politiques ou de juger les hommes politiques ivoiriens, chaque Africain devra lire ce livre. Quant aux Ivoiriens, je le leur conseille pour qu'ils découvrent ce que veut dire "vouloir la démocratie et la liberté" et ce qu'il convient d'être et de faire pour cela. Les extraits des autobiographies de Laurent Gbagbo et de Simone Ehivet les édifieront. Pour ce qui concerne Alassane Ouattara, quand il sera capable de tenir la plume pour écrire un livre qui ne sera pas un livre de compte, sans doute nous exposera-t-il la parfaite noirceur de son âme.

            Ivoiriens, lisez les cinq premiers chapitres du livre et vous comprendrez que vous ne sortirez du trou où vous a mis Alassane Ouattara que par une heureuse fortune ! Sinon, vous mourrez tous esclaves d'un système sans scrupule dont le fer de lance est un homme qui avait une vengeance personnelle à assouvir contre votre pays. Il a triomphé et il se repaîtra de votre chair, il rongera vos os et sucera votre moelle. Vous gémirez de douleur. Mais peut-être qu'avec le temps, vous prendrez vos gémissements pour des manifestations de plaisirs et de bonheur. Si toutefois cela vous arrive, ne vous étonnez pas que l'on dise de vous que vous êtes des imbéciles heureux !   

Raphaël ADJOBI 

Titre : Côte d'Ivoire, Le Coup d'Etat, 413 pages

Auteur : Charles Onana (Préface du président Mbeki)

Editeur : éditions Duboiris   

9 juin 2012

Esclaves des îles françaises ou Lettre sur les Noirs de Bernardin de Saint-Pierre

                         Esclaves des îles françaises

     (ou Lettre sur les Noirs de Bernardin de Saint-Pierre)

Esclaves des îles Frç            Ce petit livre de 71 pages est une analyse de la Lettre XII, intitulée "Des noirs", extraite du Voyage à l'Îsle de France de Jacques-Henri-Bernardin de Saint-Pierre datant de 1769. Jean-Charles Pajou qui nous présente cette lettre nous donne l'occasion de découvrir un texte de l'auteur de Paul et Virginie qui nous permet d'aller beaucoup plus loin dans la connaissance de sa défense des Noirs.

            La Lettre sur les Noirs est un texte bref de 9 pages. Elle commence par la présentation de la population de l'île faite d'Indiens Malabares de Pondichéry et d'insulaires de Madagascar. Une description physique et le caractère de chacune de ces deux communautés noires sont donnés ; puis suit la narration de la vie des esclaves. Leur seul mauvais traitement montre excellemment la sauvagerie des colons. 

             Afin de frapper l'esprit de ses contemporains, Bernardin de Saint-Pierre fait usage de formules percutantes pour ponctuer chacune de ses descriptions. Pour montrer le ridicule des colons en matière de religion, on peut lire : « le soir, de retour dans leurs cases, on les fait prier Dieu pour la prospérité de leurs maîtres ». Pour souligner l'ignominie de la technique des colons pour entretenir l'esclavage : « Nous excitons parmi eux la guerre et la discorde, afin d'avoir des esclaves à bon marché ».  Ou pour montrer comment - afin d'obtenir le café et le sucre pour le bonheur des Européens - la culture de deux végétaux a fait le malheur de deux parties du monde : « on a dépeuplé l'Amérique afin d'avoir une terre pour les planter ; on dépeuple l'Afrique afin d'avoir une nation pour la cultiver ». Enfin, Bernardin de Saint-Pierre termine son texte par s'indigner de l'attitude des philosophes qui, selon lui, « (n'ont)  parlé de l'esclavage des Noirs que pour en plaisanter ». 

            C'est donc un beau texte au ton percutant que Jean-Charles Pajou nous invite à découvrir. Dans son introduction, il nous présente non seulement la vie de Bernardin de Saint-Pierre mais aussi la lettre sur les Noirs dans l'ensemble de l'oeuvre de l'auteur. Par ailleurs, la plus grande partie de ce petit livre est constituée par l'analyse détaillée qu'il donne des vues de l'auteur de Paul et Virginie sur la question coloniale au XVIII è siècle. Le lecteur appréciera les polémiques nées autour des idées de cet écrivain ainsi que les brèves histoires des îles de France (Maurice) et de Bourbon (Réunion).

Raphaël ADJOBI

Titre : Esclaves des îles françaises

(Lettre sur les Noirs de Bernardin de Saint-Pierre), 71 pages

Présentation : Jean-Charles Pajou

Editeur : Les éditeurs Libres, 2006

9 juillet 2012

La chicotte, l'emblème de la colonisation

         La chicotte, l'emblème de la colonisation

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            Le mot "chicotte" désigne un fouet singulier beaucoup plus connu sous les tropiques qu'en Europe. Tel l'étendard que l'on brandit pour montrer sa fierté et son pouvoir de domination, voici la fabuleuse histoire de la chicotte, véritable emblème de la colonisation de l'Afrique et des Amériques. 

            Qui donc a eu l'idée d'inventer ce fouet terrible capable de vous déchirer la peau pour ensuite vous laisser d'horribles cicatrices indélébiles ? « Qui avait inventé cet instrument délicat, maniable et efficace, pour exciter, effrayer et châtier l'indolence, la maladresse ou la stupidité de ces bipèdes couleur d'ébène qui n'arrivaient jamais à faire les choses comme les colons les attendaient d'eux, que ce soit les travaux des champs, la fourniture de manioc, de viande d'antilope ou de cochon sauvage et autres aliments assignés à chaque hameau ou famille, ou que ce soit la levée des impôts pour financer les travaux publics entrepris par le gouvernent ? » (1)

            Un génie, celui-là ! Car la "chicotte" dépasse en efficacité du coup de fusil ou la machette qui vous prive d'un esclave. Le bâton est peu maniable. Les lianes sont capricieuses parce qu'elles éclatent et finissent par se casser en menus morceaux. La chicotte, non ! Son « inventeur, disait-on, avait été un capitaine de la force publique nommé Chicot, un Belge de la première vague [au Congo], un homme pratique, à l'évidence, et imaginatif, doté d'un sens aigu de l'observation, pour avoir remarqué avant tout le monde que de la peau très dure de l'hippopotame on pouvait fabriquer un fouet plus résistant et pernicieux que des boyaux de cheval et de félin, une corde sarmenteuse capable de produire plus de brûlure, de sang, de cicatrices et de douleur que n'importe quel autre fouet et, en même temps, légère et fonctionnelle car, nouée à un petit manche de bois, les contremaîtres, gardiens, soldats, geôliers ou chefs d'équipe pouvaient l'enrouler à leur ceinture ou la suspendre à l'épaule, sans presque se rendre compte qu'ils l'avaient sur eux tant la chose pesait peu » (2).

            Je parie que vous tremblez de frayeur en imaginant la silhouette d'un de ces porteurs de chicotte avancer vers vous. Mais continuez la lecture, sinon c'est moi qui vais vous chicoter ! 

            Bien sûr, « sa seule présence chez les membres de la Force publique produisait un effet d'intimidation : les yeux des Noirs, des Négresses et des Négrillons s'agrandissaient quand ils la reconnaissaient, le blanc, dans leur visage d'encre ou bleuté, en étincelait d'effroi à imaginer qu'à la moindre erreur ou faute, au moindre faux pas, la chicotte cinglerait l'air de son sifflement caractéristique et tomberait sur leurs jambes, leurs fesses et leur dos, en les faisant hurler » (3).

            Cet effroi dans les yeux, les nombreuses cicatrices sur le dos et sur les fesses, ce sont les marques visibles de la colonisation et de l'esclavage. Elles précèdent les mutilations.

(1), (2), (3) : Le rêve du Celte, édit. Gallimard (Mario Vargas Llosa).

 

Raphaël ADJOBI

20 août 2012

Catfish, une histoire de combats, de liberté et de courage (de Maurice Pommier)

                                                 Catfish

        Une histoire de combats, de liberté et de courage

                                     (de Maurice Pommier)

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                       Voici un livre qui ravira les collégiens ! Un livre qui séduit d'abord par sa présentation : cartonné, large (format bande dessinée) et plein de belles illustrations - souvent pleine page - accompagnant le texte écrit en caractères suffisamment gras pour ne pas obliger le lecteur à écarquiller les yeux. Le récit est l'histoire d'un petit garçon qu'un vieil esclave d'Amérique du Nord a, un jour, trouvé dans la porcherie dont il a la charge.

            Le vieux George, qui comptait finir sa vie d'esclave sans plus d'histoire, est donc obligé de s'occuper de l'éducation d'un petit inconnu qui ne parle même pas. Selon la volonté de son maître blanc, l'enfant sera baptisé ; il s'appellera Scipio et apprendra toutes les corvées de la plantation pour être un bon esclave. Très vite, l'enfant et le vieil homme deviennent inséparables. Et quand Scipio retrouve l'usage de la parole, c'est avec fascination que le vieux George écoute les mésaventures qui l'ont conduit des Antilles à la porcherie de son maître. A son tour, sous l'insistance de l'enfant, le vieil homme lui raconte les conditions de sa capture en Afrique puis le voyage jusqu'aux côtes du Nouveau Monde. Deux récits qui plongent le lecteur non seulement dans les conditions de la traite mais aussi celles du travail épuisant et parfois dangereux des esclaves noirs.

            Cependant à cette époque, on ne passait pas son temps à se raconter des histoires. Le travail n'attendait jamais ! Comme Scipio est très habile de ses mains, il sera placé chez le tonnelier Jonas, un ancien esclave blanc, que la misère a entraîné en Amérique avec ses parents alors qu'il était enfant. Scipio - appelé Catfish par un vieil apprenti noir (vous saurez pourquoi en lisant le livre) - va donc grandir en apprenant à fabriquer des tonneaux et des barriques pour l'exportation du tabac vers l'Europe. Un vrai métier, un métier de blanc, selon le vieux George. 

            Malheureusement, un jour, Jonas, l'ancien esclave blanc, est obligé de quitter précipitamment son employeur. Il emmène Catfish avec lui. Ensemble, ils vont çà et là proposer aux planteurs leurs services. Mais c'est alors qu'éclate la guerre entre les colons et le roi de leur pays d'origine, l'Angleterre.

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            Ce livre allie excellemment l'histoire et l'aventure. Au-delà de la traite négrière et de l'esclavage avec les atrocités et les souffrances qui en découlent, c'est l'histoire de la naissance des Etats-Unis d'Amérique que les jeunes lecteurs découvriront ici. Ils apprendront comment des européens devenaient esclaves en Amérique, comment les esclaves blancs et noirs obtenaient leur liberté, comment était la vie dans les campagnes au moment de la guerre d'indépendance des Etats-Unis. Un livre très instructif mais écrit comme un roman d'aventure et non pas comme un livre d'histoire. C'est exactement ce qui le rend passionnant et fera sûrement son succès auprès des enfants dès la première année de collège. 

Raphaël ADJOBI

Titre : Catfish, une histoire de combats,                                                                                                  

            de liberté et de courage, 84 pages

Auteur : Maurice Pommier

Editeur : Gallimard Jeunesse, 2011 (20 euros)

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13 juin 2011

Le Bilan de l'intelligence (une conférence de Paul Valéry)

                                 Le Bilan de l’intelligence

                                         (Réflexions de Paul Valéry)

Le bilan de l'intell 

            Ce petit texte d’une soixantaine de pages édité en petit format par les éditions Allia est le fruit d’une conférence prononcée par Paul Valéry le 16 janvier 1935 à l’université des Annales. Un constat de l’intelligence humaine devant les faits du monde dont l’homme est à la fois le témoin et l’agent qui résonne encore, plus de soixante ans après, comme une triste réalité. Ce constat, c’est le désordre sans borne que « nous trouvons autour de nous comme en nous-mêmes, dans nos journées, dans notre allure, dans les journaux, dans nos plaisirs, et jusque dans nos savoirs. »

 

            Ce désordre, selon le conférencier, tient avant tout à une conception moderne du temps. « Nous ne savons plus féconder l’ennui », l’idée même de durée nous est insupportable ; il nous faut constamment chercher à remplir le vide. Aussi, nous multiplions les productions, les « nouveautés dans tous les domaines ».  Aujourd’hui, on n’attend pas de sentir un besoin pour chercher une solution ; on invente pour ensuite susciter le besoin. Ces brusques développements des choses sont venus interrompre une tradition intellectuelle. Ainsi, la continuité que nous connaissions dans les esprits et faisait que, d’une part, l’homme cherche dans le présent la suite et le développement des choses passées, et d’autre part qu’il cherche à déduire de ce qu’il sait du présent quelques éléments pour appréhender le futur sont une tradition oubliée ou perdue. « Nous ne regardons plus le passé comme un fils regarde un père, duquel il peut apprendre quelque chose, mais comme un homme fait regarde un enfant », conclut-il dépité.

 

            Paradoxalement, le désordre dont il est question et qui est la conséquence d’un développement intellectuel intense ne permet pas à notre intelligence de s’adapter à son évolution. Toutes les productions humaines ont été faites « sans ordre, sans plan préconçu », et surtout sans égard pour la nature humaine et sa capacité d’adaptation à l’évolution des choses produites. En d’autres termes, l’esprit humain semble ne pas surmonter ce qu’il a fait. « Tout ce que nous savons, dit Valéry, tout ce que nous pouvons, a fini par s’opposer à ce que nous sommes ». Nous voilà bien ! diriez-vous.                   

 

            Si nous nous inquiétons aujourd’hui de la vitesse des productions de notre monde, c’est certainement parce qu’au fond de l’être humain le besoin de quelque stabilité est une nécessité vitale. Nous avons besoin, comme dirait Montaigne, de nous sentir dans une assiette certaine. Ce qui permet à Paul Valéry de conclure que « ce monde prodigieusement transformé » par l’intelligence humaine n’est peut-être rien d’autre qu’une période de transition. Qu’est-ce à dire ? Ici, je reprends l’exemple donné par Valéry lui-même pour mieux vous faire comprendre pourquoi nous vivons sans doute une époque de transition. Imaginez une femme en âge de procréer. Cette femme est à « une époque de stabilité ». Puis vient un jour où elle tombe enceinte. Elle entre dès lors dans une époque de transformation ou « une époque de transition » qui aura son terme. A la naissance de l’enfant, elle entrera dans une nouvelle époque de stabilité. La situation actuelle du monde s’apparente fort – dit Valéry – à une époque de transition comme celle décrite. « Qui sait si toute notre culture n’est pas une hypertrophie, un écart, un développement insoutenable qu’une ou deux centaines de siècles auront suffi à produire et à épuiser ? ». En d’autres termes, une espèce de poussée de fièvre qui se calmera et disparaîtra sûrement.   

 

            Mais alors, me direz-vous, pourquoi s’inquiéter ? Malheureusement, disons-le, il y a de quoi à être inquiet. En attendant la traversée de cette période de transition dont nous ignorons la durée, l’esprit humain – puisqu’il s’agit de lui – court un risque majeur : le retour vers l’animalité. C’est vrai, la souplesse de l’intellect est admirable, dit Valéry ; mais il n’est pas certain qu’il résiste indéfiniment au traitement inhumain, aux excès que nous lui infligeons et qui émoussent notre sensibilité. Aussi, conclut-il sur ce chapitre, « Tout l’avenir de l’intelligence dépend de l’éducation, ou plutôt des enseignements de tout genre que reçoivent les esprits. »

 

A ce stade de son exposé, Paul Valéry entreprend une sévère critique de notre système d’enseignement qui, selon lui, participe au désordre de notre temps qu’il vient de peindre. Le diplôme que notre système éducatif a érigé en valeur absolu lui apparaît comme le pire ennemi de la culture puisque le minimum exigible devient l’objet des études et non point la formation de l’esprit. On peut convenir avec lui que le diplôme qui passe parmi nous pour savoir n’est en fait que le brevet d’une science momentanée. Valéry le juge même « mauvais parce qu’il crée des espoirs, des illusions de droits acquis ».

 

            Ce livre est un concentré d’intelligentes réflexions sur l’état du monde et de l’esprit humain. Il nous rappelle que devant nos productions désordonnées et notre passion de l’immédiateté, notre sensibilité s’émousse. L’effacement des intellectuels devant les politiques et les débats futiles nous le montre assez. Remettre ce texte sous nos yeux, c’est nous appeler à un examen de conscience devant les productions de notre esprit qui, après nous avoir émerveillés, commencent à nous inquiéter.    

 

Raphaël ADJOBI

 

Auteur : Paul Valéry

Titre : Le Bilan de l’intelligence (61 pages)

Editeur : Editions Allia, 2011.

18 décembre 2010

Françafrique, 50 années sous le sceau du secret (un film de Patrick Benquet)

                                       Françafrique

                        50 années sous le sceau du secret

 

 

Fran_afrik_0001            Au moment où en Côte d'Ivoire, enfermé dans son hôtel, un homme politique africain attend avec impatience que la France et les Etats-Unis - par le biais de l'Onu - l'installe sur le siège de la présidence de la république, au moment où cet évènement nourrit les opinions les plus diverses et divise les Africains autant que les Européens, voilà que Patrick Banquet sort un film d'une effroyable vérité sur les relations que la France entretient avec les dirigeants de ses anciennes colonies depuis cinquante ans. Des relations au parfum de pétrole qui n'ont cessé d'ensanglanter l'Afrique, des relations dans lesquelles les chefs d'états africains éprouvent de plus en plus de plaisir à jouer les premiers rôles.

 

            Dans ce film magnifique en deux parties, la liberté de parole des anciens acteurs de l'exploitation abusive et de la manipulation sans scrupule des dirigeants noirs surprend et charme à la fois. Tous, formés à l'école de Jacques Foccart ou trempés dans le pétrole avec ELF, sont superbes dans leurs habits d'anciens vautours chargés par l'état français - qui feignait et feint toujours de les ignorer - de saigner le continent noir au nom de l'indépendance énergétique de la France seul moyen de tenir son rang dans le concert des grandes nations du monde. Les différents coups d'états de l'histoire de l'Afrique de ces cinquante dernières années ressemblent ici à des jeux d'enfants diaboliquement orchestrés où les chefs d'états africains sont des marionnettes presque risibles. Les coups d'état africains, « la France les combat, les tolère ou les provoque ». En d'autres termes, en Afrique, aucun mouvement de rébellion, aucun chef d'état n'est parvenu au pouvoir sans l'aide ou la bénédiction de la France. C'est tout cela que montre la première partie du film intitulée La raison d'état.

 

           Peu à peu, les « marionnettes africaines » de la France se transforment en véritables « complices sans état d'âme du pillage de leur pays ». Avant comme après la privatisation de Elf, les gouvernants africains vont amasser des fortunes plutôt que de se préoccuper du sort de leur peuple. Ils s'y prennent si bien que leur richesse les autorise à intervenir dans le jeu politique de la France en choisissant ou révoquant des ambassadeurs, en imposant tel ou tel comme ministre chargé de la relation avec l'Afrique, et parfois même plus que cela. On croit rêver. D'où le titre de la deuxième partie du film : L'argent roi. Mais c'est dans ce contexte où les enjeux électoraux africains sont dessinés selon le patron des volontés élyséennes qu'un homme est apparu sur la scène politique francophone de manière absolument inattendue pour la France : Laurent Gbagbo ! Un homme politique de l'une des anciennes colonies qui parvient au pouvoir sans que la France ait misé sur lui ne peut qu'être un effronté. Non seulement il ne sollicite pas la bénédiction de la France, mais en plus c'est avec lui que l'ancienne puissance colonisatrice est pour la première fois conspuée en Afrique. Pour la première fois, sur ce continent, après cet homme, d'autres gouvernants noirs parlent de « donnant donnant » en affaires transformant ainsi le président des Français en simple représentant de commerce pour les entreprises françaises en Afrique.

 

            La fin du film semble donc montrer qu'une nouvelle ère est née pour l'Afrique. Malheureusement, peut-être par manque de confiance en elle ou animée par la peur inconsciente de l'opprimé, elle n'ose pas saisir l'occasion pour s'émanciper davantage. Tout laisse croire qu'un peu de cohésion et de solidarité lui ferait prendre conscience du poids de son pouvoir. Vous connaissiez la françafrique par les livres ; la voici désormais en images pour vous emporter au-delà de l'imaginable.    

 

° Pour acheter le DVD (6,40 €, frais de port compris) : Nouvel Observateur, 10/12 Place de la Bourse, 75002 Paris.Tel : 01.40.26.86.13

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Françafrique, 50 années sous le sceau du secret (Film)

Auteur : Patrick Benquet

 

4 septembre 2012

L'armée française assure l'intérim du président des Ivoiriens

                L'armée française assure l'intérim

                       du président des Ivoiriens       

            Lire l'article sur les pages politiques de Raphaël

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          La terreur que les rebelles du Nord - pompeusement rebaptisés Force Républicaine de Côte d’Ivoire (FRCI) - exercent dans des zones qui n’ont pas voté pour Ouattara aux dernières élections présidentielles a fini par obliger les populations à se terrer chez elles, à raser les murs, ou à ne jamais ouvrir la bouche une fois dans les rues. Et comme il a été poliment demandé à ceux qui ont peur de cette nouvelle armée de quitter la Côte d’Ivoire, les exilés au Libéria et au Ghana sont aujourd’hui légions. Depuis un an, chaque jour qui se lève est accompagné de son crime accompli par les FRCI et leurs complices dozos. La pratique est devenue si ordinaire que certains journaux locaux ont fini par perdre le compte de leurs forfaits. Voilà l'incroyable tableau qu'offre la Côte d'Ivoire !

          Même les populations nordistes qui vivent dans le sud se demandent pourquoi Monsieur le préfet continue de soigner son image auprès des Blancs en Europe plutôt que de s'occuper du pays. Un camp de refugiés attaqués par son armée ? Pas d’inquiétude ! Ce n’est que de la routine. Un camp militaire dévalisé par des inconnus. Pas d’inquiétude ! Il n’y a que les chefs d’Etat peu sûrs de leur pouvoir et devant soigner leur avenir politique – comme le président sud-africain - qui courent consoler leur peuple en pareille circonstance. Intouchable, notre homme reste toujours absent, indifférent aux maux des Ivoiriens.

          Mais voilà : non seulement les attaques armées se multiplient, mais en plus les civiles pro-Ouattara s'en prennent aux biens des populations et des partis de l'opposition en toute impunité. Dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, dans une ambiance de carnaval, les Frci et les dozos organisent l'immigration et l'installation des Burkinabés sur les terres abandonnées par les autochtones en fuite. Leur vacarme, la vue de leurs tenues et de leurs armes font trembler les populations de frayeur. 

          Paradoxalement, devant ce chaos généralisé, c'est la présence de l'armée française qui donne au commun des ivoiriens un semblant de protection. Du moins cette armée étrangère ne l'effraie pas ; même s'il ne sait pas vraiment pourquoi elle est là. Il lui semble tout simplement que c'est elle qui tient la situation en main pour ne pas donner le sentiment qu'il n'y a personne au volant de la voiture Côte d'ivoire.

          En effet, si les FRCI attaquent les partisans de Gbagbo et les jettent en prison, qui peut protéger ces derniers quand des civils les poursuivent jusque dans leur siège officiel à Abidjan ? De toute évidence, aucune autorité locale - ni le président toujours en voyage, ni son armée, ni sa justice - n'est en mesure d'assurer la sécurité des biens et des personnes en Côte d'Ivoire. Finis les temps bénis où les gens pouvaient descendre dans les rues pour crier leur peine et réclamer quelque chose à leurs gouvernants. On affronte une démocratie les mains nues ; pas une dictature ! Alors tout le monde vit la peur au ventre. C'est pourquoi l'armée française est intervenue à Dabou et aux abords de la maison du FPI, assurant ainsi l'intérim du président de la république absent. A vrai dire, tout porte à croire que celui-ci s'absente pour cacher son incapacité à maîtriser la situation qui prévaut dans le pays. 

          Bonne gouvernance donc à l'armée française ! Mais pour combien de temps ? Cette "démocratie" sarkozienne qu'on l'a obligée à installer va-t-elle lui rester indéfiniment sur les bras ? Si la population se cache dans les hautes herbes à la vue des FRCI, alors qu'elle ose se montrer quand elle voit l'armée française, c'est que la Côte d'Ivoire est perdue ! Elle est perdue parce que les ivoiriens vivent dans la peur de tous les signes qui représentent l'autorité de Ouattara. Elle est perdue parce que l'armée française est obligée de protéger les populations contre l'armée de Ouattara. Elle est perdue parce que les Ivoiriens ont peur de Ouattara !

Raphaël ADJOBI

20 septembre 2012

Zamore et Mirza ou l'esclavage des Noirs (Olympe de Gouges)

                                             Zamore et Mirza

                                        ou l'esclavage des Noirs

                                                (Olympe de Gouges)

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            L'une des premières grandes figures du féminisme en Europe, Olympe de Gouges, auteur de la célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), était aussi une grande militante de la cause des Noirs. Des deux combats qu'elle a menés de front, ce dernier est celui qui lui a coûté le plus d'énergie et d'ennemis. Une pièce de théâtre, Zamore et Mirza (1785), et un essai, Réflexions sur les hommes nègres (1788), sont les marques de son engagement qui nous permettent, aujourd’hui, de la compter au nombre des grands abolitionnistes. 

            Zamore et Mirza est une pièce assez brève, en trois actes, qui a pour but clair et net la dénonciation de l'esclavage des Noirs. Elle compte six personnages principaux dont un couple d'esclaves en fuite. L'intendant blanc du gouverneur de leur île avait jeté son dévolu sur la belle Mirza, amante de Zamore. Pour avoir été repoussé, il choisit ce dernier pour être l'instrument du supplice à infliger à Mirza. Le jeune esclave désobéit ; et  aux yeux du colon blanc, cela mérite la mort !

            Voilà donc Zamore et Mirza devenus des esclaves marrons. Leur isolement est propice à des réflexions sur la nature humaine et la place des esclaves dans la société coloniale. « Dis-moi, pourquoi les Européens et les habitants (1) ont-ils tant d'avantages sur nous, pauvres esclaves ? Ils sont cependant faits comme nous, nous sommes des hommes comme eux : pourquoi donc une si grande différence de leur espèce à la nôtre ? » demande Mirza. « Cette différence est bien peu de chose ; elle n'existe que dans la couleur, mais les avantages qu'ils ont sur nous sont immenses. L'art les a mis au-dessus de la nature : l'instruction en a fait des dieux, et nous ne sommes que des hommes », répond Zamore. Au cours de leur fuite, ils sauvent un couple de français naufragés d'un navire en provenance de l'Europe. Avec l'aide de ce couple de blancs, comment Zamore et Mirza vont-ils convaincre le gouverneur et les colons - qui exigent leur mort - de leur innocence ? 

            Certes, l'amour de Zamore et de Mirza est le reflet du romantisme du XVIII è siècle et rappelle à certains égards celui de Roméo et Juliette. Et certains sentiments évoquent ceux de Jean-Jacques Rousseau quant à la bonté naturelle de l'homme. Mais, dans un cas comme dans l'autre, rien n'apparaît excessif. Et si l'auteur oppose la pureté des sentiments des amoureux à la rigueur ou la férocité des colons, il ne manque pas de montrer qu'il y a des blancs qui ont non seulement le sens de la justice mais sont également capables de compassion. Le gouverneur est un homme bon et un maître exemplaire. Zamore fait la différence entre les colons, injustes et cruels, et les Français d'Europe qu'il imagine plus humains et prêts à changer leur sort : « Une morale douce et consolante a fait tomber en Europe le voile de l'erreur. Les hommes éclairés jettent sur nous des regards attendris ; nous leur devrons le retour de cette précieuse liberté, le premier trésor de l'homme, et dont des ravisseurs cruels nous ont privés depuis si longtemps ». 

Non, les Blancs ne sont pas tous mauvais ; et l'auteur a tenu à le souligner afin de bien montrer que la justice et l'amour entre les humains sont des combats qui dépassent la couleur de la peau. Ce sont des idéaux qui sont ancrés dans le cœur des humains - Blancs et Noirs - et qu'il convient de ne pas laisser supplanter par l'artifice et la cupidité de certains. Vous trouverez dans l'introduction de cette pièce une juste idée à la fois des remous suscités par sa représentation à la Comédie Française en décembre 1789, et de l'animosité des colons à l'égard de son auteur. Une abolitionniste et une humaniste, telle était Olympe de Gouges. N’oublions jamais que pour avoir dénoncé la violence sous toutes ses formes et plus particulièrement la peine de mort, elle est morte guillotinée.             

(1) : les Indiens 

Raphaël ADJOBI 

Titre : Zamore et Mirza, ou l'esclavage des Noirs ; 78 pages

Auteur : Olympe de Gouges

Editeur : Flammarion, collection Librio, 2007 (2 euros) 

24 septembre 2012

Le visage du racisme américain sous Obama vu par Toni Morrison

       Le visage du racisme américain sous Obama

                                 vu par Toni Morrison  

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            Dans le cadre du festival América, - manifestation littéraire française consacrée aux littératures américaines – un journaliste de France Inter a pu approcher Toni Morrison pour avoir son sentiment sur l’état du racisme aux Etats-Unis sous Obama. La clarté et la netteté de la réponse de l’Américaine, Prix Nobel de littérature, mérite réflexion. 

            A la question de savoir si le racisme persiste sous Obama, Toni Morrison a répondu, sans aucune hésitation « oui ! » Puis elle a expliqué que sous Obama le racisme est devenu plus voyant, plus « explicite ». Un racisme « décomplexé ». Désormais, ajoute-t-elle, certaines personnes ne cachent plus leur animosité à l’égard des Noirs sous des politesses conventionnelles. Le racisme semble pour beaucoup une valeur officielle.

            Ces propos ne peuvent que nous ramener à notre actualité française où il est question pour certains – depuis quelques années - de clamer haut et fort qu’ils font partie de « la droite décomplexée » ; ce qui suppose qu’ils ne renient pas le racisme. En effet, par le mot « décomplexé », la droite française montre son refus de laisser à l’extrême-droite le monopole du racisme. Bien au contraire, elle veut l’assumer et en faire son fonds de commerce. 

            En France comme en Amérique, les choses sont donc claires. Point de silence hypocrite, point de vote dénué de toute intention raciale ou anti-raciale. C’est peut-être mieux ainsi, non ? Ici comme aux Etats-Unis, on va pouvoir choisir plus facilement avec qui cheminer dans la vie conjugale comme dans la vie politique. 

Raphaël ADJOBI

24 mars 2013

Côte d'Ivoire : le crime des médias français

                Le crime des médias français

Depuis que l'ONG Amnesty International a publié son
rapport sur les presque deux années de gouvernance d'Alassane Ouattara,
quelques rares journaux français se sont permis des commentaires s'attirant les
foudres de leurs employeurs ou financiers. Mais avant cela, en février dernier,
le procès de Laurent Gbagbo à la Cour Pénale internationale à la Haye a mis en
évidence le mutisme criminel des médias français sur la réalité ivoirienne
pendant et après la crise postélectorale. On peut redire que les
journalistes (qui ne peuvent accuser que leur absence d'indépendance) sont les
premiers responsables de l'ignorance des Français sur l'implication de leur
pays dans les affaires africaines.

                   Lire l'article sur les pages politiques de Raphaël

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30 mars 2013

France : les industries agroalimentaires empoisonnent les Antillais au sucre !

                   France : les industries agroalimentaires

                       empoisonnent les Antillais au sucre !  

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            Le mercredi 27 mars, les radios françaises annoncent que les boissons rafraîchissantes et les produits laitiers destinés aux départements d'Outre-mer contiennent deux fois plus de sucre. Elles expliquent que c'est, pour les industriels, une manière habile de rendre les Antillais dépendants de leurs produits sans se soucier de l'obésité que cet état de chose provoque chez cette population. Quant à l'industrie agroalimentaire, elle prétend qu'elle n'a fait que s'adapter au goût des Antillais qui, selon elle, aiment manger et boire très sucré. 

            Après les plats cuisinés à la viande de cheval à la place de la viande de boeuf, voilà donc l'empoissonnement de consommateurs français au sucre. Dans le premier cas, il s'agissait d'une simple tromperie sur la marchandise, donc un délit, et dans le deuxième cas une atteinte à la santé d'autrui, donc un crime. Et puisque ce crime vise une catégorie de la population, on peut même parler d'acte ségrégationniste, raciste ; même si dans l'affaire, quelques Blancs ont certainement consommé ces produits. Quelques sacrifiés. 

            Durant de nombreuses années, en France métropolitaine, les associations n'ont cessé de dénoncer l'ajout d'alcool et de produits spéciaux aux boissons qui ont la préférence des jeunes. Elles savaient que les fabricants rusaient ainsi afin de les rendre progressivement dépendants des boissons hautement alcoolisées quand ils seront adultes. Une campagne  a vite été menée pour prévenir les familles ; et l'état a tiré l'oreille aux industriels. Les distributeurs automatiques de sodas et de barres chocolatées ont donc disparu des collèges et de bon nombre de lycées en prévention de l'obésité et de l'addiction à l'alcool.

            De toute évidence cette campagne de santé auprès des familles et les lois imposées aux établissements scolaires et aux industries agroalimentaires n'ont pas été jugées applicables aux Antilles. Pire, devant l'impunité, les industriels ont choisi le sucre plutôt que l'alcool européen - le rhum est indétrônable aux Antilles - pour poursuivre leur sale besogne là-bas. Et pendant que les Antillais, perfusés au sucre grossissaient comme des immenses ballons - multipliant les maladies cardiovasculaires et le diabète - de nombreux métropolitains cherchaient l'explication de ce phénomène dans la proximité de leurs moeurs alimentaires avec celles des Américains.

            A vrai dire, les causes profondes de cette propension à l'obésité des Antillais - surtout des Antillaises - étaient connues depuis 2011. Des particuliers avaient révélé la teneur excessive de sucre dans le pain et les croissants et avaient jeté un doute sur la formation des boulangers. A quel crime les poussait-on ? Très vite, on s'était rendu compte que les produits alimentaires venus de France avaient une teneur en sucre deux fois supérieure à ceux consommés en métropole. Le député de la Guadeloupe, Victorin Lurel - aujourd'hui ministre - avait alors proposé une loi pour ramener ce taux au même niveau que dans l'hexagone. Mais comme à Paris rien n'est urgent quand il s'agit des Antilles, il a fallu attendre la crise de la viande de cheval à la place de la viande de boeuf pour qu'en mars 2013 les chaînes nationales reconnaissent enfin que les criminels ne sont point les Américains mais bien les industriels français. 

Raphaël ADJOBI 

6 juillet 2013

Trois femmes puissantes (Marie Ndiaye)

                                  Trois femmes puissantes

                                               (Marie Ndiaye) 

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            Disons-le sans détour : ce roman est d'un abord rebutant par le choix d'une langue surchargée de subjonctif imparfait. Chose très sensible dans le premier des trois récits. Dans la pratique de la langue française, ce temps est celui auquel nous sommes le moins habitués. Aussi, lorsqu'on vient à en abuser, il focalise l'attention par son étrangeté, et le lecteur ou le locuteur passe son temps à faire de l'analyse grammaticale plutôt qu'à suivre le flot ou le rythme du discours pour en saisir le sens. Et si à cette particularité de l'écriture - est-ce le style distinctif de l'auteur ? - nous ajoutons la multiplication des propositions incises, souvent très longues, nous pouvons affirmer que le livre se place hors de portée d'un très grand nombre de lecteurs. Ce n'est donc pas un livre pour "grand public". 

            Cependant, aucun lecteur ne peut nier que Trois femmes puissantes est un roman auquel on ne peut rester indifférent au regard à la fois de la richesse des personnages et de leur perception particulière du monde. Ce sont trois récits présentant trois êtres très cérébraux qui passent leur vie à se triturer les méninges, à analyser tout ce qui se présente à leurs yeux comme pour éviter des catastrophes qu' ils savent cependant inéluctables. Trois récits ayant pour thème trois phénomènes de société ou d'actualité que personne n'ignore à notre époque : l'omnipotence d'un père qui rend difficile, voire impossible, l'épanouissement de tout amour filial ;  la recherche désespérée de la consolidation d'un amour qui semble de toute évidence avoir atteint son point de rupture - avec au centre une progéniture pouvant servir d'élément de chantage ; et enfin l'émigration des Africains sous l'angle d'une spirale infernale révélant une âme singulière que seules ces sociétés sont encore capables de produire.

            Entre ces trois récits, chaque lecteur aura sa préférence. Certains apprécieront dans le premier le regard impitoyablement critique de la jeune mère - nourrie par une vie remplie d'amertume et de rêves d'enfance inassouvis -  dans lequel se lit une rancoeur tenace à l'égard de son père. Cependant, c'est aussi le récit dont l'abord est moins agréable du fait de la très grande présence du subjonctif imparfait qui nécessite un temps d'adaptation. Le deuxième récit remportera la palme des lecteurs. Ici, la présence de la femme est pour ainsi dire en filigrane. Ce sont les difficultés de l'époux, cet Européen contraint de quitter l'Afrique avec sa femme sénégalaise pour se reconstruire en Europe, qui occupe le devant de la scène. Un récit captivant qui frise la folie à chaque instant. Quant au troisième, il séduit par le caractère à la fois "automate" et réfléchi ou lucide de Khady Demba. Avec elle, l'émigration se vit comme un rêve situé hors de toute rationalité, un rêve où avoir conscience d'exister est le seul garde-fou, au sens propre. 

            C'est à la fois passionnant et "intellectuellement" éprouvant de suivre des personnages cérébraux qui semblent vivre mille vies en une seule. C'est sans doute là que se trouve le talent ou le génie de l'auteur : contruire des récits magnifiques, charmants, à partir de choses apparemment banales et sans intérêt particulier. Ce talent se révèle aussi dans les mots susceptibles d'altérer un récit de qualité mais qui se fondent ici dans une déconcertante harmonie avec le reste : par exemple, les mots comme Renault Nevada, Renault Clio ou Toyota, ne confèrent pas au récit leur profonde banalité parce qu'ils s'imprègnent de l'éblouissante rêverie des personnages. Ceux qui aiment les monologues intérieurs trouveront dans ces récits trois belles occasions de laisser aller leur imagination à la reconstruction de trois univers totalement différents.

Raphaël ADJOBI

Titre : Trois femmes puissantes, 317 pages

Auteur : Marie Ndiaye

Editeur : Gallimard, 2009

10 septembre 2013

La crise morale des socialistes français et le camarade Laurent Gbagbo (Raphaël ADJOBI)

               La crise morale des socialistes français

                        et le camarade Laurent Gbagbo    

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            Nombreux étaient les Africains francophones qui, en 2012, lors des élections présidentielles françaises, avaient adressé des prières au ciel pour qu'il les débarrassât de Nicolas Sarkozy. Une fois leurs vœux exaucés, ils s'étaient mis à espérer une politique plus ferme de François Hollande à l'égard de la dictature qui commençait à se mettre en place en Côte d'Ivoire. Ils ont attendu. Ils n'ont rien vu venir. Certains se demandent s'il faut encore espérer.   

            Au regard de l'esprit actuel des socialistes, on est tenté de leur dire que l'espoir n'est pas permis sans un petit miracle. Car, au-delà de l'impasse économique dans laquelle se trouve la France et qui demande une autre voie d’étude - excellemment analysée par Fernand A. Dindé dans son article « La France doit se réinventer ou périr » - le mal français trouve aussi son explication dans l'éloignement des valeurs morales. Et ceux qui ont perdu quelque chose dans ce domaine, ce sont les socialistes. Quand Jean-Marc Ayrault clamait le 25 août 2013 à la clôture de l'université d'été des socialistes à La Rochelle qu'il leur faut « se réinventer », c'est qu'il était conscient que son parti s'est éloigné de ses valeurs premières. En effet, depuis quelques décennies, il paraît tout à fait évident – aussi bien sur le plan national que sur le plan international – que les socialistes ne portent plus aucun espoir, n’indiquent plus aucune voie à suivre. L'affaire du camarade Laurent Gbagbo et l'état actuel de la Côte d'Ivoire sont là pour nous montrer qu’ils ont perdu tous leurs repères. Peut-être qu'avant de penser à se réinventer économiquement – comme le leur conseille Ferdinand Dindé - il faudra d’abord qu'ils songent à retrouver leurs valeurs morales.     

            Car, si dans l'opinion commune le libéralisme a une connotation individualiste, le socialisme revêt indubitablement une idée de société plus égalitaire, distillant des valeurs humanistes. Le socialisme renvoie aux combats pour l'égalité et la fraternité humaines. Des idées apparemment utopiques, mais qui ont dans la pratique quelques consistances charmantes et galvanisantes qui font de l'homme un être cherchant à donner le meilleur de lui-même pour construire une humanité plus juste. Le socialisme évoque le combat des abolitionnistes du XIXe siècle, le combat de tous ceux qui, çà et là, sous tous les cieux, ont soutenu ou participé aux luttes des faibles contre les puissants, des pauvres contre les riches.

En mai 1981, avec l'arrivée de François Mitterrand à l'Elysée, nous nous sommes tous mis à rêver : Français blancs, Français noirs et anciens colonisés d'Afrique et d'ailleurs. Oui, les Noirs de France et d'Afrique francophone ont vu se lever un jour nouveau sur leur rêve d'une plus grande fraternité humaine en mai 1981. Par ailleurs, la personnalité même de François Mitterrand, homme cultivé pétri de connaissances humanistes, laissait augurer de belles choses pour les minorités françaises et anciens colonisés vivant dans une indépendance tronquée au sein d'un système de soumission et de prédation adroitement préparé par Charles de gaulle. 

                                                   La grande désillusion

            Malheureusement, François Mitterrand et les socialistes n’ont jamais adressé de signe fort aux minorités nationales pour entretenir leurs rêves. Certes, les discours plaidant pour une vie commune apaisée n'ont pas manqué. Certes, le racisme n'a jamais été aussi vivement dénoncé par les autorités politiques. Mais à aucun moment le pouvoir n'a accompli de geste significatif permettant une plus grande acceptation des minorités par la majorité blanche. Rivés au principe selon lequel il n'y a pas de communauté ethnique en France, les socialistes n'ont pas tenté d'analyser les souffrances des minorités pour y trouver des solutions particulières comme on le fait pour les femmes, les handicapés, les victimes de guerre, les homosexuels... Ils n'ont pas jugé que des gens sortant assez récemment tout de même de l'esclavage et de la colonisation - états dans lesquels ils n'ont connu que brimades et tâches avilissantes - avaient besoin d'être présentés différemment pour être mieux acceptés par leurs nouveaux concitoyens blancs. Aucun héros noir ne sera élevé à la gloire nationale. La discrimination positive tant rêvée ne sera jamais tentée parce que constamment soumise à des débats stériles. L'on se contentera par conséquent d'un seul Noir issu de l'immigration (comme on le disait déjà) au sein du gouvernement durant les quatorze années de pouvoir mitterrandiste-socialiste.

            Il a donc fallu attendre que la droite revienne au pouvoir avec Nicolas Sarkozy, le moins amoureux des lettres et donc des humanités parmi les présidents de la cinquième république, pour voir un geste allant dans le sens d'une meilleure visibilité des minorités en terre de France. La maigre poignée de ministres noirs et d'origine maghrébine a créé l'événement durant son quinquennat. En 2012, la nomination d'un plus grand nombre de ministres issus des minorités par François Hollande est presque passée inaperçue. Et pour cause : en cinq ans, les Français se sont déjà quelque peu habitués à voir des personnes basanées dans les plus hautes fonctions politiques de l'Etat ! Chacun venait de comprendre que ce n’est pas le talent qui permet d’accéder aux hautes fonctions politiques et à la direction des grandes sociétés d’Etat mais l’arbitraire de la nomination et de la promotion.  

            Retenons donc que c'est la nouveauté qui effraie mais qu’en même temps « on ne peut rétablir confiance et espérance que si l’on indique une autre voie » (Edgar Morin, sociologue et philosophe). Il fallait donc oser la nouveauté pour que l’habitude, ou plutôt la confiance s’installe ! Retenons aussi que quand on manque d’audace, quand on a peur de la nouveauté, à force de mollesse, on finit par marcher dans les pas de ses adversaires. Les valeurs qui sont votre marque distinctive finissent par vous sembler encombrantes et vous finissez par les taire ou les cacher. Les socialistes se renient constamment et se contentent de faire comme les autres parce que, aujourd'hui, défendre les valeurs morales et humanistes est vu comme une faiblesse. Par contre, prôner la violence pour la violence, le châtiment pour la moindre offense, lever des armées pour combattre sous tous les cieux pour y apporter désolation et misère est vu comme une vertu. Qu'elle est déjà lointaine cette époque où les intellectuels socialistes descendaient dans les rues pour défendre les peuples opprimés par nos propres armées !               

              Quand les socialistes livraient Laurent Gbagbo à la droite              

            S’ils ont du mal à reconnaître et à défendre des valeurs humanistes en France, ce n’est pas en terre africaine qu’ils vont jouer les défenseurs de la veuve et de l’orphelin. Sur ce continent, ce sont les armes qu’il faut faire parler. On est sûr d’être applaudi par les médias qui se parfument à la dynamite, la guerre sous tous les cieux étant leur fonds de commerce. N'est-ce pas à leurs exploits militaires en Afrique que le peuple français juge de la valeur de chacun de ses présidents ? Après le Mali qui lui a permis de grimper durant quelque temps dans les sondages, François Hollande ne s’est-il pas découvert une âme de guerrier ? L’Afrique comme terrain de jeu ne lui suffisant plus, il veut aller s’amuser en Syrie. Il faut croire que les socialistes ont perdu toutes leurs valeurs au point de ne plus savoir ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Edgar Morin a bien raison de dire que « le parti [socialiste] a perdu sa pensée » parce que « nos hommes politiques ne se cultivent plus, ils n’ont plus le temps, leur connaissance du monde est fournie par des spécialistes et des experts dont la vue est évidemment bornée à un domaine clos et il n’y a personne pour faire la synthèse »*. N’étant plus éclairés par les humanités ils ne peuvent que tourner le dos aux valeurs qui nous unissaient au-delà de nos frontières respectives. On comprend mieux le crime des socialistes français à l’égard du camarade Laurent Gbagbo.                    

            Car là où François Hollande et les socialistes ont fait preuve de la plus grande lâcheté et d’une mollesse inqualifiable et continuent à le démontrer, c’est avec l’affaire du camarade Laurent Gbagbo. Oui, l’ancien président ivoirien est un socialiste dont le parti était une des composantes de l’Internationale socialiste. Nous disons « était » et allons vous expliquer pourquoi nous nous exprimons au passé. L’Internationale socialiste exige une certaine cohésion entre ses membres sur certaines valeurs. Cela va de soit, dans toute organisation.

Toutefois, tenez-vous bien ! Alors qu’à la fin des années 90 Dominique Ouattara organisait des galas au nom d'une association ivoirienne d'aide à l'enfance dont on devine que les bénéfices ont servi à acheter des armes, au moment où elle faisait le tour des personnalités socialistes pour plaider la cause de son cher et tendre époux (propos de François Loncle, député socialiste de l’Eure*), aucun d’eux n’a jugé utile d’entendre un autre son de cloche pour essayer de comprendre la réalité du terrain ivoirien parce qu'ils ne voulaient pas avoir à soutenir le socialiste Laurent Gbagbo contre un projet français. Ils iront même plus loin.   

            Non contents de se murer dans le silence quand les valeurs humaines sont bafouées dans les anciennes colonies par l'armée française et les réseaux officiels de l’Elysée (la Françafrique n'est plus un réseau occulte*), les socialistes français vont aller jusqu’à se désolidariser officiellement, et donc publiquement, du démocrate Laurent Gbagbo au nom des intérêts de la France. Par un acte officiel intitulé « Appel : Gbagbo doit partir » daté du 22 décembre 2004 publié par le journal Le Nouvel Observateur, ils avaient lancé les premières signatures demandant l’exclusion de Laurent Gbagbo et du FPI de l’Internationale socialiste !  

            Cet appel est intervenu à la suite des événements de 2004 où, encerclé par les patriotes ivoiriens venus protéger la résidence de leur président contre tout éventuel coup d’état, l’armée française tira sur la foule. Cet événement, exceptionnel en Afrique noire – qu’Antoine Glaser et Stephen Smith comparèrent à la prise de la Bastille* - fut l’occasion pour les socialistes de se rapprocher davantage du gouvernement de Chirac et lui témoigner leur solidarité. Effectivement, pour eux, « les pouvoirs passent, les intérêts de la France demeurent », selon les termes de Laurent Fabius. 

Quand de jeunes patriotes défient à mains nues une armée étrangère qui vient faire la loi sur leur sol, universellement, on y voit un acte héroïque. Malheureusement pour les socialistes français, un jeune Ivoirien qui meurt pour son pays est un affront à la France ; et cela mérite des représailles. Quelle perte énorme du sens des choses ! Qu’ils prennent le temps de méditer ces paroles pleines de vérité de Bernard Houdin, le Conseiller Spécial du président Laurent Gbagbo : « En France on perpétue la mémoire de [Guy Moquet], tombé sous les balles nazies […]. Mais a-t-on le même souci pour tous les "Guy Moquet" des luttes pour la souveraineté des peuples et qui sont, parfois, tombés sous les coups de ceux qui honorent, chez eux, "leurs Guy Moquet" ? Combien de Guy Moquet palestiniens, ivoiriens, congolais, vietnamiens, boliviens et autres ? »*           

            Et au moment où Nicolas Sarkozy avait besoin d'être officiellement approuvé pour mener la charge finale contre le palais présidentiel ivoirien et parachever l'œuvre commencée par Chirac, qui se chargea de déclarer le camarade Laurent Gbagbo « infréquentable » ? Le camarade François Hollande ! On n’est jamais mieux trahi que par les siens.  

            Aujourd’hui, plus personne ne cherche les valeurs humaines chères aux socialistes français d'antan. Depuis leur retour au pouvoir en 2012, François Hollande a purement et simplement chaussé les bottes impérialistes laissées sur le paillasson de l'Elysée par son prédécesseur pour aller défendre les intérêts français en Afrique sans une once d'attention à la dictature qui sévit en Côte d'Ivoire. Plus de 700 prisonniers politiques et plus de 200 militaires de l'ancien régime (Nouveau Courrier du 23/08) croupissent dans les geôles de Ouattara ; la plupart dans le nord du pays transformé en véritable Guantano impénétrable. Et Hollande se tait. Ceux qui sont laissés libres ont leur compte bancaire bloqué par Ouattara. Et Hollande se tait. Les exilés qui ont un peu de notoriété sont pourchassés avec la complicité des pays voisins et jetés en prison. Et Hollande ne dit mot. Les populations de l'ouest qui ont pris le chemin de l'exil après les massacres de Douékoué, Guitrozon et Nahibly sont remplacées par des populations venues du Burkina et du Mali. Pas un socialiste pour crier au scandale. Hollande se tait. Et quand officiellement Ouattara déclare que par la politique de rattrapage le sud de la Côte d'Ivoire est exclu de la gestion des affaires du pays, le président français se tait parce qu'il juge que cela ne porte nullement atteinte aux intérêts français. 

            Plus rien ne distingue une politique étrangère de la gauche d’une politique étrangère de la droite. Il est clair que pour le gouvernement socialiste,  critiquer les agissements du pouvoir ivoirien installé avec force par la France réunifiée et solidaire équivaut à une remise en question de la politique africaine de la France. Après avoir chanté les louanges de Ouattara et l'avoir imposé aux Ivoiriens comme leur sauveur, ce n'est sûrement pas un président français qui commettra le crime d'aller défaire ce que son prédécesseur a fait. Pourquoi aller parler de droits de l’homme et de démocratie à un dictateur installé par la France ? De toutes les façons, il n’est pas certain que les nègres aient assez de jugement pour distinguer démocratie et dictature.       

            De leur côté, sûrs de l'impossibilité pour la France de se renier, Alassane Ouattara et ses milices font la pluie et le beau temps depuis deux ans. Ils assurent haut et fort qu'ils sont en train de réussir la réconciliation nationale, de « rendre la démocratie irréversible en Côte d’Ivoire » (Le Monde du 4 février 2012), et leurs propos sont pris pour parole d'évangile en France. Ils assurent que tous ceux qui ont commis des crimes durant les périodes troubles du pays seront jugés et punis. Et François Hollande les croit, même si de toute évidence c’est un mensonge puisqu’il n'y a que Laurent Gbagbo et ses partisans qui subissent la loi du régime en place. Ni l'ONU, ni les Américains, ni la France ne juge tout cela inadmissible. Alors Ouattara passe son temps à voyager en Europe pour serrer des mains blanches qui sont autant de bénédictions qui l’innocentent des crimes de ses miliciens chargés de terroriser les populations pour éviter toute manifestation politique en Côte d'Ivoire. La peur est décidément devenue un gage de stabilité aux yeux de tous les observateurs étrangers.

                          Ou les socialistes se réveillent ou ils disparaissent          

            François Hollande le socialiste peut-il avoir une autre lecture de la relation entre la France et la Côte d'Ivoire ? Nicolas Sarkozy était l'ami d’Alassane Ouattara et il a mis l'armée française au service de son ami pour installer le pouvoir que nous connaissons aujourd'hui. François Hollande est-il capable de dire à Alassane Ouattara « moi aussi j'ai des amis et des valeurs à défendre avec eux » ? Non ! Il n'en est pas capable. Et c'est là que l'on reconnaît la gauche molle dans toute sa splendeur ! Elle n'est pas capable d'exiger le respect des valeurs chères à tous les socialistes du monde entier : un retour rapide à une vie politique normale afin de permettre des élections démocratiques honnêtes qui ne nécessitent pas l'intervention de l'armée française, de l'Onu et des Etats-Unis. Voilà le minimun que l’on attendrait d’un gouvernant socialiste. Si nous avons festoyé ensemble à la Bastille en agitant les drapeaux de divers pays de la terre lors de l'élection de François Hollande, c’était tout simplement pour lui demander qu’il nous permette de nous retrouver autour des valeurs simples comme la démocratie et le non-emprisonnement pour des opinions politiques. 

            A vrai dire, François Hollande et les socialistes français nous ont trahis. Ils vivent dans la peur d'incarner des valeurs pour lesquelles le monde entier lutte pour un mieux-vivre et un mieux-être. Ils ont peur d'agir parce qu’ils ont peur de la nouveauté. Alors, ils se contentent de gérer plutôt que de prendre des initiatives. Si François Hollande ne force pas immédiatement la main à Ouattara pour l’amener à une gestion plus humaine, plus démocratique et plus juste de la Côte d’Ivoire, alors ce dernier a de beaux jours devant lui. Grâce à ses dozos et à ses rebelles nordistes qui ont remplacé les forces régulières ivoiriennes plurirégionales – rattrapage ethnique oblige – et la naturalisation massive de ses anciens compatriotes burkinabés, il est certain d’avoir préparé le cocktail idéal pour remporter les élections de 2015 dans un carnaval de fraudes. Et quand la gauche aura perdu les prochaines élections présidentielles en France, l’homme fort d’Abidjan sera assuré de continuer à mépriser les appels à la démocratie, à l’instauration d’un état de droit, à une justice équitable pour tous et au non repeuplement de la Côte d’Ivoire.

            C'est en Côte d'Ivoire, terrain d'injustice et de violations des droits de l'homme où la responsabilité entière de la France est engagée que les socialistes doivent "se réinventer" et non en Syrie. C'est là qu'ils doivent commencer - sur le plan international - le grand chantier moral qu'ils viennent de découvrir enfin. C'est au pied du mur ivoirien, où nous les attendions depuis si longtemps, qu'ils ne doivent pas mollir au risque de disparaître à jamais de la mémoire de leurs camarades de l'Internationale socialiste. 

*le film de Patrick Benquet : Françafrique, 50 années sous le sceau du secret.

* Antoine Glaser et Stephen smith : Pourquoi la France a perdu l'Afrique. Calman Lévy.

* François Loncle, député socialiste de l’Eure, ancien président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale entre avril 2000 et juin 2002. http://www.youtube.com/watch?v=Yj7OJH_zH0c

* Bernard Houdin : hommage à Vergès, « Salut Jacques ! »

Raphaël ADJOBI

21 septembre 2013

Dans la maison de l'autre (Rhidian Brook)

                                    Dans la maison de l’autre

                                                (Rhidian Brook)

 

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           Avec son jeune fils de dix ans, Rachel Morgan quitte Londres pour Hambourg où son mari, un colonel de l’armée anglaise, participe aux côtés des autres militaires des pays alliés à la reconstruction de la l’Allemagne après la défaite de 1945. C'est donc pleine de cette « émotion primitive [et] rassurante » que procure le rôle du colonisateur tout-puissant qu'elle arrive dans cette ville. 

            Dans cette Allemagne qui n'était que décombres, ceux qui entreprennent sa prétendue reconstruction doivent être forcément logés dans les quelques maisons épargnées par les bombes. Quelle ne fut pas sa surprise quand son mari lui annonça qu’il n’a pas jugé nécessaire de renvoyer les propriétaires de l’immense demeure qui leur est affectée. Ils occuperont donc les deux premiers niveaux de cette maison. Quant à Lubert – le riche propriétaire allemand – et sa fille de quinze ans, ils se contenteront du dernier étage bénéficiant d’une entrée et d’une sortie particulières. 

            C’est bien sûr de mauvais cœur que Rachel Morgane accepte de vivre sous le même toit avec « l’ennemi » dont une bombe a tué son aîné de quatorze ans et dont la grande courtoisie et l'immense culture ne sont pas de son goût parce qu'elles ne lui offrent pas l'occasion d'extérioriser son animosité. Un « ennemi » auquel son mari consacre tout son temps en participant à la reconstruction de son pays. Même si elle bénéficie de la compagnie de la valetaille du propriétaire de la maison, Rachel Morgan, murée dans son ressentiment, est bien seule dans ce « sacré palais au bord du fleuve ».  

            Si ces quelques mots suffisent pour que certains lecteurs de ce billet imaginent déjà la naissance d’une relation adultère dans cette maison, c’est que l’histoire d’amour présentée dans ce livre est absolument banale. Et elle l’est, puisque c’est le cas. Il faut par conséquent chercher ailleurs l’intérêt du livre.

            En effet, c’est dans le spectacle de l’arrière-plan qui ne peut manquer de retenir l’attention que se trouve toute la beauté du roman. Outre la peinture d’un univers de désolation où les populations se partagent les ruines avec les rats et vivent comme des chiens se contentant d'un os sans viande autour, ce livre nous découvre ce que les alliés – Français, Anglais, Américains et Russes – ont fait en Allemagne dans ce qu’ils ont pompeusement appelé une œuvre de reconstruction.

            Sous ce vocable humanitaire se cache en réalité un véritable travail de colonisation du pays. Pour y parvenir, les alliés commencèrent par un programme de dénazyfication, en d’autres termes l’épuration du pays de tous ceux qui auraient de près ou de loin participé – ou soutenu – le pouvoir nazi. On imagine aisément le dépouillement et l’humiliation de la grande majorité de la population. D’autre part, ils entreprirent le démantèlement de toutes les usines qui ont fait la puissance du régime. Et c’est dans cette dernière tâche que l’on découvre comment, à la fin de la guerre, l’Allemagne a été placée dans une situation de dépendance par rapport à chacun des pays alliés. On détruit tout, comme par exemple les usines de savon – d’utilité publique et n’ayant aucun lien avec la force militaire nazie – pour qu’un pays allié devienne le fournisseur exclusif de l’Allemagne. 

            Quand vous aurez terminé ce livre et que vous l'aurez refermé, voici la question qui ne manquera pas d’agiter votre esprit : comment l’Allemagne qui a été littéralement mise à genoux pour dépendre économiquement des vainqueurs de 1945, comment ce pays qui n’a ni ancienne colonie à piller ou à pressurer à la manière de la France a pu se relever d’un tel niveau de pauvreté pour devenir en ce début du XXIe siècle – c’est-à-dire en une soixantaine d’années – la première puissance économique européenne ? Cela laisse croire que ceux qui pensent que le pillage de l’Afrique est une solution de facilité qui empêche la France de penser à se réinventer ont tout à fait raison. Cet état de fait entretien la France dans la fainéantise intellectuelle tout en créant misère et désolation sous d’autres cieux. 

Raphaël ADJOBI

Titre : Dans la maison de l'autre, 332 pages.

Auteur : Rhidian Brook

Editeur, Fleuve noir, août 2013

11 novembre 2013

Le principe de Peter (Par L. J. Peter et R. Hull)

                                     Le principe de Peter

                                   (Par L. J. Peter et R. Hull)

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            Voici un classique des librairies dont j'ai ignoré l'existence jusqu'à l'été dernier. Ne vous laissez pas abuser par la première de couverture peu agréable de l'édition que je vous propose. Le principe de Peter est tout simplement le livre que tous les travailleurs devraient lire à la fois pour juger de la compétence de leurs supérieurs et de leurs collègues mais aussi pour se situer eux-mêmes. 

            En effet, la question qui vient à l’esprit de tout lecteur dès les première pages est : « Suis-je compétent au poste que j'occupe dans la structure de la société qui m'emploie ? » Toutefois, soyez sans crainte. Le principe du Dr Peter que Raymond Hull entreprend de nous faire découvrir ne se présente pas de manière malsaine comme un miroir qu'il nous tendrait. Non, c'est plutôt une invitation à faire preuve d’un regard bien aiguisé pour voir le fonctionnement de tous les organismes de gestion de nos sociétés, l'organisation des promotions et les luttes pour les meilleures places. 

            L’auteur ne nous dit pas que tous les employés sont incompétents. Non ! Il reconnaît comme tout le monde qu’il y a dans les administrations et les hiérarchies des sociétés des gens compétents qui commettent des erreurs occasionnelles, des lapsus, des bévues ; certes des erreurs pas toujours très agréables mais que l'on pardonne parce que humaines. Par contre, qui n’a jamais manifesté de la colère à l’encontre d’une administration pour sa lenteur, pour un dossier perdu, pour des documents demandés au compte-goutte ? Qui n’a jamais exprimé sa rage devant des procédures absurdes vous obligeant à cheminer dans un dédale d’obstacles administratifs et vous faisant perdre votre temps, votre argent,  et portant parfois atteinte à vos nerfs et à votre santé mentale ? Ces tracasseries sont dues au fait que trop souvent des employés ont été installés là par le fait de la promotion à des postes où ils sont totalement incompétents.   

            Ce livre se résume en fait en la démonstration en plusieurs volets d'un principe simple : « Dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s'élever à son niveau d'incompétence ». En d'autres termes, dans toute société, le travail bien fait est réalisé par les employés qui n'ont pas atteint leur niveau d'incompétence ; c'est-à-dire par ceux demeurés au poste où ils sont compétents mais qui attendent fiévreusement d'être promus au grade où ils seront incompétents. Vous vous dites sans doute : « c’est un paradoxe ! » Et pourtant, c’est cette cruelle réalité que nous vivons. Ce qui fait que selon le principe de Peter, dans toute administration, « avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d'en assumer la responsabilité ». 

            Voilà, tout est dit. Et le reste n'est qu'une démonstration imparable de ce principe. Par exemple, l'analyse du fonctionnement automatique de tous les partis politiques mériterait d'être lue et relue parce qu'elle est d'une éblouissante vérité. Ainsi, un excellent « agent électoral qui fait du porte-à-porte peut être promu pour diriger un groupe d'agents. Mais un agent incompétent ou désagréable est condamné à frapper aux portes toute sa vie, en faisant perdre des électeurs à son parti ». Si l'agent promu s'avère à son tour un piètre meneur d’hommes, il demeurera pour toujours à ce poste où il fera mal son travail, car la pratique ordinaire veut que celui qui a atteint son degré d'incompétence ne soit pas appelé à être promu. En termes prosaïques, dans l’administration, on reste là où on n’est pas bon !

            Tout le monde comprend donc que la solution pour la bonne marche de toute administration et de toute entreprise serait de bien payer l'employé reconnu compétent au poste qu'il occupe et éviter de l'affecter à une fonction supérieure où ses capacités le feraient apparaître incompétent. Malheureusement, vous conviendrez avec moi que ce n’est que dans le meilleur des mondes que l’on applique résolument les idées reconnues par tous comme vraies plutôt que de les considérer comme des utopies. Dans notre monde à nous, si l’homme jugé compétent s’aventure à demander un meilleur salaire pour cette compétence officiellement reconnue, il y a toutes les chances qu’il se voie bientôt faire quelques reproches qui tendraient à lui prouver que finalement il n’est pas si compétent que cela.

            Le principe du Dr Peter continuera donc à passionner les travailleurs – comme il avait commencé à le faire dès sa première parution en 1969 – sans toutefois rien changer à nos habitudes, plus précisément à ce qu’il appelle la « hiérarchitocratie » (l’amour et le respect de la hiérarchie avec le plaisir d’en gravir les échelons qui la composent). Tout en sachant ce qu’il conviendrait de faire pour un monde meilleur, nous continuerons à nous accrocher à notre fonctionnement social où tous les organismes sont « encombrés d’incompétents, incapables d’exécuter leur travail et qui ne peuvent être promus ni renvoyés ». Aussi, dans notre monde d’incompétents, les gens continueront à s’installer complaisamment dans le syndrome de la bascule (totale incapacité à prendre des décisions) ou l’inertie esclaffatoire (habitude de raconter des histoires drôles au lieu de faire son travail). Des mots inventés par le Dr Peter – et bien d’autres que vous découvrirez en lisant le livre – pour nous éclairer sur les occupations ordinaires des nombreux employés promus à leur « niveau d’incompétence ».  

            Un livre passionnant, instructif, parfois amusant mais pas drôle du tout ! 

Raphaël ADJOBI

Titre : Le principe de Peter, pourquoi tout va mal

Auteur : L. J. Peter et R. Hull

Editeur : édit. Stock, 1er trimestre 1971, 156 pages.

(Edition présentée ici : le livre de poche, 217 pages, 2012) 

8 décembre 2013

Anatomie d'un crime (Elizabeth George)

                                   Anatomie d'un crime

                                        (Elizabeth George)

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            A vrai dire, ce volumineux roman (762 pages) d'Elizabeth George n'est pas à ranger dans la catégorie policière ; et cela tout simplement parce que le récit ne suit pas le travail d'enquête mené par une autorité légale pour expliquer les causes d'un crime. Ce récit se veut clairement le fruit d'une peinture sociale, le « film » de la vie ordinaire d'une famille noire anglaise que Frantz Fanon reconnaîtrait comme les dignes représentants des damnés de la terre en plein Londres. En effet, dès le début du roman, il semble que le sort a réuni sur la tête de cette famille toutes les conditions pour lui pourrir la vie, pour la plonger dans des difficultés inextricables.  

            C'est pourquoi, très vite, le lecteur s'attache à Joel, ce jeune garçon de douze ans doué pour la poésie qui joue des coudes pour protéger son jeune frère Toby à défaut de pouvoir aider sa soeur aînée que personne ne peut contrôler vraiment. Comment ne pas aimer Joel qui, dans cette fratrie tombée du ciel - ou plutôt de l'enfer – chez tante Kendra, apparaît comme le seul point sûr susceptible de laisser croire que le salut est possible pour les plus démunis de la terre. Joel est tout, sauf « une arme vivante » comme le prétend la quatrième de couverture. Seulement, à un moment de sa jeune vie, d'autres semblent avoir choisi ce qu'il doit être.

            A travers le personnage de Kendra, cette jeune métisse de quarante ans et de sa relation avec ses neveux, on ne peut s'empêcher de voir dans ce roman une peinture très réaliste de l'éducation des enfants dans notre société de ce début du XXIe siècle. Une éducation parcellaire parce que rythmée par le silence et l'absence des adultes ; une éducation parcellaire parce que les tentations et les menaces extérieures échappent trop souvent à la vigilance des familles. Une éducation dans laquelle les enfants sont souvent obligés de choisir entre l'obéissance à la loi du quartier et l'amour des leurs qui oublient de les nourrir de valeurs solides face à l'adversité. Oui, on oublie trop souvent que c'est quand les valeurs extérieures triomphent que tout est perdu pour  les enfants.

            Cependant, comme dit la chanson, on ne choisit pas sa famille. Celle de Joel, de Toby et de Ness est avant tout ce qui les fait démarrer du mauvais pied dans la vie. Quelle éducation et quelle aide sociale peuvent sauver trois enfants qui n'ont jamais connu rien d'autre que l'absence et la douleur ?   

            Anatomie d'un crime est un livre passionnant qui vous oblige à jeter sur Elizabeth George un regard admiratif. Elle nous livre ici une peinture sociale très détaillée où chaque personnage a une facette séduisante qui laisse croire au lecteur que le pire peut être évité malgré son caractère inéluctable.

Raphaël ADJOBI

Titre : Anatomie d'un crime, 762 pages.

Auteur : Elizabeth George

Editeur : Presse de la cité, collection Pocket, 2008.

6 avril 2014

Le racisme pathologique, ou quand le racisme devient une maladie

                              Le racisme pathologique

                  ou quand le racisme devient une maladie 

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            Regardez bien les deux premières images qui illustrent ce billet. Prenez le temps de chercher à comprendre ce qui pourrait justifier le comportement des deux personnes blanches en action. Certains aiment à dire qu'il faut replacer les choses dans leur contexte. Je vous laisse alors le loisir de l'inventer. Pour ma part, rien ne peut justifier ces deux comportements. 

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            Dans les deux cas, les personnes noires attaquées ne représentent aucun danger pour chacun des deux Blancs. Les dames dans la piscine auraient-elles antérieurement offensé l'hôtelier ? Même si c'était le cas, peut-on trouver juste de réparer l'offense avec une telle violence destructrice et surtout en prenant la personne par traitrise ? Quant au policier, c'est discrètement qu'il gaze la fillette, démontrant clairement qu'il est en faute, qu'il n'est pas en train de sanctionner légalement la fillette qui l'aurait outragé. 

            Ces deux images sont indiscutablement la marque d'un racisme dont seuls sont capables les Blancs à l'égard des Noirs en ces temps modernes. Comment peut-on expliquer l'existence de ce racisme intimement ancré dans les profondeurs de certains êtres humains ? Il serait difficile de qualifier ces gestes de gratuits, épidermiques, totalement irréfléchis et donc irrationnels. 

            Je crois sincèrement que lorsque le racisme s'apparente à ce que l'on appelle un geste gratuit, un geste proche de l'enfantillage - ce qui fait que l'on dit que c'est pour s'amuser - c'est que nous sommes justement en face du racisme pathologique. Ce dernier type de racisme profondément ancré dans l'être, a des manifestations impulsives et procure de la jouissance. Il est différent du racisme fanfaron qui vise à blesser et à se faire valoir par la même occasion. Il va plus loin que le racisme culturel qui veut affirmer la supériorité de sa race. Le racisme pathologique qui a l'apparence de l'irrationnel est le résultat d'un traumatisme subi dans un contexte extrêmement raciste. C'est dire que le fait de baigner constamment dans un milieu profondément raciste fait de vous un malade du racisme. 

            Pour vous expliquer cela, je vais passer par un détour qui nous mettra tous d'accord. Les traumatismes propres aux bourreaux sont régulièrement relevés chez les soldats américains et européens qui ont séjourné dans des zones de conflits très violents où ils ont pratiqué la torture, le viol et la boucherie humaine. Ils en reviennent brisés et vivent dans la peur de reproduire les mêmes comportements avec leurs concitoyens. De même que leurs victimes - dans les pays qu'ils ont quittés - portent en eux des traumatismes profonds, ils sont  eux aussi atteints de maladies singulières.            

            N'est-il pas vrai que les Noirs d'aujourd'hui portent encore en eux  des réflexes liés à l'histoire douloureuse  de l'esclavage et de la colonisation ? N'est-il pas vrai que nos pensées sont imprégnées de ce passé douloureux qui nous a plus ou moins profondément affectés ? Les dommages psychologiques que nous ont infligés l'esclavage et la colonisation sont bien réels, au point que certains en ont encore des manifestations proches de l'irrationnel. De même, comme le fait adroitement remarquer Louis-Georges Tin dans Esclavage et réparations, les descendants des colons ont aussi gardé des séquelles de cette époque. Habitués à briser impunément des vies humaines à longueur de journée, certains ont développé en eux "narcissisme, complexe de supériorité, schizophrénie tendant parfois au double discours, trouble de la mémoire proche de l'amnésie, angoisses obsidionales* par rapport aux étrangers, paranoïa postcoloniale liée à une psychose du déclin, etc." 

            En un mot, les gestes racistes que nous pouvons observer sur les deux premières images sont ceux de personnes malades du racisme pratiqué à outrance. Et comme tous les malades, ils ont besoin d'être soignés, à défaut d'être internés. 

* Sentiment d'être assiégé. Ces personnes voient partout des étrangers qui veulent prendre leur place, qui représentent donc une menace.

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Raphaël ADJOBI

27 avril 2014

Elections présidentielles de 2015 en Côte d'Ivoire : les conditions justes et équitables sont-elles réunies ?

                   Présidentielles 2015 en Côte d'Ivoire :   

les conditions sont-elles réunies pour des élections justes et équitables ? 

            Qui peut répondre par l'affirmative à cette question ? A celui qui pense que oui, il lui appartient de décliner les conditions nécessaires à des élections présidentielles justes et équitables et nous verrons bien les critères qui président, selon lui, à un tel événement. 

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            La question avait été posée à un commentateur français concernant la Centrafrique. L'intervenant avait dit de manière simple et convaincante que les populations autochtones musulmanes ayant fui le pays par peur de représailles, il est inconcevable que des élections présidentielles soient organisées dans leur dos. Ce serait une façon d'officialiser leur exclusion du territoire national. Par ailleurs, les fonctions régaliennes étant indiscutablement assumées par l'armée française – en l'absence d'une armée nationale  digne de ce nom – toute élection serait factice, un trompe-l’œil. 

            Après ce détour par la Centrafrique qui occupe désormais les médias occidentaux, regardons la situation ivoirienne où les Français sont devenus des acteurs privilégiés depuis avril 2011... LIRE LA SUITE SUR : Les pages politiques de Raphaël /  l'article seul.

Raphaël ADJOBI

  

10 mai 2014

Paroles de liberté (Christiane Taubira)

                                   Paroles de liberté

                                         (Christiane Taubira)  

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           Jamais en France une personnalité politique n'a cristallisé autant de haine raciale que Christiane Taubira. Dès son entrée au gouvernement en 2011, on a eu le sentiment que tout le racisme diffus qui s'insinuait dans les médias et les couloirs des réunions politiques avait trouvé en sa personne l'ancre à laquelle il fallait se fixer pour enfin avoir un sens. Et en moins de deux ans, elle est devenue le bouc émissaire de la frange de la France qui s'est déclarée ouvertement raciste.  

            Mais cette dame de qualité et de grande envergure intellectuelle n'en est pas à ses premières égratignures racistes. Le parcours scolaire et estudiantin qu'elle nous livre ici en témoigne. Malheureusement, on ne s'habitue pas au racisme. « Il reste et restera toujours à essayer de percevoir l'intensité de la brûlure qu'inflige la blessure percée à vif par la parole raciste. Elle frappe au mitan du coeur, elle incise l'esprit, entame la confiance, consume l'estime de soi. Elle percute celle ou celui qui la reçoit en plein plexus, l'étourdit, le fait chanceler, un temps, ou longtemps, avant qu'il sache s'il tient encore debout ou s'il s'ébranle dans un lent effondrement. Cette blessure est à chaque fois personnelle et nouvelle ». Non, vraiment, on ne s'habitue pas à la blessure raciste parce qu'elle est chaque fois nouvelle et chaque fois vous touche personnellement. 

            Mais voilà : celui qui veut sortir de l'enfer ne doit pas craindre d'en braver les flammes. Cependant, qui connaît la porte de sortie de l'enfer ? Il faudra sans doute nous convaincre que nous sommes condamnés à éteindre les flammes de l'enfer plutôt que de chercher à en sortir. En tout cas, parvenue dans les hautes sphères de la politique nationale, elle s'est rendue compte que sa candidature aux élections présidentielles à la tête des Radicaux de gauche n'a pas suffi pour faire d'elle une Française à part entière. Pour les journalistes français, et certainement pour beaucoup d'autres, elle fut la candidate des minorités.

            Devenue ministre, toutes les décisions qu'elle prenait étaient présentées par ses nombreux détracteurs comme favorisant les délinquants des quartiers populaires et par voie de conséquence les Noirs et les Arabes. Une politique communautaire donc. Et quand elle porta devant l'Assemblée le projet de « mariage pour tous », on vit en elle la Noire, la sauvage qui venait détruire la société civilisée !

            Paroles de liberté vient donc rompre le long silence de celle qui semblait tout encaisser sans fléchir, voire indifférente à ce qui ressemblait à une vindicte populaire. Les paroles de Christiane Taubira sont franches et sans complaisance. Elle sait que si le public  - jusqu'aux enfants - s'est acharné à la dépouiller de tous ses attributs de représentante de la République pour ne voir en elle qu'une guenon - à laquelle on jette une banane et qu'on enjoint de rejoindre son arbre - c'est tout simplement parce que des hommes politiques hypocrites associés à de sulfureux et prétendus intellectuels l'ont sciemment jetée en pâture. Ces hommes et ces femmes n'ignoraient pas que « les actes de paroles sont souvent l'expression de rapports de forces et leur efficacité dépend largement de l'autorité sociale du locuteur » ; ils savaient que tôt ou tard, leurs propos produiraient les fruits nauséabonds qu'ils nourrissaient dans le fond de leur cœur sinistre. Eux qui détiennent l'autorité de la parole publique savaient qu'en accusant, en dénonçant, en stigmatisant, en menaçant, en parlant de « Kärcher, racaille, cambrioleurs-nés, voleurs et violeurs pourrissant la vie de bonnes gens en banlieues », tôt ou tard, des hommes, des femmes et des enfants se lèveraient pour fouler au pied les dernières précautions et exprimeraient publiquement leur haine raciale et n'épargneraient même pas une personnalité de l'Etat.   

            Dans ce livre, Christiane Taubira parle à chaque citoyen français à cœur ouvert. Elle sait que sa position de femme politique parvenue aux hautes sphères des affaires de l'Etat ne la met pas à l'abri des quolibets de ceux qui cultivent avec arrogance leur entre-soi blanc. Aussi, une bonne moitié de ce livre attire l'attention de chacun sur les principes fondateurs de la bonne sociabilité. Pour elle, la République ne peut être réellement sociale que lorsque « les institutions enfin [...] se surveillent d'être justes, équitables et décentes [...] qui n'humilient aucun citoyen et ne se hasardent à humilier personne nulle part dans le monde ». 

Raphaël ADJOBI

Titre : Paroles de liberté, 138 pages.

Auteur : Christiane Taubira

Editeur : Flammarion, mars 2014

19 juin 2014

Les malades précieux (Obambé Gakosso)

                                 Les malades précieux

                                        (Obambé Gakosso)

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            Ce recueil de onze nouvelles que nous propose Obambé Gakosso est la peinture d'une Afrique en pleine mutation. On découvre ici le visage d'un continent se situant entre une société dont le socle traditionnel est difficilement reconnaissable et une société moderne dont on ignore les réelles visées. C'est donc un monde en ébullition, aux manifestations grimaçantes, pour ne pas dire anarchiques, la peinture d'une société congolaise, reflet d'une Afrique qui se cherche à tâtons, que nous présente l’auteur. Et la jeunesse de la plupart des personnages principaux témoigne de cette société en mutation. 

            La sixième nouvelle - Les malades précieux - qui a donné son nom au recueil est un véritable cri d'indignation à l'encontre des pratiques prédatrices pour les finances des Etats dont se rendent coupables les élites africaines. Elle met en lumière la responsabilité qui incombe à chaque Africain au moment de prendre ses fonctions dans nos nouvelles sociétés : il faut choisir entre se mettre au service de tous et se mettre au service des privilégiés tout en bénéficiant des avantages qui en découlent.

            Malgré la force de cette nouvelle, elle n'aura pas forcément la préférence de tous les lecteurs. Il y a dans ce recueil des récits séduisants comme La Fac au pied du baobab qui peint les rêves très réfléchis de deux jeunes étudiants et nous remplit d'espoir en l'avenir ou Une tête au menu qui montre l'irresponsabilité et l'inconscience des jeunes hommes dans une société où l'arrivisme est une règle d'or pouvant conduire à l’impensable. On peut aussi ne pas être insensible à la sagesse retrouvée de Karumba dans la première nouvelle intitulée Je n'ai plus de temps à perdre. Mais sans hésitation, ma préférence va à L'assiette n'a pas changé. Bien construite,  cette nouvelle montre l'ingéniosité des mères africaines pour mener à bien l'éducation de leurs enfants emportés dans le tourbillon des nouvelles pratiques amoureuses de la jeunesse d'aujourd'hui. La force de caractère dont fait montre la mère de Loketo pour responsabiliser son fils, pour lui faire prendre conscience des devoirs attachés à la liberté est tout à fait admirable. Une mère comme on les aime et les redoute à la fois.

            Toutefois, force est de reconnaître que la nouvelle la plus instructive sur l'état de notre Afrique en mutation est bien Ma route de Loango, et cela grâce aux multiples réflexions qu'elle contient. Le lecteur y trouvera une peinture très réaliste du fonctionnement de nos Etats ainsi que de toutes les carences des Africains en matière de gestion et d'organisation sociale. A lire absolument. 

            La lecture de ce recueil suscite cependant une question importante sur le regard que les éditions L'Harmattan portent sur les textes qui leur sont proposés pour leur collection "Ecrire l'Afrique" : pourquoi n'y a-t-il pas de relecture de ces textes ? Cette question nous renvoie à un problème social qui devient inquiétant : il s'agit de la place de moins en moins grande des correcteurs dans la fabrication du livre ; problème que soulignait le journal La Croix dans deux articles dans son édition du jeudi 15 mai 2014. Son constat est sans appel : « bien des éditeurs, épaulés par les logiciels de correction, sont tentés de faire des économies sur ces invisibles correcteurs - rendant soudain visible leur absence ».

Raphaël ADJOBI

Titre : Les malades précieux, 281 pages

Auteur : Obambé Gakosso

Editeur : L'Harmattan, collection Ecrire l'Afrique, 2013  

24 juin 2014

Les montagnes bleues (Philippe Vidal)

                                             Les montagnes bleues

                                                      (Philippe VIDAL)

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            Que savons-nous de l’histoire des esclaves marrons, ces communautés d’esclaves qui, après avoir fui le joug de l’asservissement, se refugiaient dans les montagnes ou les forêts des Amériques et de leurs îles avoisinantes, loin du regard de leurs anciens maîtres blancs ? En ce XXIe siècle, nous ignorons presque tout de la vie de ces fugitifs dont la précaire liberté a été soulignée dans Le Rancheador, le journal du chasseur d’esclaves cubain Francisco Estévez, au milieu du XIXe siècle. Avec Les Montagnes bleues, Philippe Vidal se propose de combler notre ignorance en nous donnant une idée de leur organisation dans un récit dur, passionnant et palpitant, mais également plein d’enseignements politiques pour tous les Noirs que l’Europe soumet aujourd’hui encore dans un esclavage à domicile dans les pays africains.

            En 1700, sur l’île anglaise de la Jamaïque, la plantation Fenwick était dirigée d’une main de fer par un contremaître dont la sévérité à l’égard des esclaves ainsi que la compétence en imposait même à son nouveau maître, John Fenwick, l’unique héritier de cette immense plantation de canne à sucre. En effet, depuis la mort de son premier maître, Stanton avait supplanté en autorité son jeune patron, homme nourri de Pline, Platon, Hérodote et Tacite, partageant son toit et des conversations érudites avec son jumeau noir, cet esclave qui a eu la chance d’avoir été son compagnon d’études pour une raison singulière que vous découvrirez en lisant le roman.

            Stanton est donc omniprésent et tout-puissant, au grand malheur des esclaves qu’il terrorise quotidiennement. Dans la première partie du récit, passionnante et dure à la fois, on le découvre s’employant à multiplier les exactions à leur égard, convaincu d’œuvrer ainsi à la stabilité de la plantation. 

            Or, un événement imprévu vient ruiner momentanément la plantation Fenwick, qui ne peut nourrir son bétail de Noirs en attendant les récoltes de l’année suivante. Stanton soumet alors un projet machiavélique à John Fenwick pour réduire les frais de gestion des esclaves. Malheureusement pour eux, Christian, le jumeau noir de Fenwick, surprend la conversation et doit disparaître. Pour ne pas le voir mourir sous ses yeux, John Fenwick condamne le compagnon d’études qui égayait ses journées monotones à une vie d’esclave marron, à la grande stupeur de son contremaître qui voit dans ce geste la ruine de son autorité sur les esclaves.

            En bon représentant de la pensée esclavagiste, Stanton est convaincu que la fuite de Christian facilitée par son maître est un exemple intolérable contre le système établi. Il ne laissera donc pas faire. Heureusement, nourri des Anciens grecs et latins, Christian sait que « tu peux oublier l’homme blanc, tu peux essayer de construire un monde autour de toi, mais l’homme blanc, lui, ne t’oublie pas, il ne te laissera jamais échapper à son emprise ». En quelques mois, malgré la haine qu’il avait focalisée autour de sa personne dans le milieu des esclaves noirs parce que son quotidien dans la demeure de John Fenwick n’avait rien de comparable à celui de ses frères de sang, il va par son intelligence et sa grande culture, se faire accepter dans une communauté de fugitifs et en devenir le stratège écouté mais aussi jalousé. Bientôt, le village de marrons de Christian devient un ennemi craint et redouté par les colons.  

            A ce stade du roman, le lecteur comprend que Philippe Vidal a choisi ses porte-parole : d’une part, à l’opposé des autres Blancs qui pensent qu’ « un nègre reste un nègre, quelles que soient son éducation ou ses manières », John Fenwick est convaincu du fait que « n’importe quel être transposé dans un environnement éduqué en acquiert les valeurs ». Il sait que le grand instigateur des opérations punitives qui menacent les colons est son jumeau noir. D’autre part, Christian est de toute évidence le symbole de l’espoir des opprimés grâce à sa culture et ses connaissances qui en font le ferment de la société, une bénédiction pour tous. 

            A partir du moment où les deux communautés antagonistes semblent vivre dans une crainte à peu près égale, le lecteur ne peut s’empêcher de se demander comment le romancier va terminer son récit. Jusqu'où Christian poussera-t-il son audace ? Quelle sera la réponse des colons blancs ? C’est à ce moment précis que l’auteur choisit de faire parler son talent de dramaturge pour conduire le récit vers une fin en apothéose ! Dans cette dernière partie du roman, Philippe Vidal nous délivre des pages magnifiques sur les stratégies politiques des colonisateurs européens. Des pages que tous les colonisés des temps modernes gagneraient à lire et à relire pour comprendre comment de siècle en siècle, les Blancs s’arrangent pour « bien manœuvrer » afin de faire voler en éclats toute tentative de cohésion au sein de n’importe quelle communauté noire. Des pages qui nous montrent aussi qu’en matière de politique, la grande faiblesse des Noirs – hier comme aujourd’hui – réside dans la question d’amour-propre qui finit toujours par triompher de l’amour du groupe, fragilisant ainsi leur marche vers l’indépendance. 

            Les montagnes bleues est donc un récit qui présente des facettes variées et passionnantes. Il est à la fois un bel hommage aux esclaves marrons, symboles de l’Humanité éprise de Liberté, un hommage encore plus grand aux hommes pétris de culture qui mettent leur savoir – puisé dans les livres de toutes les époques – au service du combat pour l’égalité parmi les hommes et du respect de l’indépendance des peuples. L’essentiel de ce roman n’est donc pas dans la force du récit – certes passionnant, malgré quelques schémas classiques par moments – mais dans la stature des personnages et les réflexions semées çà et là, constituant une foule d’informations susceptibles de galvaniser les peuples opprimés de ce XXIe siècle. 

Raphaël ADJOBI

Titre : Les montagnes bleues (Préface de Pascal Légitimus), 430 pages.

Auteur, Philippe Vidal

Editeur : Max Milo, mai 2014.

6 juillet 2014

L'OEDIPE NOIR, des nourrices et des mères (Rita Laura Segato)

                                                   L’Œdipe noir     

                                       Des nourrices et des mères

                                               (Rita Laura Segato)

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            Ce petit livre est une analyse psychologique d'une tradition européenne qui a connu une ampleur inégalée sur le terrain colonial et particulièrement au Brésil : le recours à la nourrice pour l'allaitement et les soins du premier âge des enfants blancs. Une pratique qui – tout le monde est d'accord pour le dire – n’est pas sans conséquence sur la psyché de l'enfant par rapport à la perception du corps féminin d'une part et du corps non-Blanc d'autre part. 

            En Europe, partout où cette pratique a été dénoncée, on a invoqué la négligence ou le manque d'amour des nourrices mercenaires. C'est du moins ce que l'on constate dans les manuels pédagogiques des XVIIe et XVIIe siècles. Au Brésil, ce sont essentiellement des raisons hygiéniques doublées de « la rancœur raciale retournée contre les Noirs » qui ont été brandies pour la combattre. Si, ici comme là-bas, on est passé peu à peu de la "nourrice de lait" à la "nourrice sèche" ou "nounou" (baba au Brésil), le cas de ce grand pays d'Amérique s'inscrit dans une configuration particulière et ne peut manquer de susciter une analyse particulière. 

 Les Blancs élevés par des nourrices noires seraient-ils plus racistes ?  

            Rita Laura Segato, anthropologue et féministe d'origine argentine, entreprend ici de montrer comment, en refusant de sonder les conséquences d'une pratique généralisée pendant plusieurs siècles sur son sol, le Brésil s'est enfoncé dans un racisme d'un autre type. En effet, « chaque peuple possède sa propre forme de racisme » ; et la profondeur de celle du Brésil est à chercher dans la généralisation de l'allaitement des enfants blancs par les esclaves noires.

            La question qui mérite d'être posée tout de suite et de manière crue est alors celle-ci : les Blancs élevés par des nourrices noires seraient-ils plus racistes que les autres Blancs ? La réponse est oui ! Au Brésil, selon Maria Elisabeth Ribeiro que cite l'auteur, « l'image de la femme noire figure dans un scénario miné par les conflits de classes où elle déverse de l'affectivité dans l'imaginaire collectif, rendant plus léger et plus doux le joug de l'esclavage dans la mémoire sociale ». En d'autres termes, « l'image de la mère noire douce et tendre s'utilise pour minimiser la violence de l'esclavage. Nous sommes en face d'un crime parfait », conclut l'anthropologue d'origine argentine. Mais il serait bon de lire son livre pour les différents éléments qui sous-tendent la complexité de ce racisme. 

            Retenons ici que dans la dernière partie de ce petit livre, Rita Laura Segato démontre comment le racisme brésilien est clairement lié à une négation du Noir et de l'Afrique, « une dé-connaissance de la négritude ». En principe, « l'enfant est le propriétaire ou le locataire de la mère » ; ce qui suppose un amour et une intimité de passage suffisants pour expliquer pourquoi on n'épouse pas sa mère. Mais ici, note-t-elle, « parce que celle-ci est achetée ou salariée », cela accentue le sentiment de propriété privée et donc de domination chez l'enfant blanc devenu adulte. Ce qui fait dire à l'auteur que « la maternité mercenaire équivaut ici à la sexualité dans le marché de la prostitution ».

            On comprend dès lors pourquoi l'enfant blanc devenu adulte méprise cette image de la femme noire au point de refuser d'en faire son épouse. Dans sa psyché, toute femme noire est une prostituée à fuir. Cependant, « si le sentiment d'unité est perdu, le sentiment de propriété demeure [...] et le sentiment amoureux se transforme facilement en colère face à la perte » et s'exprime par un racisme violent. On comprend pourquoi, à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, des Brésiliens - certainement ceux qui ont bu le lait au sein des nourrices noires - ont travaillé pour minimiser la place de la mère africaine dans les peintures et la faire disparaître dans les photographies de famille en la couvrant d'un voile.

    Le Brésil noierait-il ses traumatismes dans les excès ?  

            Ce livre nous montre donc que l'obsession de la négation de la nourrice africaine dans la société brésilienne équivaut à la négation de la race. N'oublions pas que le Brésil a connu une autre histoire douloureuse inégalée, dont les conséquences sont visibles dans le très grand nombre de métis sur son territoire : il fut le premier pays à instituer les harems et les haras humains. Aiguillonnés par la cupidité, les colons ensemençaient eux-mêmes leurs esclaves noires, se lançaient dans les croisements des couleurs noires et moins noires afin d'obtenir des espèces métissées plus chères sur le marché des villes et des grandes demeures bourgeoises. Cette culture industrielle du métissage a abouti à un sentiment bizarre – une négation du Noir et de l’Afrique – dans l’ensemble de la population. En effet, comme l’a constaté Nelson Rodrigues en 1993, « ici, le Blanc n’aime pas le Noir, et le Noir n’aime pas beaucoup le Noir non plus ». On n'est donc pas étonné de voir le pays noyer la souffrance psychique causée par ces traumatismes dans des excès comme la danse, les carnavals et la passion du football ; exactement comme certains noient leur chagrin dans l'alcool et les drogues illicites. C'est à croire que le Brésil est dépendant des passions excessives. 

Raphaël ADJOBI                

 

Titre : L'oedipe Noir, 57 pages (sans l'introduction de Pascal Molinier).

Auteur : Rita Laura Segato

Editeur : Payot & Rivages, 2014 (collection : Petite bibliothèque Payot).

22 juillet 2014

Peau noire, masques blancs (Frantz Fanon)

                         Peau noire, masques blancs

                                       (Frantz Fanon)

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            Pour apprécier ce texte de Frantz Fanon, il ne faut pas avoir peur des mots crus, des expressions cinglantes. Ce livre est une œuvre de jeunesse. Publié alors qu’il n’avait que 26 ans, il porte l’empreinte de toute la hargne de l’écorché vif, de toutes les insanités déversées sur l’homme noir. Ici, Fanon déchire le voile colonial français ayant fabriqué tant d’imbéciles – Noirs et Blancs. Je vous l’ai dit : il ne faut pas avoir peur des mots. Oui, le colonialisme a produit trop d’imbéciles, ces êtres qui regardent le doigt qui indique le chemin plutôt que le chemin ! Près d’une dizaine de fois, Frantz Fanon emploie les termes « imbécile » et « imbécilité » parce que ce sont ceux qui conviennent parfaitement au Noir et au Blanc, victimes de l’esprit colonial. Car quel que soit le domaine qu’il a sérieusement analysé, psychanalysé, une chose l’a définitivement frappé : « le nègre esclave de son infériorité, le Blanc esclave de sa supériorité, se comportent tous deux selon une ligne d’orientation névrotique ».

            Mais rassurez-vous ! Il n’est pas question pour Frantz Fanon d’éduquer l’armée d’imbéciles blancs qui veulent enfermer le Noir dans l’habit taillé pour lui, mais d’amener ce dernier à ne pas être esclave de leurs archétypes. Il veut clairement « aider le Noir à se libérer de l’arsenal complexuel qui a germé au sein de la situation coloniale. » Décoloniser le nègre, car « une authentique saisie de la réalité nègre [doit] se faire au détriment de la cristallisation culturelle » forcément coloniale. 

            Comment y parvenir ? Frantz Fanon établit son diagnostic à partir de constats qui lui ont paru évidents : 

Premier constat : le Noir est ambivalent ; il se comporte différemment avec le Blanc et avec un autre Noir. Dans le chapitre qu’il intitule Le Noir et le langage, il s’appuie sur des faits concrets, des expériences pour démontrer que le langage du Noir est vicié par le poids de la culture coloniale qui génère en lui « un nouveau type d’homme qu’il impose à ses camarades, à ses parents ». 

Deuxième constat : La femme noire antillaise prend des dispositions particulières lorsqu’elle entre en contact avec l’homme Blanc et détermine une attitude particulière de ce dernier à son égard. Dans ce deuxième chapitre intitulé La femme de couleur et le Blanc, Frantz Fanon  montre combien « le nègre est esclave de son infériorité et le Blanc esclave de sa supériorité ». Etat de chose rendu possible par le fait que sous le poids du discours colonialiste, la femme antillaise n’aspire qu’à une chose : s’unir à un homme blanc pour blanchir sa négritude. « De la blancheur à tout prix » est donc son credo.

Troisième constat : si la négresse veut blanchir sa « race » en s’unissant à un Blanc, le Noir, « incapable de s’évader de sa race […] par son intelligence et son travail assidu » va à son tour chercher son salut dans une union avec une femme blanche. En d’autres termes, le chapitre trois, L’homme de couleur et la Blanche, montre que le nègre n’échappe pas non plus à la tentation de s’élever jusqu’au Blanc.   

Quatrième constat : Non, Hitler n’est pas mort ! La civilisation européenne et ses représentants les plus qualifiés sont responsables du racisme colonial. Quand on refuse à un peuple les moyens de s’épanouir et de montrer ce dont il est capable, on ne l’accuse pas d’être incapable de produire des génies. Dans le chapitre Du prétendu complexe de dépendance du colonisé, Frantz Fanon montre que ce n’est ni l’économie ou la pauvreté qui crée le racisme ; « c’est le raciste qui crée l’infériorisé […] c’est l’antisémite qui fait le Juif ». 

Cinquième constat : Dans L’Expérience vécue du Noir, l’auteur montre que le vécu du nègre est fait de sentiments très durs qu’il est seul capable de traduire. Dans ce chapitre, Frantz Fanon a su trouver dans les écrits littéraires des exemples précis pour illustrer la perte de contrôle du nègre devant le monde des Blancs. Et « comme la couleur est le signe extérieur le mieux visible de sa race [et] le critère sous l’angle duquel on juge les hommes sans tenir compte de leurs acquis éducatifs et sociaux », toute recherche de la nature vraie du Noir est devenue irréalisable parce que faussée par son état de colonisé.

Sixième constat : On découvrira dans le chapitre six, l’une des grandes qualités de Frantz Fanon : saisir et mettre en évidence les singularités du Noir. Dans ce très long chapitre intitulé Le Nègre et la psychopathologie, il montre que le Noir a besoin de soins particuliers dès lors qu’il vit dans un milieu de Blancs. En effet, les récits blancs qui constituent le support de son éducation ont sur lui un impact indéniable : « l’Antillais a le même inconscient collectif que l’Européen […] il est normal que l’Antillais soit négrophobe ». Par ailleurs, il montre que les Blancs racistes sont ceux qui ont un sentiment d’infériorité sexuelle. Chapitre à lire et à relire…

Septième constat : Dans Le Nègre et la reconnaissance – le dernier chapitre du livre – Fanon montre que le désir de dominer l’autre, d’être reconnu par l’autre, voire d’être Blanc comme l’autre caractérise essentiellement l’Antillais. Malheureusement, dit-il, « le nègre ignore le prix de la liberté, car il ne s’est pas battu pour elle ». Passage qui doit faire réfléchir tous les peuples noirs qui sont « passés d’un mode de vie à un autre, mais pas d’une vie à une autre », qui ont été libérés par le maître et n’ont donc pas soutenu la lutte pour la liberté.

            Frantz Fanon est devenu en ce début du XXIe siècle le penseur français que l’on ne peut contourner. Chaque fois que l’on parle de colonisation ou de décolonisation, de racisme, d’esclavage, de  lutte pour les libertés, on ne peut éviter de penser à lui. C’est que, avant tout le monde, le jeune psychiatre avait trouvé l’occasion d’appliquer les techniques de sa science et de révéler les grandes souffrances du colonisé, dénonçant en même temps le colonisme et le racisme qui en découle.

Raphaël ADJOBI                       Faites un don à l'association La France noire

Titre : Peau noire, masques blancs, 188 pages.

Auteur : Frantz Fanon,

Editeur : Editions du Seuil, 1952.    

25 juillet 2014

Nantes assume admirablement son passé de port négrier

      Nantes assume admirablement son passé de port négrier  

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           La ville de Nantes est ma plus belle découverte de cet été 2014. C’est la ville aux nombreux espaces publics, pas forcément très arborés. Cela est sans doute dû au fait que « l’Edre, déviée de son cours, est en partie enterrée et deux bras de Loire sont comblés… ». En tout cas, cela donne des espaces agréables qui invitent à la promenade.

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           Ici, on a pensé à faciliter la vie à la population et aux visiteurs en aménageant de nombreuses aires de stationnement en plein centre-ville et dans ses environs. Le soir, Nantes offre un grand air d’Amsterdam avec une foule de restaurants aux spécialités variées rappelant les pays lointains, surtout exotiques ; et alors on se souvient de son passé de port international… négrier. On imagine aisément les milliers de marins venus de tous les horizons européens s’encanailler dans ces lieux qui devaient être des tavernes de mariniers. En tout cas, l’ambiance paisible de ces petites rues du centre encombrées de terrasses peuplées de têtes joyeuses fait de Nantes une ville cosmopolite et très conviviale.

                Les curiosités ou atouts touristiques de la ville

Le Château des ducs de Bretagne abrite le musée d’histoire de Nantes. Or, l’histoire de Nantes – mis  à part l’épisode de la noyade des vendéens par Jean-Baptiste Carrier envoyé par la Convention en 1793 pour stopper leur soulèvement – c’est essentiellement le négoce et « l’or noir ». C’est pourquoi, les éléments les plus nombreux et les plus attractifs de ce musée sont ceux qui évoquent le passé colonial de ce port négrier qui compta jusqu'à 700 Africains au sein de sa population en 1777, selon un recensement réalisé en Bretagne cette année-là.

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            N’oublions pas que plus de 27 233 expéditions négrières ont été recensées au départ des ports européens entre le XVe et le la fin du XIXe siècle. Si en Angleterre, Liverpool, Londres et Bristol, s’illustrèrent dans ce juteux commerce, Nantes fut en effet le premier port négrier de France devant La Rochelle, Bordeaux, le Havre et Saint-Malo. De toute évidence, la ville semble avoir fait le choix d’assumer ce passé esclavagiste plutôt que d’en faire un objet de honte qu’il faut cacher sous le voile du mensonge. Et elle a raison ! Elle a raison d’ouvrir les pages de son histoire aux Français, toutes les pages de son histoire. C’est notre passé à tous et nous devons être capables de le regarder en face pour qu’il nous serve de leçon dans la construction de notre cohésion sociale, nationale. Personne n'a le droit de nous imposer les pages de notre passé à exclure de notre mémoire, de notre Histoire.

            Ne manquez pas l'occasion de faire une halte à la librairie du musée : elle propose un très riche choix de livres (y compris des livres de jeunesse) qu'il est difficile de trouver ailleurs.

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Le mémorial de l’abolition de l’esclavage : Pour montrer à la France entière qu’elle assume son passé de port négrier, Nantes ne s’est pas contentée d’enfermer les témoignages de ce pan de son histoire qui a fait sa fortune et sa réputation dans un musée, loin du regard des passants. Elle a pris la décision de rendre hommage à toutes les victimes africaines de la traite atlantique en leur érigeant un magnifique mémorial sur sa plus grande et plus belle avenue. Un geste sans doute unique en France qu’il convient de saluer ! Ce monument se présente comme une longue et sobre esplanade sur laquelle le public peut déambuler et s’instruire à la fois pour découvrir les noms des différents bateaux nantais ayant participé aux expéditions négrières. On peut y lire aussi les noms des nombreux sites de traite des côtes africaines. Les historiens en ont dénombré plus de quatre cents. Une exposition sur Haïti s'y tient cet été.

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Sous l’esplanade, on peut continuer son instruction en découvrant d'immenses textes relatifs à l’esclavage outre atlantique mais également à l’esclavage en général. On peut y lire l’ordre de l’abolition de l’esclavage dans les différents pays du monde. On constate que les pays à confession musulmane – les premiers à avoir pratiqué la traite négrière – ont été les bons derniers à s’exécuter : le Koweït (1949), le Qatar (1952), l’Arabie Saoudite et le Yemen (1962) Oman (1970), Mauritanie (1981), Pakistan (1992). Les premières abolitions ont eu lieu aux Etats-Unis : Le Vermont (1777), la Pennsylvanie (1780), New Hampshire (1783)… Rappelons que l’esclavage a été aboli en France une première fois en 1794 ; rétabli par Napoléon en 1802, elle sera aboli une deuxième fois en 1848.

Le parc d'attraction : L'éléphant articulé est la grande attraction de cet espace immense avec des coins et recoins pour se reposer, lire, ou admirer les bateaux loin du bruit des manèges. Ce lieu de divertissement et de détente est situé à environ 200 mètres du mémorial de l'abolition de l'esclavage.    

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Conclusion : Pendant de nombreuses années, les différents ports négriers français ne voulaient pas entendre parler de commémoration ou de monument commémoratif évoquant l’esclavage. Aujourd’hui encore des hommes politiques français refusent de regarder en face ce passé de notre pays et se perdent dans des discours incohérents qui témoignent de leur imbécilité devant les crimes contre l’humanité. Maintenant que Nantes a donné une belle leçon d’humilité à toutes les cités de France et par la même occasion à tous les hommes politiques, nous espérons que la commémoration de l'esclavage ne sera plus regardée comme une arme aux mains des Noirs français mais un devoir national. En tout cas, à Nantes, la commémoration de l'abolition de l'esclavage est devenue une attraction touristique.                      

Raphaël ADJOBI

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